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Mais là, nouveau problème : les premiers éleveurs terrestres avaient sagement veillé à domestiquer des races herbivoresherbivores (vachesvaches, chèvres, moutons), pas des races carnivorescarnivores (loups, tigrestigres, guépardsguépards, etc.) ! En matière de poissonspoissons on fait justement l'inverse : la plupart de ceux que nous aimons manger sont justement... carnivores (saumonsaumon, lotte, bar, daurade, lieu, truitetruite, thonthon, maquereau, etc.) : ils mangent... du poisson, pour au moins 30 à 50 % de leur ration alimentaire.
Il faut dire qu'il y a beaucoup de végétation à manger sur terre mais relativement peu en mer, et il est donc assez normal que la plupart des poissons de taille respectable mangent du poisson, puisque c'est ce qu'ils trouvent dans l'eau !
Trop de poissons herbivores au menu du poisson d'élevage
Il faut donc pêcher préalablement d'énormes quantités d'espècesespèces qui se nourrissent de plancton ou de petits animaux (anchois, sardines, harengs, chinchards, merlans bleus, etc.) pour nourrir les poissons d'élevage, à l'aide de farines ou d'huiles de poissons. C'est la notion de « pêchepêche minotière » et de « poisson fourrage » ; les termes disent bien de quoi il s'agit.
Dans la pratique, 53 % des farines (en particulier d'anchois) et 87 % de l'huile de poissons pêchés en mer nourrissent les poissons en aquacultureaquaculture ; pour ce faire, ils ont pratiquement déserté le menu des poulets d’élevage. Pour nourrir nos saumons de Norvège, on écumeécume et assèche actuellement le Pacifique Sud, car il faut trois à cinq kilos de petits poissons pour produire un kilo de gros ! Ça n'a malheureusement rien de durable. Notons par exemple que le Pérou, qui bénéficie d'un courant froid favorable sur ses côtes, a néanmoins choisi de limiter ses prélèvements à 5 millions de tonnes d'anchois par an. Cela représente quand même 15 % des revenus du pays, et on pourrait tout à fait imaginer qu'ils auraient intérêt à court terme à augmenter les quotas !
Bien entendu, on récupère également les déchetsdéchets des conserveries : têtes, queues, peaux, arêtes, etc., ce qui permet d'ajouter 15 % de farines supplémentaires. Mais, instruits par la crise de la vache follevache folle, on s'interdit de pratiquer la nourriture intra-espèces (en principe donc, pas de farines de déchets de saumons pour les saumons...). Dans certains pays comme la Pologne, on utilise également certains rebuts des abattoirs de porcs et de poulets, en particulier le sang (en quelque sorte, du boudin !), mais ce n'est pas le cas de la France, qui reste traumatisée par les scandales antérieurs. Au Vietnam et au Cambodge, on va beaucoup plus loin puisqu'on trouve des élevages de porcs au-dessus ou à proximité des élevages de poissons, lesquels se nourrissent ainsi en direct des lisiers.
On tente actuellement de voir jusqu'où peuvent diminuer les ratios de produits de la mer en les coupant avec des protéinesprotéines végétales (sojasoja, pois, lupinslupins, féveroles, etc.). Mais malheureusement, au-delà d'un certain pourcentage, le poisson perd son appétit et se laisse lui-même mourir de faim. Le poisson carnivore a vraiment besoin de sa dose quotidienne.
Des protéines d'insectes pour les poissons en aquaculture : une solution ?
Mais, on peut aussi coupler l'élevage de poissons avec l'élevage d'insectesinsectes, pourquoi ne pas tenter de donner des protéines de mouches, de vers de farine, de sauterellessauterelles ou de scarabées au poisson d'élevage ? Compte tenu des menaces d'épuisement des ressources mondiales, cela semble quand même plus écologiquement raisonnable que de donner de la farine de poissons aux poulets.
En effet, il semble bien que les poissons apprécient de se nourrir avec des farines d'insectes. A l'état sauvage, la truite, le saumon et beaucoup d'autres poissons susceptibles d'être élevés, se nourrissent en grande partie d'insectes. C'est d'ailleurs souvent un animal de ce type que les pêcheurs accrochent à leur hameçon quand ils vont à la pêche... Ces larveslarves font donc partie de leur régime naturel et ont par ailleurs d'excellentes qualités nutritionnelles. Depuis juillet 2018 l'Union européenne a autorisé les fermes aquacoles à nourrir leurs poissons avec des protéines issues de larves d'insectes.
On peut donc à terme enclencher un vrai cercle vertueux : diminuer radicalement la pêche en mer, à la fois de poissons de consommation humaine et de poissons « fourrages », augmenter encore la part de poissons élevés, et, pour ce faire, élever des insectes qui se nourrissent eux-mêmes de biodéchets ! Par exemple, la mouche Hermetia Illucens, pond énormément d'œufs qu'on peut développer en les nourrissant de biodéchets végétaux (fruits et légumes invendus ou résidus de productions agricoles comme les restes de betteraves à sucresucre). Ces œufs deviennent alors des larves riches en protéines qui, avant de devenir mouches, sont transformées en farine et en huile pour l'alimentation des poissons.
Tout n'est pas perdu ! La France, qui a énormément de retard sur l'aquaculture, semble prendre de l'avance dans ce secteur de l'élevage d'insectes, avec en particulier deux start up qui ambitionnent de devenir des leaders mondiaux de cette activité : Ynsect et Innovafeed. Ce n'est pas un petit enjeu car on parle d'un marché annuel de 500 000 tonnes dans les années 2030 !
Malgré cela, il faudra majoritairement passer au poisson herbivore, comme les différentes espèces de carpescarpes ou de tilapiastilapias. Ce sont d'ailleurs de très loin les espèces les plus élevées dans le monde, bien plus que le saumon, la truite, le bar ou la daurade. Tant pispis s'ils ont beaucoup d'arêtes et sentent un peu la vase ! D'autant que ce sont des animaux à sang froid, et que donc leur taux de transformation de protéines végétales en animales est particulièrement attractif, de l'ordre de 2,5 kilos de végétaux pour un kilo de carpe, contre quatre pour le poulet et six pour le porc.