En France, un repas sur cinq est pris hors domicile et 7,3 milliards de repas sont servis en moyenne chaque année en restauration collective. Avec le réchauffement climatique, les pratiques d’approvisionnement ainsi que les menus de ce secteur vont devoir évoluer fortement, pour répondre à la réalité du terrain et aux nouvelles exigences sociétales.
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Cet article fait suite à une intervention que j'ai faite le 23 mai 2024 au congrès annuel de la restauration universitaire. Les 940 restaurants des dits « Crous » servent 35 millions de repas par an (dont près de 20 millions au tarif symbolique de 1 € !).
L’agriculture est fortement menacée par le dérèglement climatique...
C'est une évidence de dire que ce que l'on sert à la cantine a été au préalable produit par des agriculteurs, des éleveurs et des pêcheurs ! Or ce sont précisément les secteurs qui vont être les plus menacés par les problèmes de la planète : réchauffement, baisse de la biodiversitébiodiversité, épuisement des ressources, etc., comme je l'ai détaillé dans mes articles sur l'agricultureagriculture victime du réchauffement, ou sur la fin de la pêchepêche.
... Les restaurateurs devront changer certains fournisseurs
Concrètement la France est en quelque sorte coupée en deux par une ligne-frontière qui va de Bordeaux à Grenoble en passant par Nîmes. Au sud de cette ligne, quoi qu'il arrive, on produira moins... Un peu moins certes, mais les producteurs locaux ne pourront plus assurer régulièrement leurs livraisons dans les mêmes quantités, et il faudra bien trouver d'autres fournisseurs plus au nord. Mais si on va plus au sud, les baisses de production risquent d'être drastiques.
L'Espagne par exemple, ou le Maroc, grands pourvoyeurs de fruits et légumes pour toute l'Europe, ne pourront plus assurer cette fonction durablement, et il faudra bien un jour repasser à la tomatetomate ou au concombreconcombre de l'ouest de la France, si les maraîchersmaraîchers de ces régions savent saisir ces opportunités. Plus proche de nous, un département se trouve d'ores et déjà en situation critique : les Pyrénées-Orientales, dont le régime des pluies depuis quelques années est devenu proche de celui du Sahel. Il est malheureusement probable que dans quelques années il n'y aura plus de vergers autour de Perpignan et qu'il faudra produire ailleurs les pêches et les abricotsabricots... En matièrematière de viticulture, il y a des raisons de douter de la permanence de la production de vin en Sicile, mais de nouveaux concurrents sont en train de s'installer en Angleterre et au Danemark !
De même, la montée des eaux des océans, conjuguée à la violence des pluies, va neutraliser tôt ou tard des surfaces aujourd'hui consacrées à l'agriculture. Nous aussi, en France, allons avoir nos réfugiés climatiques le long de certaines de nos côtes, en Aquitaine, Pays de la Loire, Normandie, Nord-Pas-de-Calais ou Languedoc.
L'agriculture est également un secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre...
Mais ce n'est pas tout, non seulement les agriculteurs devront trouver les moyens de continuer à produire malgré le réchauffement, mais on ne peut négliger le fait que ce secteur est également fortement émetteur de gaz à effet de serregaz à effet de serre, comme je l'ai détaillé dans mon dossier « L’agriculture cause du réchauffement climatique. Près du quart de nos émissionsémissions est issu de notre assiette. Là, le choix principal consiste à faire évoluer nos menus, et en particulier diminuer fortement notre consommation de viande bovine et de laitages. En effet, comme je l'ai détaillé dans le dossier « Les vaches menacent-elles notre avenir climatique », chaque vachevache réchauffe autant la planète qu'une voiturevoiture, or il y en a 1,7 milliard sur Terre !
... Les restaurateurs devront choisir des aliments qui réchauffent moins la planète
La solution sur ce terrain réside principalement dans l'évolution des menus de nos restaurants, tous accros à la viande et aux laitages. Passer du « bœuf carottescarottes » aux « carottes au bœuf », servir moins souvent de la viande rouge, privilégier le yaourt à la crème (laquelle consomme 10 fois plus de lait), revenir plus souvent aux protéines végétales, et faire de vrais efforts de gastronomie végétariennevégétarienne... autant d'indispensables.
