Comment expliquer les nombreuses anomalies de chaleur en 2023 ? Les records de chaleur n'en finissent plus de tomber et l'évolution climatique actuelle étonne même les plus pessimistes des climatologues. S'il est évident que le réchauffement climatique se poursuit, d'autres facteurs naturels auraient-ils pu contribuer à cet emballement climatique ? De plus en plus de voix, légitimes ou non, s'élèvent pour désigner un autre coupable : le volcan Hunga Tonga et son éruption sans précédent en janvier 2022. Futura a interrogé un chercheur français qui travaille justement sur le sujet.


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    La température de surface des océans dépasse tout ce qui était envisagé depuis le début d'année, et le mois de septembre 2023 est le plus chaud jamais enregistré dans le monde avec une marge qualifiée d'extraordinaire comparée aux précédents records. Le réchauffement climatique se poursuit de manière évidente, auquel s'ajoute le phénomène climatique El Niño qui commence à se renforcer.

    Mais avec une telle accumulation d'anomaliesanomalies thermiques, certains pointent du doigt les effets d'un autre phénomène : l'éruption du volcan Hunga Tonga en janvier 2022. En plus d'avoir généré le plus haut panache de cendres jamais observé (jusqu'à 57 kilomètres de hauteur), ce volcan sous-marin a propulsé une quantité sans précédent de vapeur d'eau dans l'atmosphère : l'équivalent d'environ 60 000 piscines olympiques remplies. Or, la vapeur d'eau est un puissant gaz à effet de serre, qui aggrave le réchauffement climatique.

    Une étude de l'Université d'Oxford, publiée en janvier 2023, explique d'ailleurs que l'éruption du volcan Tonga augmente la probabilité de franchir le seuil du +1,5 °C de réchauffement comparé aux niveaux préindustriels, d'ici 2026 : avec cet événement, la probabilité d'atteindre le seuil passerait selon eux de 50 à 57 %. De son côté, le GIEC précise dans son dernier rapport que le rôle des volcans sur l'évolution du climatclimat est bien réel, mais reste minoritaire.

    Le rôle du volcan sur le climat actuel ? Conclusions divergentes chez les scientifiques 

    Le cas du volcan Tonga est inédit, et toujours à l'étude. C'est justement ce sur quoi travaille Bernard Legras, directeur de recherche émérite au Laboratoire de MétéorologieMétéorologie Dynamique. Le scientifique participe à l'élaboration d'un rapport sur le sujet, mais celui-ci ne sera pas terminé avant 2025. Il a tout de même accepté de nous livrer l'état des connaissances actuelles sur ce sujet très complexe. « La réponse à cette question n'est pas encore stabilisée. Il y a deux choses à prendre en compte dans cette éruption : les aérosolsaérosols et l'eau. Les aérosols ont un effet refroidissant et ils compensent l'effet de la vapeur d'eau. Ils sont restés stables jusqu'en novembre 2022, puis se sont mis à décroître. Ils sont en train de disparaître progressivement. Mais ce volcan a émis énormément d'eau, ce qui est inhabituel comparé aux autres volcans. L'effet réchauffant de l'eau est plus fort que celui des aérosols selon nos calculs, mais tout le monde n'est pas d'accord sur le sujet ».

     L'éruption du volcan Hunga Tonga a modifié la composition de l'atmosphère et a peut-être un impact sur l'évolution actuelle du climat. © Hiwamari-8. © Hiwamari-8
     L'éruption du volcan Hunga Tonga a modifié la composition de l'atmosphère et a peut-être un impact sur l'évolution actuelle du climat. © Hiwamari-8. © Hiwamari-8

    En effet, fin septembre 2023, une nouvelle étude publiée dans Geophysical Research Letters expliquait... l'inverse ! Selon les chercheurs qui l'ont menée, l'éruption du volcan aurait un rôle majoritairement refroidissant. « Cette recherche a des conclusions opposées, à notre avis leurs calculs ne sont pas adaptés, explique Bernard Legras. Le problème, c'est que la modélisationmodélisation des aérosols n'est pas encore satisfaisante, et cela dépend aussi de leur composition qui peut varier. Ces choses se passent à toute petite échelle et ont un effet macroscopique sur le climat ».

