Etrange observation : certains noyaux ne se désintégreraient pas selon les lois connues, immuablement fixées par la mécanique quantique et la théorie de l’interaction électrofaible. D’après un groupe de physiciens américains, ces noyaux rebelles se désintègreraient différemment... lors des fortes éruptions solaires. S’agit-il d’une porte vers une nouvelle physique ?

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Les corrélations entre flux de rayons X et variations du taux de désintégrations radioactives du manganèse 54. Crédit : Jenkins et al.

Les corrélations entre flux de rayons X et variations du taux de désintégrations radioactives du manganèse 54. Crédit : Jenkins et al.

« Nous ne savons pas, nous ne faisons que conjecturer. » C'est à peu près en ces termes que l'on peut résumer une partie des théories épistémologiques de Karl Popper. Les récentes mesures concernant les taux de désintégrations radioactives des noyaux de silicium 32 et de manganèse 54 vont peut-être devenir des exemples classiques des conceptions de sir Popper...

Depuis les conclusions de Rutherford et Chadwick dans leur célèbre ouvrage publié en 1930, Radiations from Radioactive Substances, aucune expérience n'est venu remettre en cause la principe d'une indépendance du taux de désintégrations radioactives selon une loi exponentielle et une constante radioactive fixe pour un noyau instable donné.

Cette règle à l'allure intangible s'appuie un bilan de décennies d'observations montrant l'insensibilité de ces taux à tout phénomène extérieur. Mais ce n'est pas tout. Les mécanismes de la désintégration alpha et de la radioactivité bêta découverts par Gamow et Fermi impliquaient que ni la chaleur ni des champs électriques ou magnétiques auxquels on peut soumettre un noyau, avec des moyens imaginables à l'époque, ne pouvaient modifier ces taux de désintégrations.

Pourtant, deux physiciens américains, Ephraim Fischbach et Jere Jenkins de l'Université de Purdue dans l'Indiana, rapportent, dans plusieurs publications sur Arxiv, avoir observé des variations du taux de désintégrations radioactives de l'ordre de 0,1% du Si32 sur une période s'étendant de 1982 à 1986, et des modulations des taux de désintégrations du Mn54 lors des éruptions solaires de 2006.

Cette année-là, les chercheurs ont retrouvé d'anciennes publications portant sur des expériences réalisées au Brookhaven National Laboratory (BNL), faisant état de modulations annuelles du taux de désintégrations du Si32, avec une demi-vie d'environ 172 ans.

De façon frappante, ces modulations étaient corrélées aux variations de distances entre la Terre et le Soleil. Si les mesures soient fiables, alors les désintégrations sont plus rapides en janvier et plus lentes en juillet, c'est-à-dire respectivement quand la distance entre le Soleil et notre planète est la plus courte puis la plus longue.

Cliquez pour agrandir. Eruptions solaires. Crédit : Nasa/LMSAL
 
Cliquez pour agrandir. Eruptions solaires. Crédit : Nasa/LMSAL

Corrélation apparente ou réelle ?

En surveillant de bizarres fluctuations du taux de désintégrations radioactives du Mn54, Ephraim Fischbach et Jere Jenkins firent alors le lien avec les annonces d'importantes éruptions solaires en 2006. De façon stupéfiante, des pics dans l'activité solaire responsables d'une brutale augmentation du flux de rayons X semblaient assez nettement corrélés avec des baisses du taux de désintégrations radioactives du Mn54, comme le montre le graphique en bas de cet article.

Pour convaincre les sceptiques, le chemin sera long mais les chercheurs ont déjà trouvé un phénomène similaire. Des modulations annuelles du taux de désintégrations du radium 226 ont en effet été observées lors d'une expérience menée pendant 15 ans en Allemagne et qui s'est terminée en 1998.

Alors qu'il reste encore du travail pour vérifier la réalité de l'effet, on peut déjà se pencher sur la signification de ces résultats... qui n'est pas claire du tout. On peut bien sûr penser à de subtiles conséquences de la physique des neutrinos, comme la théorie de l'oscillation des neutrinos solaires, voire des traces d'une nouvelle physique, peut-être de la matière noire. Mais rien ne nous dit qu'un effet beaucoup plus prosaïque n'affecte systématiquement non pas le taux de désintégrations des noyaux mais bien le protocole des mesures.

Il y a quelques années, les physiciens avaient eu la surprise de constater de curieuses fluctuations périodiques, à l'échelle de la journée, au sein des faisceaux d'électrons et de positrons du LEP, au Cern. Vérifications faites, le phénomène était dû... aux marées terrestres qui, en déformant la croûte de la planète, modifiaient les distances entres les aimants de l'accélérateur.