À l'occasion des 20 ans de Futura et de la Journée mondiale contre le gaspillage alimentaire, Bruno Parmentier, l'ingénieur et économiste spécialisé dans les questions agricoles et alimentaires, s'associe à la rédaction pour vous proposer, tout au long de cette journée spéciale, des sujets qui suscitent de nombreuses questions et débats au sein de la communauté.


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    Une fois de plus, Madagascar est touchée par la famine. La plus dramatique depuis des décennies. Un demi-million d'enfants âgés de moins de 5 ans vont souffrir de malnutrition, surtout dans le sud de l'île, ont alerté le Programme alimentaire mondial (PAM) et l'Unicef en juillet 2021, et plus d'un million de personnes sont en état d'insécurité alimentaire grave. Pourtant, le pays jouit de plus de cinq climatsclimats différents et de productions suffisantes, voire excédentaires, pour les habitants locaux dans certaines régions. Alors, comment expliquer la famine qui touche le pays ? 

    La région touchée par la famine actuellement est celle qui souffre d'un climat des plus arides, au sud du pays. Mais rien n'est réellement nouveau : « la zone géographique concernée est frappée depuis très longtemps par des problèmes alimentaires. C'est un triangle de sécheressesécheresse ancien avec un fort déficit de précipitationsprécipitations », affirme Sylvie Brunel, géographe. En bref, le réchauffement climatique ne fait qu'aggraver un problème déjà existant. La véritable cause de ces famines semble avoir une autre origine.

    Un problème politique

    Le problème malgache de la famine se situe à un niveau politique. Comme le montre Bastien Serre dans une thèse soutenue en 2017, la corruption fait rage dans ce pays et la lutte contre cette dernière est un véritable parcours du combattant. En effet, selon Sylvie Brunel, le problème de cette région n'est pas immuable : « La question pourrait être réglée par des aménagements agricoles et hydrauliques mais le gouvernement malgache est totalement défaillant. L'état désastreux des routes fait que les populations concernées sont enclavées. Par conséquent, le rééquilibrage avec les régions excédentaires et l'aide ne peuvent pas se faire. » Les famines successives qui frappent cette région de Madagascar ne sont donc pas vraiment un problème de faisabilité technique mais bien de volonté politique.

    Découvrez également l'interview audio menée avec Bruno ParmentierBruno Parmentier sur le thème des ressources et de la faim dans le monde. © Futura

    Cette île souffre d'abord d'une quasi-absence d'État : administration, police et justice, éducation et santé, infrastructures de transport sont exsangues ou inexistantes, et la corruption règne à tous les niveaux. Résultat, les rendements agricoles sont dramatiquement bas. Concernant la nourriture principale, en moyenne 2,45 tonnes de riz à l’hectare (contre huit tonnes en Égypte !), et le pays n'a pas les moyens d'en importer suffisamment ni de mettre les rares stocks à disposition dans les zones reculées - alors même qu'il existe sur place des techniques à très faible investissement, comme les systèmes dits de « riziculture intensive » qui permettent de produire localement cinq tonnes à l'hectare.

    Bastien Serre, docteur en droit et spécialiste de la situation malgache nous précise que « les difficultés résident surtout dans l'applicationapplication des textes de loi. Il existe une corruption systémique telle que le droit n'est qu'une barrière de papier face à cette dernière. Une récente enquête de l'ONG Transparency International dénonçait récemment des faits de corruption durant la distribution des aides sociales liées à la pandémie. »

    La corruption fait également des dégâts au niveau agricole et logistique : « le secteur agricole emploie 80 % de la population active mais ne contribue qu'à 30 % du PIBPIB car la productivité est très faible à cause de structures et de comportements inadaptés. Le secteur foncier et des domaines est, selon les statistiques du Bureau Indépendant anticorruption, un des secteurs les plus visés par les dénonciations de faits de corruptions. La captation des fonds à des fins privées et l'impunité généralisée, par exemple envers les auteurs de déforestationdéforestation (qui participe à l'assèchement des sols et aux tempêtestempêtes de sablesable) sont à l'origine de la situation dramatique que connaît le sud du pays actuellement », déplore Bastien Serre.

