Vendredi 14 avril, la sonde spatiale Juice décollera de Kourou à bord d’une Ariane 5. Le voyage jusqu’à Jupiter et son système durera huit ans. Arnaud Boutonnet, expert en dynamique du vol à l’Agence spatiale européenne (ESA), nous explique le plan de vol.


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    La sonde JuiceJuice (Jupiter Icy Moons Explorer) a pour but d'explorer Jupiter et son système, en particulier les lunes galiléennes glacées Europe, GanymèdeGanymède et CallistoCallisto, afin de caractériser si elles sont habitables. Le plan de vol est le suivant :

    • 14 avril 2023 : décollage du CSG (centre spatial guyanais) ;
    • août 2024 : survolsurvol de la Lune et de la Terre (assistances gravitationnelles) ;
    • août 2025 : survol de VénusVénus (assistance gravitationnelle) ;
    • septembre 2026 : survol de la Terre (assistance gravitationnelle) ;
    • janvier 2029 : survol de la Terre (assistance gravitationnelle) ;
    • juillet 2031 : arrivée dans le système jovienjovien (début de la mission scientifique six mois avant, au cours de l'approche) ;
    • Juice réalise 35 survols d'Europe, Ganymède et Callisto ;
    • décembre 2034 : mise en orbite autour de Ganymède.

    Voir aussi

    Vivez avec nous le 14 avril le lancement événement de la mission Juice vers Jupiter

    Suivez en direct avec Futura le lancement de la mission Juice : le défi spatial de l'Europe ! Juice est un projet ambitieux qui vise à étudier les mystères de Jupiter, cette planète géante, et de ses lunes glacées, en explorant leur composition, leur structure et leur potentiel de vie. © Futura

    Arnaud Boutonnet, expert en dynamique du vol à l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA), répond à nos questions.

    Futura : Pourquoi le voyage de Juice dure-t-il huit ans ?

    Arnaud Boutonnet : La réponse tient en un mot : le lanceur. Quand on a un lanceur très puissant, on fait ce qu'on appelle dans le jargon technique un transfert de Hohmann, c'est-à-dire une demi-ellipse qui part de la Terre jusqu'à JupiterJupiter. Cela prend deux ans et demi. C'est très rapide, mais il faut avoir un lanceur très puissant, comme le SLS (Space Launch System)Ariane 5 n'est pas assez puissante, donc on réalise « des assistances gravitationnelles ». Après plusieurs survols de la Terre, la Lune et Vénus, le dernier survol de la Terre nous permettra de partir vers Jupiter avec les mêmes conditions que nous aurait données le SLS.

    Futura : Comment Vénus est devenue une étape du voyage interplanétaire ?

    Arnaud Boutonnet : Difficile d'utiliser les assistances gravitationnelles de la Terre et Mars comme avec RosettaRosetta car le problème de Mars est que la massemasse est assez faible. Mars est aussi plus loin de Vénus par rapport au SoleilSoleil, et tourne donc plus lentement autour de lui, si bien qu'il faut attendre pour pouvoir se « phaser » avec elle. [Rappel : un voyage court Terre-Mars n'est possible que tous les 26 mois, Ndlr].

    Plan de vol de la mission Juice de l’ESA vers Jupiter et ses lunes. © ESA

    Futura : C’est la première fois que l’on va utiliser la Lune et la Terre comme assistances gravitationnelles, quel est l’apport de la Lune ?

    Arnaud Boutonnet : Quand on fait un survol de la Terre, la trajectoire suit une forme géométrique que l'on appelle hyperbole. On a une certaine vitessevitesse à l'arrivée et le survol change la direction tout en gardant la même vitesse par rapport à la Terre. Mais quand après on regarde la vitesse par rapport au Soleil, on voit qu'on a accéléré. C'est le principe d'une assistance gravitationnelle normale avec la Terre. Maintenant, si vous avez la Lune sur le chemin, vous allez gagner en vitesse par rapport à la Terre, et donc on accélère encore plus par rapport au Soleil. Ça nous évite de demander cela au lanceur par exemple.

    Le plan de vol de Rosetta, avec multiples assistances gravitationnelles au programme. © ESA
    Le plan de vol de Rosetta, avec multiples assistances gravitationnelles au programme. © ESA

    Futura : Avec les survols et quelques manœuvres de corrections de trajectoire, quelle est la part des 3 500 kilos de carburant de la sonde consacrée au voyage interplanétaire ?

    Arnaud Boutonnet : Quelques centaines de kilos.

    Futura : Comment a été construit le plan de vol dans le système jovien, qui propose 35 survols ?

    Arnaud Boutonnet : En fait, nous aurons 30 survols environ. C'est pour répondre aux piliers scientifiques de la mission : survoler Europe, étudier la magnétosphèremagnétosphère de Jupiter depuis une orbite inclinée de 23°, et se mettre en orbite autour de Ganymède. On pourrait régler la vitesse pour accomplir chacun de ces objectifs, mais cela demanderait une quantité incommensurable d'ergolergol. Donc, même principe que pour le voyage interplanétaire : pour arriver en orbite autour de Ganymède par exemple, il faut réduire la taille de la manœuvre. Pour cela, on fait appel à des assistances gravitationnelles avec Ganymède et Callisto. Il faut donc un nombre plus ou moins fixe de survols pour arriver à Ganymède dans les bonnes conditions : entre 6 et 8. Pour se retrouver à 23° d'inclinaison, il faut entre 10 et 15 survols. Pour survoler Europe dans les bonnes conditions, il en faut 6. On totalise donc à peu près 30 survols, plus ou moins cinq.

