Des publications récentes ont tenté de nous faire croire que nos fruits et légumes (non bio) étaient bourrés de pesticides ! Certains sont même allés jusqu'à écrire que les résidus de pesticides pourraient annuler le bénéfice sanitaire des fruits et légumes. Une accusation particulièrement grave en cette saison, où arrivent enfin sur les étals les fruits et légumes de saison, et à un moment où les Français font beaucoup plus attention à leurs achats alimentaires à cause de la reprise de l'inflation.
au sommaire
Bien sûr, il n'en est rien ! Mangeons des fruits et des légumes, autant que nous le pouvons, ça reste excellent pour la santé, surtout s'ils sont frais et locaux, crus ou cuits de toutes les façons, mais même en conserves ou surgelés. Au moins cinq parts de fruits et légumes par jour, on ne le répétera jamais assez, bio ou traditionnels ! Tentons de comprendre les dessous de cette campagne anxiogène.
Les financeurs et diffuseurs de ces études, les ONG Pesticide Action Network Europe, et en France Générations futures, sont de gros lobbies pro bio et anti-agricultureagriculture conventionnelle. Car oui, les lobbies ne sont pas que du côté des multinationales et des tenants de l'agriculture intensive !
“Les lobbies ne sont pas que du côté des multinationales et des tenants de l’agriculture intensive !”
Or le bio traverse une crise en France (et en Europe) depuis 2021, où son chiffre d'affaires a commencé à baisser après 20 années de croissance ininterrompue (voir mon article à ce sujet), en particulier due au fait que les consommateurs retournent vers des produits non bio qui sont moins chers. De plus, les magasins bio se voient voler des parts de marché par les grandes surfaces. La seule chaîne Carrefour par exemple, représente déjà à elle seule 1/4 de la distribution du bio en France et voudrait encore augmenter ce chiffre en réalisant plus de 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur ce segment de marché... Ceci explique largement la publication actuelle de ces études, avec des chiffres chocs destinés à frapper la population... en espérant ainsi la ramener vers les magasins bio.
Ses promoteurs avancent en particulier que « les consommateurs européens sont de plus en plus exposés à des pesticides qui auraient dû être retirés du marché depuis 2011 en raison de leur dangerosité ». Pour ces ONG, la « hausse spectaculaire » des quantités de fruits contaminés révélée par l'étude marque « l'échec total » de l'Europe à « mettre en œuvre sa réglementation et protéger les consommateurs ». Ils éditent des tableaux de déshonneurs des fruits et légumes les plus contaminés et qu'ils recommandent de ne plus consommer... sauf s'ils sont bio.
Tout cela donne lieu à de nombreuses polémiques, chacun avançant des arguments de contestation du caractère plus ou moins scientifique des études des « pro » et des « anti », auquel le grand public ne comprend rien. Revenons donc à la base.
Le seuil de détection peut être maintenant beaucoup plus bas que le seuil de toxicité
Le fond du problème est la confusion, volontairement entretenue pour faire peur, entre le seuil de détection et le seuil de toxicité. Les résidus de pesticidespesticides qui restent sur les fruits et légumes sont évidemment dangereux. C'est bien pour ça qu'existe une législation très stricte, à la fois européenne et nationale. Cette législation interdit de vendre des produits dont les résidus dépassent un certain seuil (les limites maximales de résidus, LMR), et obligent à retirer du marché ceux qui se trouvent plus dans le cadre de la loi. De même pour l'eau potable (dite EDCH, eau destinée à la consommation humaine).
La définition des seuils de toxicité évolue évidemment dans le temps en fonction des découvertes scientifiques, mais ce processus est relativement lent car il y a eu beaucoup d'études au départ pour définir ces seuils et la législation, avec une ample marge pour parer aux mauvaises surprises (du genre dose inoffensive seule, mais qui pourrait poser des problèmes en cas de cocktails de pesticides ingérés). Évidemment, les législations évoluent trop lentement pour les détracteurs des pesticides qui, en plus, soupçonnent en permanence les États de ne pas effectuer les contrôles suffisants pour faire respecter leur législation.
Mais ce qui évoluent très vite avec le progrès technique, ce sont les technologies de détection. Chaque année, on perfectionne de nouvelles machines qui détectent de plus petites quantités de substances. Actuellement, sur beaucoup de produits, ces seuils de détection arrivent à être 1.500 fois plus petits que les seuils de toxicité (voir par exemple, à 13'18" la chronique de Pascal Perri). Donc, en se basant sur les seuils de détection, il est facile -- quoique fort malhonnête -- de se répandre dans la presse en disant que la situation empire d'année en année.
