Après les incendies spectaculaires de cet été, le président de la République a promis que nous allions « replanter la pinède » et d'une manière générale, planter dans le pays « un milliard d'arbres d'ici 2030 pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique ». Un chiffre aussi important mérite une remise en perspective et une réflexion approfondie.


au sommaire


    On a longtemps sous-estimé fortement le nombre faramineux d'arbres qu'il y a sur la planète. Les spécialistes présentent maintenant un relatif consensus pour estimer qu'il y a carrément 3 000 milliards d'arbres sur terre (375 par habitants !), dont environ 12 milliards en France (180 par Français). Heureusement qu'ils sont là, en particulier pour fixer le gaz carboniquegaz carbonique, et donc refroidir la planète et réguler le climat, tout en favorisant la biodiversité et la régulation des ressources hydriques.

    Replanter des forêts sauvera-t-il la planète ? Une réponse tout en nuance avec Adrien Pages, créateur de MORFO, une startup qui plante des arbres avec des drones ! © Futura

    Il y a énormément d’arbres dans le monde, mais on déforeste à tour de bras

    Mais, malheureusement, on déforeste massivement dans la plupart des régions de la planète. Ce n'est pas une habitude récente : dès les XVIIIe et XIXe siècle, on a déforesté dans le monde entre 20 et 30 millions d'hectares par décennie, soit l'équivalent de la Belgique tous les 10 ans ! Cette folie humaine s'est aggravée considérablement au XXe siècle, où on est passé à 115 millions d'hectares par décennie, l'équivalent de la Grèce !

    Depuis les années 1990, il y a un léger mieux dans les pays tempérés, qui reforestent à petite vitessevitesse, mais le déficit reste abyssal dans les pays tropicaux. On a encore perdu 78, 51 et 47 millions d'hectares dans les trois dernières décennies, total 169 millions d'hectares, l'équivalent de la Tunisie ou du Sénégal.

    Autrefois, la forêt représentait environ 50 % des terres émergées, aujourd'hui on est tombé autour de 27 %... Il est vrai que 8 milliards d'humains, ça prend de la place !

    Image du site Futura Sciences

    On déboise toujours... © WWF

    On continue à défricher massivement pour l'exploitation du bois, ou pour étendre les villes et les exploitations agricoles. La tronçonneuse et le feufeu font des dégâts considérables.

    Image du site Futura Sciences

     Les forêts sont massivement converties en pâturages pour le bétail, pour produire intensivement le tabac, l’huile de palme, le soja, le caoutchouc, le cacao, le bois pour le mobilier, le contreplaqué ou le chauffage. © Imago Photo, Adobe Stock

    Notons que, si ça se passe géographiquement au Sud, c'est largement pour satisfaire les appétits du Nord : l'ONG WWF signalait ainsi, en 2018, qu'en cinq ans « la France a potentiellement contribué à déforester 5,1 millions d'hectares, soit environ deux fois la superficie de la Bretagne, à travers ses importations de sept matièresmatières premières (sojasoja, cacaocacao, bœuf & cuir, huile de palme, caoutchouccaoutchouc, bois et pâte à papier) ».

    Image du site Futura Sciences

    Même maintenant l’humanité ne « peut pas s’empêcher de déforester », une pratique devenue massive depuis les années 1920. On s’améliore néanmoins peu à peu, sans encore arriver à refaire croître le nombre d’arbres dans le monde. © Our world dating

    Plus globalement, les importations européennes contribuent directement à 16 % de la déforestationdéforestation mondiale ! Heureusement, depuis 2023, l'Europe interdit l'importation de produits ayant contribué à la déforestation... Reste à voir comment ces bonnes dispositions seront effectivement appliquées... car elles seront relativement faciles à contourner.

    Image du site Futura Sciences

    Beaucoup de meubles chinois chez nous, mais bientôt plus d’arbres dans l'Asie du Sud-Est… 

    Mais réjouissons-nous de cette volonté positive.

    Pour lutter contre le réchauffement climatique, il faudrait replanter 1 000 milliards d’arbres dans le monde

    Cette déforestation est une des principales causes du réchauffement climatiqueréchauffement climatique, pour deux raisons : d'une part, elle se fait souvent par incendie (volontaire ou subi), ce qui relâche énormément de gaz à effet de serregaz à effet de serre, et d'autre part parce qu'on ne connaît pas de meilleur absorbeur de gaz carbonique que l'arbre.

    Rappelons qu'on estime que l'humanité émet 40 milliards de tonnes de CO2 chaque année. Heureusement, l'essentiel est ensuite absorbé par la mer, la végétation au printemps et les arbres pendant une bonne partie de l'année, sinon le réchauffement climatique serait absolument abominable. D'autant plus que les autres gaz à effet de serre, comme le méthane et le protoxyde d'azoteprotoxyde d'azote, comptent aussi énormément. Les quantités sont beaucoup moins importantes mais comme ils sont beaucoup plus « réchauffants », en équivalent gaz carbonique ils représentent 19 milliards de tonnes de plus. Au total, l'humanité n'arrive donc pas à s'empêcher d'émettre l'équivalent de 69 milliards de tonnes d'équivalent gaz carbonique (chiffres de 2019, en hausse de 54 % par rapport à l'année de référence du « protocole de Kyotoprotocole de Kyoto »... en 1990 !).

