Au Népal, le changement climatique est aussi passé par ces ruches accrochées à flanc de falaises. Les chasseurs de miel du nord-ouest de Katmandou sont confrontés au déclin des abeilles et à la baisse de la production de miel en raison de l'assèchement des cours d'eau, des nombreux feux de brousse et des pesticides. Ces facteurs, exacerbés par le changement climatique, entraînent un dépérissement alarmant de ces insectes qui contribuent à la pollinisation de 75 % des cultures du Népal.


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    Suspendus à une corde et à une échelle de bambou pour dénicher du miel aux vertus hallucinogènes sur une falaise de l'Himalaya, des grimpeurs népalais perpétuent une pratique ancienne, menacée aujourd'hui par le changement climatique. S'enveloppant de fumée pour se protéger des attaques d'un nuage d'abeilles géantes, Som Ram Gurung, 26 ans, se balance à 100 mètres du sol, pour découper des rayons dégoulinants de ruches sauvages.

    Le « miel fou » avec une saveur piquante a, selon les amateurs, un léger effet hallucinogène issu du nectar de rhododendron, dont les abeilles raffolent. 

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    Étrangeté du vivant : le miel hallucinogène des abeilles de l'Himalaya

    Ce miel de haute altitude n'a jamais été facile à récolter, dans le district de Lamjung (centre). Il provient de l'espèce Apis laboriosa, l'abeille la plus grande au monde (jusqu'à 3 centimètres de long), qui affectionne les falaises inaccessibles. Mais les chasseurs de miel sont aujourd'hui confrontés à des défis supplémentaires, dont certains liés aux effets du réchauffement climatique sur ces vallées forestières isolées, à 100 kilomètres au nord-ouest de Katmandou

    Selon Doodh Bahadur Gurung, 65 ans, qui a transmis sa technique à son fils Som Ram, les chasseurs ont constaté une chute rapide du nombre de ruches et des quantités de miel récoltées. « Lorsque nous étions jeunes, il y avait des ruches sur presque toutes les falaises grâce à l'abondance des fleurs sauvages et des sources d'eau, explique-t-il. Mais d'année en année, il est de plus en plus difficile de trouver des ruches ».

     Les ruches de l'abeille la plus grande du monde, <em>Apis laboriosa</em>, sont accrochées à flanc de falaise et abritent le fameux miel d'altitude aux vertus hallucinogènes. © worldlinknepal, Adobe Stock
     Les ruches de l'abeille la plus grande du monde, Apis laboriosa, sont accrochées à flanc de falaise et abritent le fameux miel d'altitude aux vertus hallucinogènes. © worldlinknepal, Adobe Stock

    Les causes multifactorielles du déclin des abeilles 

    Le déclin des abeilles s'explique par de multiples causes : « Les cours d'eau s'assèchent en raison des projets hydroélectriques et de l'irrégularité des précipitations », alors que les abeilles sauvages préfèrent nicher près de l'eau. « Les abeilles qui volent vers les fermes sont également confrontées au problème des pesticides, qui les tuent ».

    Avec des pluies irrégulières, des hivershivers plus secs et une chaleurchaleur accablante, les feux de brousse sont aussi devenus plus fréquents. Le Népal a combattu plus de 4 500 incendies de forêt cette année - près du double de l'année précédente, selon les chiffres du gouvernement.

    « Les feux de brousse sont plus fréquents aujourd'hui, détaille Doodh Bahadur. Il n'y a pas assez de jeunes pour les éteindre à temps ». Il y a dix ans, son village de Taap pouvait récolter 1 000 litres de miel par saisonsaison. Aujourd'hui, les chasseurs s'estiment chanceux de récolter 250 litres. 

    Les scientifiques confirment ces observations, notant que le changement climatique est un facteur déterminant. « Les abeilles sont très sensibles aux changements de température, explique Susma Giri, spécialiste des abeilles à l'Institut des sciences appliquées de Katmandou. Ce sont des créatures sauvages qui ne peuvent pas s'adapter aux activités ou au bruit des humains ».

    75 % des cultures du Népal dépendent de la pollinisation

    Le Centre international de développement intégré des montagnes (ICIMOD), basé au Népal et qui a observé une fontefonte plus rapide que jamais des glaciers de l'Himalaya, constate un « déclin brutal de la population d'abeilles ». Il a tiré la sonnettesonnette d'alarme le mois dernier, rappelant qu'au moins 75 % des cultures du Népal dépendent de pollinisateurs tels que les abeilles. 

    « Le changement climatique et la perte d'habitat comptent parmi les principaux facteurs de leur déclin, selon le centre. La réduction de la pollinisation qui en résulte a déjà eu des conséquences économiques alarmantes ».

    Au Népal : les apiculteurs de l'extrême. © France-TV New Delhi

    Selon une étude de 2022, publiée dans la revue Environmental Health Perspectives, les pertes annuellesannuelles dues à la réduction de la pollinisation au Népal s'élevaient à 250 dollars par habitant, une somme énorme dans un pays où le revenu annuel moyen s'élève à 1 400 dollars. La diminution des réserves a poussé les prix de ce miel rare à la hausse. Si un litre valait 3,5 dollars il y a vingt ans, il se vend aujourd'hui 15 dollars. 

    Les négociants voient la demande augmenter aux États-Unis, en Europe et au Japon, en raison de bienfaits présumés pour la santé vantés sur les réseaux sociauxréseaux sociaux. Les négociants en miel de Katmandou estiment à environ 10 000 litres les exportations annuelles. Un pot de 250 grammes de « miel fou » peut atteindre 70 dollars en ligne. La demande « augmente chaque année, mais la production de qualité a diminué », observe Rashmi Kandel, un exportateur de miel de Katmandou.

    Qui pour perpétuer la tradition de ce métier difficile ?

    Les jeunes sont de moins en moins nombreux à vouloir participer à la traditionnelle chasse au miel en montagne qui dure un mois. Comme partout au Népal, les jeunes quittent la vie rurale pour des emplois mieux rémunérés à l'étranger. Suk Bahadur Gurung, 56 ans, homme politique local et membre de l'équipe de chasseurs de miel, craint pour la survie de son métier difficile. « Il faut des compétences et de la force, explique-t-il. Or, il n'y a pas beaucoup de jeunes qui veulent faire ce métier ».

    Som Ram Gurung tend ses bras et ses jambes enflés à sa descente de la falaise. « Les piqûres couvrent mon corps », déplore celui qui se dit être prêt à aller travailler dans une usine à Dubaï pour un salaire mensuel d'environ 320 dollars. Son père, Doodh Bahadur, regrette à la fois la disparition des abeilles et le départ des jeunes : « Nous perdons tout. L'avenir est incertain pour tout le monde ».