Les pâtes sont fabriquées à partir de blé dur, une variété de blé particulièrement vulnérable aux variations climatiques et dont la production est concentrée sur quelques régions du monde. Une augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, comme les sécheresses ou les pluies intenses, pourrait facilement anéantir la filière.
au sommaire
À chaque menace de confinement, on voit les consommateurs dévaliser les rayons pâtes des supermarchés. Mais les étagères pourraient bien se retrouver vides à l'avenir pour une tout autre raison : le changement climatique. « Le dérèglement climatique met en danger le marché des pâtes alimentaires », alerte ainsi le Sifpaf (Syndicat des industriels fabricants de pâtes alimentaires de France) dans un communiqué. La sécheresse exceptionnelle au Canada, qui représente les deux tiers du commerce mondial de blé dur, devrait conduire à une récolte inférieure à 4,2 millions de tonnes cette année, soit 32 % de moins que la moyenne des cinq dernières années, alerte le syndicat. En Europe, ce sont les pluies abondantes durant la floraison qui ont durement affecté les récoltes.
« Ce qui est intéressant dans l'épisode récent, c'est le fait que ces événements météométéo soient concomitantsconcomitants dans deux zones productrices très importantes, explique Stéphane de Cara, directeur de recherche à l'Inrae dans Le Parisien. Le coupable direct, c'est effectivement la météo, mais le changement climatique contribue à augmenter la probabilité que de tels événements se produisent », s'inquiète le chercheur.
Un choc de production sans précédent
Selon une étude de 2019, jusqu'à 60 % des zones de culture du blé actuelles dans le monde pourraient connaître des sécheresses simultanées, graves et prolongées d'ici la fin du siècle. « Même dans un scénario où le réchauffement climatique serait stabilisé à 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, l'augmentation de la fréquence et de l'étendue des phénomènes météorologiques extrêmes pourrait entraîner un choc de production sans précédent », selon Song Feng, coauteur de l'étude. Une autre étude de 2017 indiquait que chaque degré supplémentaire entraînerait une réduction du rendement du blé de 6 %.
Le blé dur, une culture bien particulière
La situation est encore pire si l'on parle seulement du blé dur, celui utilisé pour fabriquer les pâtes. « Il faut savoir que le blé dur est un tout petit marché », rappelle Christine Petit, secrétaire générale du Sifpaf. La production annuelle de blé dur représente ainsi 37 millions de tonnes par an, contre 700 millions de tonnes pour le blé tendre. « La situation agronomique et les conditions climatiques particulières des zones de production du blé dur le rendent particulièrement vulnérable aux aléas climatiques », souligne l'Union des Associations des semouliers des pays de l'UE.
De plus, l'enracinement du blé dur est moins dense que celui du blé tendre. Du coup, il est très sensible à l'humidité, au tassement du sol et aux sécheresses précoces. Un climat un peu trop pluvieux peut notamment induire une germination sur pied et le développement de maladies par Fusarium et Microdochium. Et ce n'est pas seulement une question de quantité : la qualité du blé pourrait elle aussi se trouver fort dégradée, avec par exemple un plus faible taux de protéinesprotéines ou d'amidonamidon, ce qui le rend inutilisable pour la fabrication des pâtes. Or, c'est le seul et unique débouché de la filière !
Des pâtes de qualité inférieure… ou pas de pâtes du tout
Pour répondre aux défis du changement climatique, les semences vont sans doute devoir trouver de nouvelles variétés plus résistantes. Mais cette stratégie présente des limites. D'abord, il faut en moyenne 10 ans pour développer une nouvelle variété. D'autre part, comme on l'a vu, le blé dur exige des conditions climatiques très particulières. « Il est probable qu'on ne pourra plus cultiver de blé dur dans certaines régions du monde », avertit Stéphane de Cara.
Du coup, certains fabricants pourraient être tentés d'incorporer le blé tendre dans leurs pâtes. « Dans certains pays comme en Syrie, en Irak et en Turquie, la part de blé tendre autrefois limitée à 30 % peut désormais atteindre 100 % de la recette », observe un rapport du cabinet d'analyse Stratégie grains, dont Futura a pu consulter un exemplaire. « Au total, dans certains pays, la consommation va certainement se reporter vers des produits alimentaires moins onéreux », prévoit Stratégie grains.
Cette année, le prix mondial de référence des blés durs a connu une augmentation historique de plus de 30 % en quelques semaines, avance le Sifpaf. Du jamais-vu ! Jusqu'ici considéré comme « l'aliment du pauvre », le paquetpaquet de pâtes risque à l'avenir d'être un produit de luxe.