    Des moteurs auxiliaires de la sonde en salle blanche. © Daniel Chrétien, Futura
    Des moteurs auxiliaires de la sonde en salle blanche. © Daniel Chrétien, Futura

    Futura : Peut-on espérer survoler d’autres lunes de Jupiter, comme Io, ou d’autres plus petites ?

    Arnaud Boutonnet :  On ne va pas voir IoIo à cause des radiations. Ça nous coûte déjà beaucoup d'aller voir Europe. La quasi-totalité des autres lunes est très éloignée. La seule chance de les voir est pendant notre arrivée à Jupiter. On a très peu de liberté sur cette partie du trajet, on a regardé si par hasard on aurait la chance d'en croiser une, et ce n'est pas le cas.

    Sous-systèmes indispensables pour la sonde : les senseurs stellaires. Juice se repère par rapport aux étoiles. Il y en a trois, pointant dans trois directions différentes. © Daniel Chrétien, Futura
    Sous-systèmes indispensables pour la sonde : les senseurs stellaires. Juice se repère par rapport aux étoiles. Il y en a trois, pointant dans trois directions différentes. © Daniel Chrétien, Futura

    Futura : Comment dresse-t-on un plan de vol comme celui de Juice ?

    Arnaud Boutonnet : C'est en deux étapes. La première s'appelle la recherche globale. C'est un peu comme se demander quel est le plus haut sommet des Pyrénées. Vous allez dans un premier temps présélectionner ceux qui vous paraissent les plus hauts. Ensuite, vous faites un énorme zoom sur chacun d'eux, en tenant compte d'un relief précis pour avoir une mesure exacte de leur hauteur. On fait pareil. Dans un premier temps on a des outils de recherche globale pour nous donner les meilleurs [plans de vol] candidats, avec une modélisationmodélisation de la dynamique qui simplifie, avec par exemple un nombre de manœuvres limité. Ensuite, on passe à l'optimisation fine où on utilise des outils complètement différents qui, à partir d'un point de départpoint de départ, nous donnent un minimum local, en autorisant des manœuvres à plein d'endroits avec une modélisation très précise. Pour la première étape, les calculs que l'on lance en parallèle sur des serveursserveurs vont durer plusieurs jours. Ensuite, quand on prend les candidats pour les optimiser localement, ça dure quelques dizaines de minutes.

    Futura : Quel est l’héritage des dernières missions interplanétaires de l’ESA (Rosetta, Bepicolombo, Solar Orbiter) dans le plan de vol de Juice ?

    Arnaud Boutonnet : On utilise les méthodes et les outils qui nous permettent de faire de l'optimisation globale. La partie novatrice avec Juice, où nous sommes partis d'une feuille blanche il y a 15 ans, c'est autour de Jupiter. Là, c'était quasiment de la recherche. On a énormément publié. C'était le gros défi de Juice.

    Le centre des opérations de l'ESA, l'Esoc, où sera pilotée et suivie Juice pendant tout son périple et depuis la première réception de télémesures. © ESA
    Le centre des opérations de l'ESA, l'Esoc, où sera pilotée et suivie Juice pendant tout son périple et depuis la première réception de télémesures. © ESA

    Futura : Quelle liberté nous permettra un vol « parfait » d’Ariane 5, à l’instar de celui qui a permis de doubler l’espérance de vie du James-Webb ?

    Arnaud Boutonnet : La marge que l'on a prévue n'est pas énorme en réalité. Par contre, là où nous aurons énormément à gagner, c'est sur la fenêtrefenêtre de tir. Celle de Juice démarre le 13 avril et finit le 30. Le plan de vol le plus optimisé devait nous faire partir initialement le 11 avril. Plus on s'éloignera de cette date, plus le coût en ergols augmentera, et très rapidement. Il y a une énorme différence en budget carburant entre un tir qui a lieu le 13 et un le 30. Si on tire le 13, on pourra faire un changement d'orbite autour de Ganymède.

    Futura : Pourquoi l’heure de décollage ne peut souffrir aucun retard ?

    Arnaud Boutonnet : La trajectoire interplanétaire optimisée doit nous faire partir dans une direction très précise, à la seconde près. Si on part 10 secondes plus tard, on mangera du carburant pour corriger ça.

    Diplômé de l'ISAE Supaero, Arnaud Boutonnet a dirigé l'analyse de mission de Juice, et l'élaboration du plan de vol. © ESA, American Astronautical Society
    Diplômé de l'ISAE Supaero, Arnaud Boutonnet a dirigé l'analyse de mission de Juice, et l'élaboration du plan de vol. © ESA, American Astronautical Society