En fait, ce que l'on observe, ça n'est pas forcément davantage de pollution, ce sont essentiellement les progrès scientifiques continus des techniques de détection. Bien entendu, ces progrès vont se poursuivre ; et le jour où l'on arrivera à détecter jusqu'à une seule moléculemolécule dans une pomme, on pourra ainsi déclarer que 100 % des pommes sont contaminées ! On n'a donc pas fini de voir ce type de littérature catastrophiste surgir chaque année au printemps.
“Ce que l'on observe (…), ce sont essentiellement les progrès scientifiques continus des techniques de détection”
Et d'ailleurs, on aura également la surprise de constater que les pommes bio sont elles aussi contaminés (car même si l'arboriculteur ne les aspergeasperge pas de pesticides, elles sont quand même soumises aux ventsvents et aux pluies qui amèneront les contaminants de l'autoroute ou de l'aéroport voisins !). On découvre bien des traces de substances interdites depuis des décennies dans les glaces du pôle Nord et dans les lacs de montagne des Pyrénées ! Sans oublier des résidus des essais radioactifs des années 60 et de la catastrophe de Tchernobyl. Ou que des résidus de contraceptifs, somnifères et anxiolytiques, très consommés par les Français, ont beaucoup de mal à être complètement retirés des eaux uséeseaux usées dans les usines d'épuration de nos grandes villes...
Pour tenter de contrer ces campagnes anxiogènes, certains, comme la magnifique association de producteurs Demain la Terre, mettent en avant de nouveaux labels, comme « Garanti sans résidus de pesticides » ou « Cultivé sans pesticides de synthèse »...
Autre exemple : certains affirment que l'on retrouve du glyphosateglyphosate dans le corps de 90 % des Français, et des émissionsémissions à la télévision grand public se sont amusées à le doser dans l'urine d'artistes et de sportifs connus, en produisant des résultats chiffrés sans expliquer les incidences possibles sur la santé (car évidemment, ce sont de très faibles doses).
Depuis lors, ces affirmations à grand spectacle ont fait long feufeu : les méthodes de dosagedosage du laboratoire utilisé ont été largement contestés et d'autres laboratoires ont fait des contre-analyses qui contredisaient ces affirmations. De plus, on peut aussi estimer que si des traces de glyphosate se trouvent dans les urines, c'est plutôt bon signe parce que ça veut dire que le corps les élimine naturellement ! Et rappelons que les polémiques sans fin autour de la toxicité du glyphosate n'ont jamais cessé. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) l'a certes classé comme « cancérogènecancérogène probable » en 2015, mais une douzaine d'institutions tout aussi respectables ont donné des avis radicalement différents !
Cette promotion de la bio est ratée, mais elle provoque malheureusement une baisse de la consommation de fruits et légumes préjudiciable à la santé
Le problème de ce genre de campagne, c'est qu'elles n'ont pratiquement aucune incidence sur le chiffre d'affaires des magasins bio (qui les ont indirectement financées), mais qu'elles provoquent en revanche une diminution de la consommation globale de fruits et légumes. On voit donc bien que les actions des lobbies, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre, ne vont malheureusement pas toujours dans le sens de l'intérêt général... Car cette consommation est absolument indispensable pour rester en bonne santé. Parce que, comme le détaille la campagne « Manger-bouger », qui recommande de manger au moins cinq fruits et légumes par jour, « ils sont riches en fibres, en vitaminesvitamines et minérauxminéraux, et parce que leur effet favorable sur la santé a été démontré. Ils ont un rôle protecteur dans la préventionprévention de maladies, comme les cancers, les maladies cardiovasculairesmaladies cardiovasculaires, l'obésitéobésité, le diabètediabète... ». À ce sujet, on peut lire par exemple les excellentes synthèses de Véronique Mokski, Légumes et santé, un duo vraiment épatant, ou de Mathilde Gérard Manger plus sainement peut permettre de gagner plus de 10 ans d’espérance de vie.
Donc, ne nous laissons pas impressionner, ne nous laissons pas abattre, mangeons résolument des fruits et des légumes de saisonsaison en ce printemps 2022, et régalons-nous !