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Un de mes amis d'enfance a repris connaissance un jour dans son lit, et avec une jambe ensanglantée. Sortant avec peine de sa maison, il aperçut dans la cour sa mobylette toute tordue. De toute évidence, il avait eu un accidentaccident, mais ne se souvenait de rien et ne s'en est plus jamais souvenu. Voici un cas typique d'amnésieamnésie rétrograde, ou amnésie sur la période précédant l'épisode accidentel. Cela nous permet de mieux comprendre la constructionconstruction des souvenirs via la potientialisation à long terme.
La construction des souvenirs se fait via la potientialisation à long terme. Ici, un neurone actif. © Sebastian Kaulitzki, Shutterstock
L'amnésie rétrograde est connue depuis fort longtemps, et est décrite par Théodule Ribot dans Les maladies de la mémoire (1901 ; première édition en 1881), à propos d'un homme tombé de cheval. Une grande enquête sur 1.000 cas par Russell et Nathan (1946) montra que 700 patients furent victimes d'une amnésie rétrograde portant sur moins d'une demi-heure, quelques instants le plus souvent, et 133 eurent une amnésie sur une période supérieure.
De nombreuses expériences ont été élaborées pour trouver la durée critique au-delà de laquelle le souvenir est conservé. Bloch, Deweer et Hennevin (1970) ont utilisé par exemple une anesthésieanesthésie chez le rat, et leurs résultats indiquent qu'il n'y a plus d'oubli rétrograde si la narcose intervient entre une minute et demie et six minutes après un apprentissage. Au-delà, il n'y a plus oubli. Ces chercheurs ont ainsi supposé que l'enregistrement en mémoire se prolongeait par des mécanismes biologiques de consolidation. Lorsque ceux-ci sont perturbés, il y a amnésie rétrograde. On connaît à présent mieux la nature de ces mécanismes de consolidation mnésique, de la potentialisation à long terme à la poussée de boutons synaptiques qui assurent une plus grande répartition des connexions entre neuronesneurones.
La potentialisation à long terme
La potentialisation à long terme (ou LTP, long term potentiation) est probablement le mécanisme de départ de la « machinerie » de l'apprentissage au niveau de la synapse, l'aiguillage entre neurones. L'activation d'un neurone aboutit à la libération d'un neurotransmetteurneurotransmetteur, le glutamateglutamate. Le glutamate sert en quelque sorte de clé pour ouvrir la « serrure » de la dendritedendrite (prolongement d'entrée du neurone) du neurone voisin. Un récepteur très particulier a été découvert : il jouerait le rôle de « mémoire » au niveau du neurone. Il s'appelle le récepteur NMDA (N-méthyl-D-aspartateaspartate). Lorsque la clé « glutamate » ouvre la serrure « NMDA », la vanne du récepteur s'ouvre et laisse sortir des ions magnésium, mais un flot d'ions calcium s'engouffre à l'intérieur du neurone. Or, l'ion calcium (Ca2+ pour ceux qui ont des souvenirs de chimie) est un messager qui active une cascade d'enzymesenzymes ; par exemple, la calmoduline devient active quand quatre ions calcium s'y fixent. Ce mécanisme permet la prolongation de l'ouverture des récepteurs, et donc l'activité synaptique. La LTP permet ainsi une « mémoire à court terme » pouvant durer jusqu'à 20 minutes... Mais c'est suffisant pour enclencher d'autres mécanismes qui vont durer jusqu'à cinq heures. Pendant cette durée, les dendrites vont pousser, un peu comme les racines d'une plante, pour faire d'autres ramifications vers le neurone envoyeur, et assurer ainsi une communication plus forte et durable. Cette fois, ce sont des modifications persistantes qui forment la mémoire à long terme.
Avant l'apprentissage, les dendrites des neurones sont simples, comme des racines d'une fleur que vous venez de planter. Avec l'apprentissage (qui produit des excitations répétées), le mécanisme de LTP entraîne des duplications d'épines dendritiques jusqu'à un système très dense, comme des racines d'une plante envahissant tout un pot. Et ce sont ces connexions durables qui font la mémoire à long terme.