C’est dans le film Minority Report que j’ai découvert pour la première fois le concept de véhicule autonome. Poursuivi par la division Précrime, Tom Cruise s’échappe à bord d’une voiture futuriste en forme d’obus, filant sur une route qui n’est pas sans rappeler les pistes de course du jeu Wipeout Fusion. Alors qu’il tente désespérément de démêler la situation dans laquelle il s’est empêtré, la voiture en auto-pilote se faufile à toute vitesse au milieu du trafic dense, enchaînant virages, dépassements et pentes raides. Une scène d’action palpitante qui nous amenait déjà à nous interroger sur les implications qu’un tel mode de locomotion pourrait avoir pour les citoyens du futur.
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Dans VitamineVitamine Tech, j'aimerais vous parler aujourd'hui d'une autre implication insoupçonnée des véhicules autonomesvéhicules autonomes : leur pollution. Alors oui, cela peut surprendre et vous seriez en droit de vous demander comment une voiture électrique entièrement autonome pourrait polluer plus qu'une voiture thermique. Eh bien, même si l'ensemble du parc automobileautomobile mondial passait à l'électricité, et même si les trajets étaient optimisés pour consommer le moins d'énergieénergie possible, il resterait un autre facteur, souvent oublié, qui pèse lourd dans la balance.
Pour circuler sur une route publique de manière sûre et efficace, un conducteur est obligé de réaliser plusieurs centaines à plusieurs milliers de micro-décisions chaque minute. Oui, c'est pour cela que l'on vous déconseille de conduire après avoir bu. Enclencher son clignotant, laisser passer une voiture, accélérer légèrement quand la voie est dégagée, faire un écart pour éviter un nid de poule ne sont que la partie émergée de l'iceberg de choix que vous réalisez à chaque instant lorsque vous prenez le volant. Confiez maintenant cette responsabilité à une machine et ce ne sont plus des centaines, mais des centaines de milliers de décisions qui sont prises à chaque minute.
Et si le cerveaucerveau d'un être humain est une merveille d'efficience énergétique qui ne consomme que 12 wattswatts en continu, pour nos ordinateursordinateurs modernes, c'est une autre paire de manches. Un ordinateur portable tourne en moyenne à 100 watts ; 200 watts pour un ordinateur de bureau puis, jusqu'à 600 watts pour un ordinateur de gamer lancé à pleine puissance.
Mais même votre PCPC Alienware n'arrive pas à la chevillecheville de l'ordinateur de bord d'une voiture entièrement autonome, lorsque l'on parle de consommation électrique. On ne plaisante pas avec la sécurité, et pour pouvoir réaliser ces milliers d'inférences de manière fiable en se basant sur les retours d'une grande diversité de capteurscapteurs, de caméras, et du conducteur, les réseaux neuronaux profonds du véhicule ne nécessitent pas moins de 840 watts d'énergie en continu. Alors certes, ce n'est pas dramatique à l'échelle d'une seule voiture, mais la donne change dès que l'on envisage un usage généralisé. Prenez les smartphones par exemple. Petits et efficients, leur empreinte carbonecarbone est négligeable par rapport au reste de nos émissionsémissions.
Des millions de personnes utilisent Internet quotidiennement et stockent les données de leur smartphone dans d'immenses fermes, les data centers. © Blue Planet Studio, Adobe Stock
Depuis sa production à son utilisation puis à son recyclage, on estime qu'un iPhoneiPhone émet entre 56 et 86 kgkg de CO2 par an, soit 0,7 % des 10 tonnes de CO2 qu'une personne vivant seule en France émet annuellement. Le souci, c'est ce qu'il se passe lorsque tout le monde se met à utiliser ces technologies plusieurs heures par jour et qu'une grande partie des utilisateurs succombe régulièrement à l'envie de passer au modèle dernier cri. En 2020, des chercheurs de l'université McMaster au Canada estiment ainsi que l'ensemble des smartphones dans le monde auraient été responsables de l'émission de 125 millions de tonnes d'équivalent CO2, autant que ce que les Philippines ont émis la même année. Il va sans dire qu'il devient donc urgent de prendre les devants en estimant l'impact potentiel qu'une adoption massive des véhicules autonomes pourrait avoir sur l'environnement. Et c'est exactement ce qu'a fait une équipe de chercheurs du MIT, dans une étude parue en novembre dernier.
Comment modéliser l'empreinte carbone des véhicules autonomes
Calculer l'impact écologique d'une flotte mondiale de véhicules autonomes ne se fait pas en un coup de baguette magique. Pour élaborer un modèle cohérent, la chercheuse Soumya Sudhakar et son équipe ont dû estimer le nombre de voitures autonomes qui seraient en circulation à l'avenir, la puissance de chaque ordinateur embarqué, les heures de conduite de chaque véhicule et l'intensité carbone de l'électricité alimentant chaque ordinateur. Un travail complexe puisque, comme l'explique Sudhakar, chacune de ces variables comporte encore beaucoup d'incertitudes. Alors que certaines recherches prédisent une augmentation du nombre d'heures passées sur la route grâce à la conduite autonome, d'autres suggèrent que le temps passé à conduire pourrait diminuer grâce à l'optimisation des trajets par les algorithmes, par exemple.
