Quelque 7 à 8 % des plantes contiennent de l’ADN d’Agrobacterium, une bactérie qui infecte les plantes et leur transfère ses gènes, affectant ainsi leur croissance et leur activité. Utilisé depuis longtemps par les laboratoires de recherche pour modifier génétiquement des plantes, ce processus est en fait bien plus répandu qu’on ne le pensait.


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    Depuis la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 25 juillet 2018, les organismes issus des nouvelles techniques de mutagénèse comme CRISPRCRISPR doivent être considérés comme des OGM (acronyme de Organisme Génétiquement ModifiéOrganisme Génétiquement Modifié) et soumis à la même règlementation. Mais, ce que les juges peuvent interdire aux laboratoires, ils ne peuvent pas l'imposer à la nature. Or, les plantes s'échangent tous les jours des gènes entre elles ou avec des bactériesbactéries. L'une d'elles, Agrobacterium, est particulièrement active dans ce domaine.

    D'après une nouvelle étude parue le 21 septembre dans la revue Plant Molecular Biology, 7 à 8 % des plantes à fleur contiendrait un bout d'ADNADN de cette bactérie. « On peut estimer que 10.000 à 15.000 plantes ont ainsi été modifiées par Agrobacterium au cours de l'évolution », relate Léon Otten, chercheur à l'Institut de biologie moléculairebiologie moléculaire des plantes de Strasbourg et co-auteur de l'étude. Il a passé en revue le génomegénome de 356 espèces de plantes à fleur et découvert que de très nombreuses espèces communes comme la banane, le théier, les arachidesarachides, l'igname, le houblonhoublon, la cannebergecanneberge, l'euphorbe ou les œillets sont ainsi des organismes génétiquement modifiés par la nature. « Plusieurs espèces ont même pu être créées via ce processus », suggère Léon Otten, citant l'exemple du tabac actuel (Nicotania tabacum), dont plusieurs ancêtres contiennent des fragments d'ADN d'Agrobacterium.

    Comme le théier, entre 10.000 et 15.000 plantes à fleurs contiendraient dans leur génome un bout d’ADN d’agrobactérie. © ajari, Flickr
    Comme le théier, entre 10.000 et 15.000 plantes à fleurs contiendraient dans leur génome un bout d’ADN d’agrobactérie. © ajari, Flickr

    La bactérie peut créer une espèce de plante entièrement nouvelle

    Pour infecter ses hôtes, Agrobacterium s'introduit dans la plante habituellement par le biais d'une blessure. Quelques uns de ses gènesgènes sont introduits dans la cellule à partir d'un plasmideplasmide (petit fragment d'ADN circulaire) et vont s'intégrer aux chromosomeschromosomes de la plante. « L'agrobactérie peut ainsi introduire deux types de gènes : des gènes appelés plast, qui stimulent la croissance des cellules végétales, et d'autres qui induisent la synthèse de moléculesmolécules nommées opines, qui servent à nourrir la bactérie », explique Léon Otten. La plupart du temps, les modifications de l'ADN sont peu durables et ne passent pas la génération suivante. Mais de temps en temps, les cellules modifiées par Agrobacterium produisent des racines, à partir desquelles pousse parfois une espèce de plante entièrement nouvelle.

    Agrobacterium, le couteau suisse des chercheurs en génétique

    La capacité d'Agrobacterium à introduire de nouveaux gènes dans la plante est bien connue depuis des années 1980. « C'est la méthode la plus utilisée en recherche pour modifier une plante », indique Léon Otten. Dans la technique dite CRISPR, la bactérie sert d'outil pour introduire les ciseaux moléculaires à un endroit très précis de l'ADN pour effectuer une modification précise du gène ciblé. Mais finalement, le résultat est exactement le même. « Rien ne permet de différencier une modification naturelle d'une modification volontaire », assure Léon Otten.

    Dans la nature, la bactérie transfère une partie de son plasmide dans les chromosomes de la plante qui est transmise aux générations suivantes. Certains gènes vont alors induire la synthèse d’opines, d’autres entraînant la formation d’une galle ou de racines anormales. Dans les expérimentations génétiques, la même bactérie est utilisée pour intégrer les gènes désirés dans la plante, grâce à un plasmide modifié. © Gnis
    Dans la nature, la bactérie transfère une partie de son plasmide dans les chromosomes de la plante qui est transmise aux générations suivantes. Certains gènes vont alors induire la synthèse d’opines, d’autres entraînant la formation d’une galle ou de racines anormales. Dans les expérimentations génétiques, la même bactérie est utilisée pour intégrer les gènes désirés dans la plante, grâce à un plasmide modifié. © Gnis

    Des transferts de gènes très courants entre les organismes vivants

    D'autant plus que l'agrobactérie n'est pas la seule à pouvoir modifier des gènes. Certains virus peuvent également infecter et modifier le génome de plantes ou d'animaux. Un transfert horizontal de gènes peut aussi se produire entre deux espèces proches cultivées côte à côte. Dans une étude de 2014, des chercheurs de l'université de Perpignan ont ainsi découvert que 26 génomes sur les 40 grandes familles de plantes contiennent au moins un cas de transfert horizontal ayant eu lieu au cours des deux derniers millions d'années. On retrouve des fragments de génome très similaires chez des plantes aussi différentes que la vigne et le palmier, la tomate et le haricot, ou le peuplier et le pêcher.

    Preuve que l'évolution ne s'embarrasse pas des règlementations. La plupart des scientifiques européens se désolent d'ailleurs de la décision européenne de 2018 concernant la technique CRISPR. « On s'est juste tiré une balle dans le pied, déplore Léon Otten. Notre agriculture risque d'être tout simplement balayée par de nouvelles plantes dans le futur, venant de pays n'ayant pas de problème avec ces techniques ».