Concernant le cancer et l'alimentation, on entend beaucoup de choses. Mais que connaissons-nous réellement sur la validité scientifique des énoncés qu'on nous présente ? Un récent rapport conduit par l’Institut national du cancer nous aide à y voir plus clair.
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C'est le sujet où prospèrent et gangrènent tous les nouveaux gourous de l'alimentation : le cancer. Ils peuvent tout guérir grâce au mode de vie. Pour les combattre, une seule arme à notre disposition : la science et sa méthode. Certes, elle est moins réjouissante car elle ne possède pas toutes les réponses. Aussi, elle ne nous dit pas forcément ce que nous voulions ou aurions besoin d'entendre. Mais ne vous y trompez pas : pour lutter contre le caractère parfois impitoyable du réel, se bercer d'illusions ne sert à rien. Afin de combattre des maladies aussi graves, il faut apprendre à les connaître. Nous devons étudier minutieusement les données en notre possession, pour savoir ce que nous savons et ce que nous ne savons pas. Cela afin de nous guider, selon nos objectifs, vers ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas faire.
Un récent rapport publié par l'Institut national du cancer (Inca) nous aide à y voir plus clair sur les questions concernant les différents types de cancer et l'impact de certains facteurs nutritionnels pendant et après la maladie.
L'objectif du rapport
Cette analyse part des recommandations émanant d'un rapport datant de 2012, rédigé par l'American Cancer Society (ACS). L'objectif de ce dernier était de formuler des lignes directrices concernant le mode de vie pour les patients atteints de cancer.
Après avoir publié plusieurs rapports d'une importance cruciale sur le cancer et l'activité physique, le tabac, le jeûne et les régimes restrictifs, c'est tout naturellement et dans la continuité de sa démarche que l'Inca s'est penché sur la question des facteurs nutritionnels et de leur influence pendant et après la survenue d'un cancer. L'objectif final était d'actualiser les recommandations de l'ACS et d'orienter les professionnels de santé dans la prise en charge de leurs patients.
Ce que nous dit la science
Après un travail de Sisyphe au sein de la littérature scientifique, les experts sont parvenus à réunir 63 méta-analyses, 22 analyses poolées, 65 essais d'intervention et 93 études de cohorte. Chacun de ces articles était pertinent compte tenu des critères d'inclusion (étudier uniquement les personnes après le diagnostic du cancer et uniquement les paramètres suivants : mortalité globale et spécifique, récidive, second cancer primitif, progression et qualité de vie) qu'avaient déterminés les scientifiques en amont. Les investigateurs ont alors entamé une analyse de chaque facteur cancer par cancer avec une élaboration d'un niveau de preuve associé. Voici ce qu'il faut retenir.
Surcharge pondérale et dénutrition
L'obésité est un facteur de risquefacteur de risque concernant :
- la mortalité globale, spécifique, le risque de récidive et la survenue d'un second cancer primitif dans le cadre d'un cancer du seincancer du sein (niveau de preuve convaincant).
- la mortalité globale et le risque de récidive d'un cancer du côloncancer du côlon et/ou du rectumrectum (niveau de preuve convaincant). À l'inverse, le surpoidssurpoids n'augmente ni ne diminue le risque de récidive de ce type de cancer.
- la mortalité globale et spécifique du cancer du reincancer du rein (niveau de preuve probable).
Le surpoids, l'obésitéobésité et la prise de poids réduisent les risques :
- de mortalité globale et spécifique dans le cadre du cancer du poumoncancer du poumon (niveau de preuve convaincant). Pour le cancer de l'œsophageœsophage, elle réduit aussi la mortalité globale uniquement (niveau de preuve probable).
- de mortalité spécifique pour les cancers de l'estomaccancers de l'estomac (niveau de preuve suggéré). Pour le cancer du rein, le surpoids augmente le risque de mortalité globale (niveau de preuve probable).