    Le climat politique à Madagascar n'est pas de bon augure pour la population pauvre. © Zerophoto, Adobe Stock
    Le climat politique à Madagascar n'est pas de bon augure pour la population pauvre. © Zerophoto, Adobe Stock

    Au-delà du climat terrestre

    S'il ne fait aucun doute que le problème climatique entrave l'autonomieautonomie de ces régions touchées par les épisodes de famine, des infrastructures adaptées, tant au niveau agricole (pour lutter contre la sécheresse) qu'au niveau logistique (pour permettre une importation des ressources par les autres régions et l'aide internationale) pourraient le résoudre en partie. Se pose alors la question de la situation politique du pays. Cette dernière est encore loin d'être stable, comme le décrit Solofo Randrianja, Professeur d'histoire à l'université de Toamasina, à Madagascar, dans The Conversation

    De l'utilisation de méthodes extra-constitutionnelles par le gouvernement en exercice, aux supposées tentatives de putsch, le climat politique est tendu. Surtout lorsqu'on sait que des doutes planent dans la façon dont le Président malgache actuel a acquis le pouvoir. Certains des investissements économiques du gouvernement posent également question (par exemple, la constructionconstruction de salles de sport qui ne reflètent en rien les besoins vitaux de la population pauvre). Sa gestion de la pandémie de Covid-19, en vantant l'efficacité de remèdes dont l'efficacité n'est pas supportée par un faisceau de preuves suffisant, a également été désastreuse. Pour Bastien Serre, « le nouveau gouvernement Ntsay, le quatrième depuis juin 2018, n'est qu'une nouvelle mouture d'une même offre politique. L'introduction d'une meilleure représentativité régionale ne semble, à elle seule, pas en mesure de résoudre les maux qui gangrènent l'île : pauvreté, infrastructure défaillante, corruption etc. ». Néanmoins, il nuance sa position : « il serait toutefois malhonnête de condamner ce gouvernement par anticipation et on ne peut qu'espérer sa réussite, à travers une volonté politique forte, tant la grande île et ses habitants méritent d'accéder à un développement économique réduisant la pauvreté et assurant une sécurité alimentaire. »

    Malnutrition : une prévalence qui croît dangereusement

    Si le problème de la famine existe depuis longtemps, il s'aggrave. Les organismes humanitaires décrivent une situation inédite et un taux de malnutrition qui ne fait qu'augmenter chez les enfants. Médecins sans frontière (MSF) mène actuellement des campagnes de dépistage et de prise en charge chez les personnes qui en souffrent depuis mars 2021. Anais Prudent, cheffe de mission qui coordonne actuellement les actions de MSF à Madagascar raconte l'évolution de la situation depuis leur arrivée : « les premiers mois ont été très chargés. Nous avons déployé 15 sites de cliniques mobilesmobiles pour répondre aux besoins de la population. Il y a eu quelques améliorations lorsque certaines récoltes ont eu lieu mais nous restons très vigilants car nous allons maintenant entrer dans la période de souduresoudure (la période entre la fin des réserves alimentaires et l'attente de la nouvelle récolte, ndlr) ».

    Les équipes coordonnées par Anais Prudent sont présentes dans la région du sud au sein de deux districts : Amboasary-Sud dans la région d'Anosy et Ambovombe dans la région d'Androy. Leurs missions consistent à prendre en charge les enfants et les adultes souffrant de malnutrition mais pas uniquement : « lorsque l'on prend en charge la malnutrition, on soigne également les pathologies associées comme le paludismepaludisme, des infections respiratoires ou encore des parasitosesparasitoses intestinales », détaille Anais Prudent. 

    En plus de prodiguer du soin, les équipes doivent s'assurer de bien communiquer. En effet, ils interviennent principalement au sein de zones de vide sanitaire où les populations locales n'ont pas l'habitude d'être prises en charge, « les rumeurs peuvent circuler très vite dans les régions où nous intervenons. Il faut être très vigilant dans notre manière d'intervenir et toujours bien expliciter ce qu'on fait et pourquoi on le fait », explique Anais Prudent. 

    Mais les interventions à Madagascar sont loin d'être aisées. Pour Anais Prudent, c'est la première fois à Madagascar bien qu'elle ait réalisé d'autres missions par le passé : « les collègues vous préviennent avant d'y aller que la géodémographie du pays est un vrai casse-tête mais avant d'être sur place vous ne pouvez pas comprendre à quel point c'est vrai », déplore la cheffe de mission de Médecin sans frontière.

    Elle raconte que les populations sont éparpillées dans de tout petits hameaux, ce qui rend difficile le choix de positionnement des cliniques mobiles : « il faut couvrir les zones de vides sanitaires, donc ne pas être trop proche d'une structure de santé pour ne pas faire doublon et en même temps ne pas être trop loin des villages pour éviter de faire marcher les personnes malades », explique-t-elle. Du côté de la logistique et des moyens humains, les difficultés persistent concernant le forage de l'eau et la recherche de personnels qualifiés prêts à s'investir dans de telles missions. 

    Malheureusement, tous ces efforts risquent d'être insuffisants. En effet, selon le programme alimentaire mondial, la malnutrition devrait quadrupler d'ici peu à cause du manque de ressources et de l'aide internationale qui ne parvient pas toujours à bon port. La collaboration des acteurs humanitaires et du gouvernement malgache à long terme est essentielle si l'on souhaite voir les habitants pauvres de ce pays sortir de ce calvaire qui semble se répéter inéluctablement.

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