Outre la prise en compte de ces inconnues, les chercheurs ont également dû modéliser des innovations matérielles et des logicielles encore inexistantes, afin d'estimer la charge de travail qu'un réseau neuronalréseau neuronal profond multitâche pourrait avoir à assumer dans le cas d'une conduite 100 % autonome. En injectant toutes ces hypothèses dans un modèle probabiliste, l'équipe estime qu'un véhicule équipé de 10 réseaux neuronaux profonds chargés de traiter les images de 10 caméras haute définition à une fréquence de 60 HzHz, le tout pendant une heure par jour, réalisera un total de 21,6 millions de déductions par jour.
En envisageant la mise en circulation d'un milliard de voitures autonomes (c'est moins que le parc automobile actuel), on arrive à la statistique vertigineuse de 21,6 quadrillions d'inférences quotidiennes, contre « seulement » quelques trillions réalisées chaque jour par FacebookFacebook.
Le gouffre énergétique du secteur du numérique
Qu'est-ce que Facebook vient faire dans l'histoire ? Eh bien, si les estimations de Sudhakar sont correctes, la totalité des véhicules autonomes en circulation dans un avenir plus ou moins lointain pourrait produire autant d'émissions CO2 que les data centers du monde entier actuellement. Comme vous le savez probablement, l'ensemble des données présentes sur InternetInternet, de nos échanges virtuels, de nos transactions dématérialisées ou encore de nos mots de passemots de passe est encodé sur des serveursserveurs ; des dispositifs physiquesphysiques (et logicielslogiciels) dont le but est de stocker et de manipuler l'information à laquelle nous accédons en ligne.
De vos posts Facebook aux vidéos YouTubeYouTube que vous regardez pendant vos pauses déjeuner en passant par les calculs réalisés par ChatGPTChatGPT pour répondre à vos questions, tout notre universunivers numériquenumérique connecté est contenu dans ces appareils bourrés d'électronique et rassemblés dans ce que l'on appelle des centres de donnéescentres de données, aussi connus sous leur nom anglais de « data centers ».
Or, si l'hébergement d'une page HTMLHTML était davantage source d'émerveillement que d'alarme en 1991, de nos jours, les data centers ont acquis une sombre réputation. Malgré des évolutions techniques qui ont permis de rendre les systèmes moins gourmands en énergie, la croissance exponentielle de nos activités en ligne signifie que les serveurs mobilisent une part d'électricité toujours plus importante d'une année sur l'autre.
Quelles solutions pour réduire la quantité de données informatiques nécessaires au fonctionnement des voitures autonomes et stockées dans les data centers dont le fonctionnement est fortement émetteur de gaz à effet de serre ? © Blue Planet Studio, Adobe stock
Le mirage écologique des véhicules autonomes
Ainsi, l'Agence internationale de l'énergie estime qu'ils auraient été responsables de 1,1 à 1,4 % de la facture électrique mondiale en 2021 ! C'est plus que ce que le Mexique n'a consommé d'électricité à lui seul en 2020. Dans un pays comme l'Irlande, où les data centers se développent à grande vitessevitesse, ces derniers ont monopolisé 14 % de la consommation électrique nationale en 2021. Et bien entendu, cette consommation n'est pas neutre puisqu'elle s'accompagne d'émissions de gaz à effet de serre pour le moins conséquentes. Ça ne vous impressionnera peut-être pas si je vous dis que les data centers ont participé à 0,6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2021. Mais si je vous parle de 300 millions de tonnes d'équivalent CO2 annuelles, soit l'ensemble des émissions CO2 du Royaume-Uni en 2020, on commence à mieux cerner le problème.
Attention, nous avertit donc Sudhakar, à ne pas reproduire le même schéma avec la mobilité autonome. Pour éviter que les émissions ne deviennent incontrôlables, son équipe conclut que de nombreuses améliorations techniques seront nécessaires, bien plus que la marche actuelle des évolutions technologiques ne le permet. L'un des moyens de contourner le problème serait d'utiliser un matériel plus spécialisé, spécifiquement conçu pour exécuter des algorithmes de conduite particuliers. Un autre consisterait à rendre les algorithmes plus efficaces pour qu'ils nécessitent moins de puissance de calcul.
Plus facile à dire qu'à faire, car cela veut dire perdre en précision et donc potentiellement en sécurité, ce qui n'est pas particulièrement enviable pour un véhicule lancé à pleine vitesse sur l'autoroute.
Enfin, gardons en tête que les calculs de Sudhakar ne prennent en compte que la consommation d'énergie de l'ordinateur de bord d'un véhicule autonome, sans se préoccuper des émissions liées à sa production, au fonctionnement du reste de ses composants ou aux térabits de données de conduite qui seront stockées sur ces mêmes serveurs qui nous causent tant de soucis aujourd'hui. De quoi y réfléchir à deux fois avant d'investir dans une TeslaTesla.
