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En 1959, l'affaire est ultrasecrète. Au nord-ouest du Groenland, à environ 200 km à l'est de Thulé, où l'armée des États-Unis a déjà une base, se construit une sorte de village creusé dans la glace, Camp Century, qui abrite un centre de recherche scientifique, des habitations, une chapelle, un théâtre... et un réacteur nucléaire, de petite taille et transportable.
Le gouvernement danois, qui est alors celui du Groenland, donne son accord, ainsi qu'à quatre autres bases, comme le précisent William Cogan et ses collègues, qui publient aujourd'hui une étude dans la revue Geophysical Research Letters.
L'entrée nord-est de Camp Century en 1959. © US Army
Le projet Iceworm prévoyait 600 missiles et 400 km de tunnels
Pourquoi s'y intéresser quatre décennies après l'abandon de Camp Century en 1967 ? Parce que le réchauffement climatique est en train de mettre au jour ces bâtiments enfouis et que l'objectif secret de cette base, dévoilé depuis, n'était pas que scientifique. Pour l'armée US, c'était le projet Iceworm (« ver de glace »).
Il s'agissait de tester la possibilité d'installer des missilesmissiles nucléaires balistiques camouflés dans les glaces de l’Arctique et bien sûr dirigés vers l'Union soviétique. D'après les chiffres rapportés par l'American Geophysical Union, le projet prévoyait 4.000 km de tunnels et 600 missiles. Mais les mouvementsmouvements des glaciers se sont révélés trop importants pour une pareille occupation.
Le plan de Camp Century, avec son réacteur nucléaire, sa salle de gym, le mess des militaires, sa bibliothèque et sa chapelle. © US Army
La fonte des glaces libérera des polluants
Or, après l'abandon et le déménagement du réacteur nucléaire, Camp Century n'a pas été nettoyé. L'épaisse couche de glace était alors supposée stable pour une longue période, à même de maintenir en l'état ces ruines durant très longtemps. D'ailleurs, durant les décennies suivantes, 35 m de neige ont recouvert les restes du camp. Mais l'élévation des températures, particulièrement sensible en Arctique, avec la réduction de l'inlandsis groenlandais, change la donne.
L'article de Cogan conclut à la « possible remobilisation de déchets physiquesphysiques, chimiques, biologiques et radioactifs abandonnés sur le site ». Selon eux, les données de l'armée indiquent que les installations, qui s'étendent sur 55 hectares, recèlent toujours 200.000 litres de carburant, probablement 240.000 litres d'eau polluée et peut-être une quantité importante de PCB (polychlorobiphénylespolychlorobiphényles), un polluant notoire et toxique.
Un derrick pour le carottage de la glace. Car on faisait (aussi) vraiment de la science à Camp Century. © US Army
Qui nettoiera Camp Century ?
Cette éventualité était connue depuis un certain temps mais la nouvelle étude tente une prédiction chronologique. En se basant sur le scénario du Giec dit du laisser-faire (« business as usual » selon le terme consacré), les auteurs estiment que ces déchets seront exposés à l'airair et à l'eau liquideliquide dans 75 ans. Ils pourraient alors devenir de problématiques polluants si rien n'est fait pour les extraire.
D'ici à 2090, quand la fonte des glaces aura fait son œuvre à Camp Century, il faudra résoudre cette affaire écologique qui sera devenue politique. En 1951, les États-Unis ont signé un accord avec le Danemark qui, semble-t-il, ne faisait pas mention du projet Iceworm. Aujourd'hui, le Groenland est en grande partie autonome. C'est donc une discussion à trois qui va s'engager pour savoir qui va payer le nettoyage...