    Et concernant la vapeur d'eau, il y a une autre question à laquelle les scientifiques ont encore du mal à répondre, c'est la date d'effet de ce gaz à effet de serre : selon une étude publiée en août 2023 dans Research Gate, cette vapeur d'eau ne commencerait à faire effet sur le climat qu'à partir de la 3e année après son émissionémission. Cela nous renverrait donc à 2025 au moins, et non pas à 2023. L'effet se dissiperait ensuite en une dizaine d'années.

    Après un été et un début d'automne record, un hiver similaire ?

    Après un été et un début d'automneautomne à la chaleurchaleur hors norme dans le monde, peut-on craindre un hiverhiver similaire, dans l'hypothèse où le volcan aurait déjà commencé à impacter le climat ? Théoriquement, la vapeur d'eau injectée dans l'atmosphère peut avoir un effet sur le vortex polairevortex polaire : elle le rend plus fort, et dans ce cas, celui-ci s'affaisse moins. Or, c'est lorsqu'il s'affaisse qu'il déclenche des vaguesvagues de froid extrêmes sur l'Amérique du Nord ou sur l'Europe. « En AntarctiqueAntarctique, l'effet sera sans doute présent. Mais dans l'hémisphère Nordhémisphère Nord, ce qui nous concerne, le vortex polaire est contrôlé par un ensemble de paramètres météo et les reliefs. La vapeur d'eau et les aérosols du volcan peuvent être un facteur supplémentaire, mais qui ne sera pas déterminant. De plus, ils n'ont pas beaucoup pénétré l'atmosphère de l'hémisphère Nord », souligne Bernard Legras.

    Un autre facteur de réchauffement possible, les grands incendies

    Et si la cause des anomalies de chaleur de 2023, en plus du réchauffement climatique qui se poursuit, était à chercher encore ailleurs ? Selon Bernard Legras, un autre paramètre peut avoir joué un impact : « les feux de forêts canadiens ont envoyé, mais aussi ceux de Sibérie, ont envoyé énormément d'aérosols dans l'atmosphère. Les aérosols issus des mégafeux ont pu jouer un rôle, positif ou négatif. Il y a des recherches en cours dessus. C'est un fait que les grandes éruptions volcaniqueséruptions volcaniques et les grands feux de forêt modifient la composition de l'atmosphère, surtout la basse stratosphèrestratosphère. Les grands feux ont un impact similaire à celui des éruptions volcaniques moyennes. Ces feux canadiens ont brûlé 18 millions d'hectares, soit l'équivalent de 30 % de la surface métropolitaine de la France. Ils ont émis l'équivalent de deux fois et demi les émissions annuellesannuelles de la France. Mais c'est compliqué de savoir s'ils ont un effet refroidissant ou réchauffant car cela dépend des composés organiques qui brûlent. On sait par contre que les cendres des feux nuisent aux précipitationsprécipitations, car ils stabilisent l'atmosphère ».

    In fine, que faut-il en conclure avec les connaissances actuelles ? « La tendance au réchauffement climatique l'emporte, mais il n'est pas impossible que d'autres paramètres comme l'éruption volcanique du Tonga et les grands feux aient joué un rôle. Il ne faut pas négliger leur impact possible, mais pour l'instant on ne peut pas l'affirmer ».

     


    L’éruption du Hunga Tonga a envoyé des quantités colossales d'eau dans l’atmosphère

    Article de Nathalie MayerNathalie Mayer, écrit le 23 septembre 2022

    Le volcan Hunga Tonga-Hunga Ha'Apai est entré en éruption en janvier dernier. Comme le font tous les volcans sous-marinsvolcans sous-marins, il a éjecté de la vapeur d'eau vers l'atmosphère. Comme le font tous les volcans sous-marins. Mais dans une quantité colossale qui a étonné les chercheurs. À tel point qu'ils se posent aujourd'hui la question des éventuelles conséquences globales pour la Planète et son climat.