L'insuffisance pondérale, quant à elle, est néfaste dans tous les cas. Elle augmente les risques :
- de mortalité globale, de récidive et de progression tumorale pour les cancers du côlon et du rectum (niveau de preuve probable).
- de mortalité globale (niveau de preuve probable) et de mortalité spécifique (niveau de preuve suggéré) pour le cancer du poumon.
- de mortalité globale et de progression du cancer du col de l'utéruscancer du col de l'utérus et les cancers hématologiques (niveau de preuve suggéré).
La sarcopénie - la perte de massemasse maigre - augmente le risque de mortalité globale pour les cancers de l'œsophage, du pancréaspancréas, du foiefoie (et de la récidive pour ce dernier), de l'estomac (et de la mortalité spécifique et de la récidive pour celui-ci). Le niveau de preuve est probable pour chacun de ces énoncés.
L'alcool
Curieusement, très peu de données concluantes sont disponibles pour la consommation de boissons alcoolisées. Ce que le rapport conclut grâce aux données de la littérature, c'est à une augmentation du risque (niveau de preuve probable) de second cancer primitif pour les cancers des voies aérodigestives supérieures.
Les aliments et macro-nutriments seuls
Des protéinesprotéines aux fibres, du sojasoja aux produits laitiers, de nombreux aliments et nutrimentsnutriments ont été étudiés en relation avec le cancer. Des résultats sont disponibles pour le cancer du sein, du côlon et du rectum, de la prostateprostate, de la tête et du cou, du poumon et tous cancers confondus.
Commençons par la grande question du soja et du cancer du sein. Le rapport mentionne une réduction du risque (niveau de preuve suggéré) sur des populations asiatiques, américaines, canadiennes et australiennes. Pour autant, dans les recommandations, les experts n'encouragent pas à la consommation de soja en l'absence d'indication médicale notamment à cause de l'absence de précision sur la posologie et la fréquence de consommation.
La consommation de fruits et légumes, vantés pour leur jus par les gourous new age, n'est associée à aucune réduction du risque cancer du sein et de cancer toutes localisations confondues. Cependant, la consommation de fibres quant à elle, est bénéfique (niveau de preuve probable) dans le cadre du cancer du sein et dans le cancer colorectalcancer colorectal. Pour le cancer de la prostatecancer de la prostate, il faut retenir uniquement la possibilité d'un caractère protecteur des graisses végétales (niveau de preuve suggéré) et aggravant pour les graisses saturées (niveau de preuve suggéré) compte tenu de la concordance des résultats d'études d'observation. La consommation de café pourrait participer à réduire la mortalité globale des cancers du côlon et du rectum mais le niveau de preuve est seulement suggéré.
En conclusion, les résultats sérieux entre alimentation pendant et après le cancer manquent cruellement. Mais est-ce vraiment judicieux d'étudier l'impact des aliments par aliment ? En effet, nous ne mangeons pas des aliments isolés. Une nouvelle pratique s'est alors développée : l'étude sur les stylesstyles alimentaires.
L'alimentation globale
Pléthore de styles alimentaires existent selon les cultures, la situation géographique, l'accès aux aliments, etc. et certains d'entre eux ont été conceptualisés pour pouvoir être étudiés scientifiquement. On connaît alors le régime méditerranéen, pauvre en graisses, anti-inflammatoireanti-inflammatoire (ou à l'inverse pro-inflammatoire), adhérent aux recommandations nutritionnelles ou encore à faible index/charge glycémique.
Concernant le cancer du sein, limiter la quantité de graisse dans l'alimentation diminuerait le risque de mortalité globale et la récidive (niveau de preuve probable). Pour les autres cancers, les études sont de trop mauvaise qualité ou trop peu nombreuses pour conclure quoi que ce soit empiriquement. Suivre autant que faire se peut les recommandations nutritionnelles est néanmoins conseillé.
Les conseils nutritionnels
Les seuls conseils nutritionnels avec un niveau de preuve suggéré sont ceux qui ont pour objectif de limiter la perte de poids, notamment pour le risque de mortalité spécifique et de récidive dans les cancers du côlon et du rectum.