Il conviendra également de comprendre que, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le « local » influe peu sur la quantité de gaz à effet de serre. En la matière, sauf dans le cas du transport par avion, les conditions de production et de conservation des aliments pèsent beaucoup plus que le transport final. Deux exemples : les pommes se récoltent en septembre et octobre, et on en sert toute l'année dans les cantines. À partir du mois d'avril, les pommes du Chili qui ont traversé le canal de Panama pèsent moins de gaz à effet de serre que celles de Normandie qui ont passé six mois en chambre froide.
De même, le gigot d'agneau de Nouvelle-Zélande, arrivé surgelé par bateau, à partir d'un animal élevé 365 jours par an - en plein airair sur des prairies naturelles - réchauffe moins la planète que celui du Limousin qui, lui, passe cinq mois par an enfermé dans la bergerie à manger de la nourriture pour une bonne part achetée.
Il est à prévoir que dans un avenir proche, il n'y aura plus un seul restaurant collectif qui n'affichera pas quotidiennement le poids de gaz à effet de serre de son menu du jour. Les éléments pour le calculer sont actuellement mis au point, comme je l'ai détaillé dans mon dossier sur « La révolution des labels pour mieux manger ».
Pour les restaurateurs, l'association « Bon pour le climat » par exemple met en ligne son « éco-calculateur » qui permet de calculer un poids d'équivalent CO2 d'un menu en entrant chaque ingrédient et le mode de préparation. Gageons que justement les restaurants universitaires devront avancer plus rapidement que les autres dans cette voie, vu la grande sensibilité de leurs usagers à ces questions de réchauffement...
L'agriculture est aussi une solution au réchauffement...
Mais ce n'est pas tout : non seulement il conviendrait de moins réchauffer la planète, mais il faut également... la refroidir ! Pour cela l'agriculture a également un rôle à jouer pour reprendre le gaz carboniquegaz carbonique de l'atmosphèreatmosphère et enfouir son carbonecarbone dans le sol, comme je l'ai détaillé dans mon dossier « L’agriculture, solution au réchauffement climatique ».
Comment fait-on pour refroidir la planète ? On plante des arbres et des haieshaies, on arrête de labourer, on couvre le sol en permanence, on plante des légumineuses qui captent naturellement l'azoteazote de l'air et permettent de se passer des engrais azotés fort délétères, etc.
Et là, il ne s'agit plus de classer les différents aliments les uns par rapport aux autres, mais les différentes exploitations agricoles. Car par exemple le bléblé n'a pas un poids unique de gaz à effet de serre ; il y a bien blé et blé. Les questions, par exemple, à se poser à ce sujet sont :
- Y a-t-il des haies autour du champ ?
- A-t-il été labouré ou pas ?
- A-t-il été irrigué ou pas ?
- Quelles rotations de plantes ont précédé la culture ?
- Le blé a-t-il été associé à des légumineuses ?
Dans le cas du lait, il importe de savoir la part de ce qu'a mangé la vache qui a été produite sur place, combien de mois a-t-elle passé sur un pré, s'il y a des haies autour du pré, si elle a mangé des aliments qui diminuent ses émissions de méthane, etc.
... Les restaurateurs devront choisir des fournisseurs qui refroidissent la planète
Ce n'est donc pas le produit en tant que tel que l'on devrait labelliser, mais la ferme et le fermier ! On commence à pouvoir le faire avec l'apparition du label bas-carbone.
Bref, bonjour la complexité ! Mais si on veut que la société bouge, les cantines scolaires et les restaurants universitaires se devraient d'être à la pointe des innovations sur ce sujet, ils ne devraient plus s'approvisionner « comme ils ont toujours fait » et inventer en priorité cet avenir plus souhaitable dont les générations futures ont le plus grand besoin !
Verra-t-on des associations de parents d'élèves revendiquer à la fois que le prix du ticket de cantine ne soit pas trop élevé et qu'on y mange de la nourriture locale et qui ne réchauffe pas la planète ? Et verra-t-on des municipalités et des universités annoncer fièrement lors de leur bilan : « ici, nos cantines ont arrêté de réchauffer la planète » ?