    En janvier dernier, un volcan sous-marin au nom à rallonge -- baptisé Hunga Tonga-Hunga Ha'Apai -- est entré en éruption dans le Pacifique. Dans la foulée, un tsunamitsunami a déferlé sur les îles Tonga, impactant près de 90.000 personnes. Le bruit de cette puissante éruption a fait deux fois le tour de la TerreTerre ! Au début de l'été, des chercheurs du Jet Propulsion Laboratory (JPLJPL, États-Unis) nous apprenaient que la colère du volcan a aussi projeté une quantité absolument colossale de vapeur d'eau dans les airsairs. De quoi remplir près de 60.000 piscines olympiques !

    Voir aussi

    Hunga Tonga-Hunga Ha’Apai : portrait du volcan géant sous-marin entré en éruption le 15 janvier

    « Nous n'avons jamais rien vu de tel », commente Luis Millan, chercheur au JPL, dans un communiqué. « C'était un événement unique dans une vie », confirme Holger Voemel, chercheur au National Center for Atmospheric Research (États-Unis) et auteur de travaux complémentaires sur la question parus en ce mois de septembre. Selon leurs chiffres, ce ne sont pas moins de 146 téragrammes, soit 146 milliards de kilogrammeskilogrammes de vapeur d'eau que le volcan Hunga Tonga a envoyés directement dans la stratosphère -- et même un peu au-dessus --, la couche de l'atmosphère qui se trouve entre 15 et 50 kilomètres au-dessus du sol. C'est près de quatre fois plus que ce qu'avait éjecté l'éruption du mont Pinatubo (Philippines) en 1991. Et pas moins de 10 % de la quantité totale de vapeur d'eau déjà présente à ce niveau de l'atmosphère.

    C'est d'autant plus remarquable qu'il reste rare que des éruptions volcaniques injectent de la vapeur d'eau dans la stratosphère. Près de 20 ans que la NasaNasa fait des relevés. Et cela n'était arrivé que deux autres fois. Lors de l'événement de Kasatochi (Alaska) en 2008 et lors l'éruption de Calbuco (Chili) en 2015. Dans des proportions très loin d'être comparables, en plus. L'excès de vapeur d'eau s'était rapidement dissipé. Cette fois, il pourrait persister jusqu'à une dizaine d'années.

    Des conséquences pour la vie sur Terre ?

    Les chercheurs attribuent le phénomène à une sorte de position « idéale » de la caldeiracaldeira du volcan à quelque 150 mètres de profondeur. Plus profond et la pressionpression de l'océan aurait atténuéatténué l'éruption. Moins profond et il y aurait eu bien moins d'eau surchauffée pour former de la vapeur.

    L'ennui, c'est que la présence de vapeur d’eau dans l'atmosphère n'est pas si neutre et innocente qu'il pourrait sembler de prime abord. Car dans la stratosphère, la vapeur d'eau a tendance à produire des radicaux qui portent des électronsélectrons « célibataires ». Ce qui les rend hautement réactifsréactifs. Ils ont tendance à détruire l'ozoneozone. Or, l'ozone stratosphérique est celui qui protège la vie du rayonnement ultravioletultraviolet nocif qui nous arrive du SoleilSoleil. Mais difficile pour les chercheurs de conclure avec certitude à ce sujet. Sachant qu'ils n'ont jamais étudié d'éruption comme celle du volcan Hunga Tonga. La seule chose dont ils soient certains, c'est qu'ils ont pu mesurer les niveaux d'eau dans la stratosphère à l'aide de ballons météorologiques qui, habituellement, ne sont pas suffisamment sensibles pour cela.

    La vapeur d'eau joue aussi un rôle assez direct sur l'effet de serre. C'est même un gaz à effet de serre plutôt efficace. Parce qu'il peut absorber le rayonnement infrarougeinfrarouge émis par notre Terre sur une large plage de fréquences. Ainsi, l'éruption du volcan Hunga Tonga et l'injection massive de vapeur d'eau qui en a suivi devraient avoir au moins un effet ponctuel -- de potentiellement plusieurs années tout de même, une fois le dioxyde de soufresoufre rafraîchissant dissipé -- sur les températures moyennes. Les faisant grimper un peu plus encore. Toutefois, les effets attendus devraient rester minimes et temporaires. Quant à de possibles conséquences sensibles à plus long terme sur le réchauffement climatique anthropique, les scientifiques restent toujours partagés.