Champignons, plantes et compléments alimentaires
On nous vante leur mérite, souvent pour de mauvaises raisons. Une carencecarence imaginaire diagnostiquée par des critères obsolètes, « boosterbooster » notre métabolismemétabolisme pour l'hiverhiver, nous protéger des infections, etc. Ce marketing sournois surfe entre la rhétorique du bien-être et les preuves scientifiques de faible qualité. Il faut donc y prendre garde.
Néanmoins, nous savons des choses. La supplémentation en vitamine Cvitamine C, par exemple, possède un niveau de preuve probable dans la réduction du risque de mortalité globale et spécifique dans le cadre du cancer du sein. La supplémentation en vitamine D et E possède un niveau de preuve suggéré concernant la protection contre la récidive de ce cancer. La supplémentation en acides aminésacides aminés à chaîne ramifiée réduirait le risque de mortalité global du cancer du foiecancer du foie (niveau de preuve suggéré).
La prise de Coriolus versicolor sous forme d'extraits réduirait le risque de mortalité global du cancer du sein, des cancers du côlon et rectum et du cancer de l'estomac (niveau de preuve suggéré). Les décoctions de Jianpi Qushi et Jianpi Jiedu amélioreraient la qualité de vie des patients atteints ou en rémissionrémission des cancers du côlon et du rectum (niveau de preuve suggéré). Comme pour le soja dans le cadre du cancer du sein, les experts n'encouragent pas à la consommation de ces produits en l'absence d'indication médicale notamment à cause de l'absence de précision sur la posologie et la fréquence de consommation.
Vers la recherche et au-delà
Les recherches conduites jusqu'à présent ont du mal à obtenir des résultats concluants sur l'ensemble des facteurs nutritionnels et le cancer. Nous avons besoin de plus de recherche de qualité. Les auteurs du rapport appellent à des études plus dirigées au moment du diagnostic du cancer, avec des temporalités précises, pour réellement savoir que faire et à quel moment. Certains facteurs ont été étudiés uniquement chez un seul type de population. Il serait bon de répliquer les expériences aux quatre coins du globe afin de pouvoir posséder des résultats robustes pour le monde entier. Aussi, les preuves mécanistes ont été ignorées dans le rapport alors qu'elles peuvent servir dans l'élaboration du niveau de preuve.
Ce rapport donne des informations précieuses aux professionnels de santé sur ce que nous savons et ce que nous ne savons pas. Si l'on est sensibilisé à la démarche scientifique, ce dernier pourra participer à contrer les beaux discours de personnes prétendant posséder toutes les réponses. Il apprend aussi à tout un chacun comment fonctionne la science, qui plus est la science médicale. En sciences médicales, il y a rarement d'absolu. On entend rarement ça marche (absolument) ou ça ne marche pas (absolument, hormis pour les granules homéopathiques). Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de réponse absolue. C'est peut-être tout simplement la conséquence de la mesure de notre ignorance. Les affirmations actuelles se construisent via un faisceau de preuves comprenant des essais contrôlés tentant de cerner des relations de causalité et des études d'observation tentant de cerner la réalité complexe avec ses variables et ses conditions d'observation diverses.
Que faire dans la « vraie vie » ?
La démarche scientifique est bien gentille, mais que faire si le cancer me touche, ici et maintenant ? Que vais-je faire d'un niveau de preuve suggéré ou d'une absence de données suffisantes pour conclure ? Nous pensons que c'est, en partie, cette détresse lors du diagnostic de la maladie qu'exploitent les nouveaux gourous de l'alimentation. Il est donc d'autant plus important d'adapter son discours et ses conseils à la demande du patient. Évidemment, il ne faut pas lui dire n'importe quoi. Mais grâce à ce type de rapport, il est possible d'orienter le patient pour qu'il devienne acteur de son soin. Mieux vaut un patient acteur de son soin au sein de la communauté médicale qu'entre les griffes d'individus aux discours nauséabonds et dangereux.