    Un arbre d'une tonne stocke environ 500 kilos d'eau et 240 kilos de carbonecarbone, il a absorbé pour ce faire 870 kilos de gaz carbonique. S'il a 20 ans, cela correspond donc à l'absorptionabsorption de 43 kilos de gaz carbonique par an. Évidemment il y a des arbres plus massifs que d'autres : le peuplier par exemple pèse environ 400 kilos par m3 alors que le charmecharme, le buisbuis et l'olivierolivier atteignent 1 000 kilos par m3, et le bois d'ébène 1 400 kilos (on se rappelle qu'il ne flotte pas tellement il est dense !). Mais ça revient à peu près au même car en général, plus un arbre est dense, plus il est lent à pousser.

    Pour un seul arbre cela est relativement modeste, ce qui rend quelque peu vaines les propositions de « compensation carbonecompensation carbone » du type « vous prenez l'avion, plantez un arbre ». Un voyage Paris-New York émet une tonne de gaz carbonique, il faudrait donc planter, non pas un, mais bien 23 arbres pour compenser ce seul voyage en une année. Un Français qui voudrait compenser intégralement son empreinte carbone annuelleannuelle devrait planter environ 300 arbres chaque année, un par jour et par personne !

    Image du site Futura Sciences

    Cet arbre stocke du carbone depuis plusieurs siècles, dans et sur le sol. © Moniek58, Pixabay, DP

    Mais quand même, vu leur nombre très important, les 3 000 milliards d'arbres existants compensent efficacement une part importante de nos émissionsémissions. Les spécialistes ont ainsi calculé que, pour lutter vraiment contre le réchauffement climatique, il faudrait réimplanter environ 1 000 milliards d'arbres de plus sur notre Planète. Cela paraît totalement irréaliste, mais cela consiste finalement à n'en rajouter qu'un tiers.

    Voir aussi

    Comment les forêts agissent-elles sur le climat ?

    Cela représenterait quand même une surface colossale de 900 millions d'hectares, l'équivalent de 14 fois la superficie de la France, ou de la totalité des États-Unis ! Ça semble fou, mais en fait ce n'est pas impossible, le potentiel est là, particulièrement dans six pays qui en possèdent à eux seuls la moitié : la Russie (151 millions d'hectares), les États-Unis (103 millions), le Canada (78 millions), l'Australie (58 millions), le Brésil et la Chine, comme on peut le voir sur la carte suivante où les points verts indiquent les lieux de reforestation théoriquement possibles (excluant les forêts déjà existantes, les désertsdéserts, les villes et les zones cultivées). Il manque clairement une volonté politique implacable au niveau mondial pour rendre cela possible !

    Image du site Futura Sciences

    Les surfaces en vert montrent la surface terrestre disponible pour y planter des arbres, elles excluent les forêts déjà existantes, les déserts, les villes et les cultures, soit 0,9 milliard d’hectares. © ETH Zurich, Crowther Lab

    Le problème est que les arbres que l'on abat ou que l'on brûle sont en général grands, forts et denses, alors qu'une bonne partie de la reforestation se fait dans les zones arides ou désertiques. L'apport positif est donc aléatoire car il n'est absolument pas sûr que ces arbres grandissent durablement.

    Mais il reste que la Chine plante actuellement chaque année autant d'arbres qu'on en abat en Amazonie, que l'Éthiopie a annoncé vouloir planter quatre milliards d'arbres en 2019, ou que le Pakistan a annoncé en avoir planté un milliard sur un plan de 10 milliards. Il y en a bien quelques-uns qui survivront !

    Cela étant, gardons à l'esprit que le nombre d'arbres, qui permet de forcer l'attention du public, n'est en tant que tel qu'une sorte de leurre, valide sur le plan de la communication mais de peu de sens sur le plan technique... Les densités étant fonction du temps, entre plusieurs centaines de milliers de semis naturels par hectare entre 1 et 10 ans à moins de 100 arbres par hectare à 120 ans. Il existe des indicateurs de fonctionnalité bien plus performants... mais plus difficiles à appréhender par le grand public !

    En France, contrairement au reste du monde, on reforeste depuis 200 ans

    Au Moyen Âge, la France était couverte de forêts ; on estime qu'en l'an 800 elles couvraient 25 à 30 millions d'hectares, soit 60 % de la surface du pays. Puis avec l'expansion démographique, on commence à défricher et mettre en culture de nombreuses terres. Les monastères étaient en particulier très actifs dans ce processus ; entre le XIe et le XIVe siècle, on pouvait défricher 30 à 40 000 hectares par an. Le rythme baissait quand il y avait de grandes épidémiesépidémies, puis on recommençait. En 1380, on estime à 14 millions d'hectares le couvert forestier en France, soit 25 % du territoire, deux fois moins qu'en l'an 800. La baisse se poursuit et s'accélère nettement après la Révolution française et au début de la révolution industrielle : les industries, le chauffage, la marine, la constructionconstruction, l'expansion agricole, le pâturage en forêt, puis le chemin de ferfer, ont mis à mal le couvert forestier. Le minimum est atteint en 1820 avec seulement 6 millions d'hectares (à peine 12 % du territoire). En 1 000 ans, la taille de la forêt française a donc été divisée par cinq !

    Image du site Futura Sciences

    « Les Très riches heures du duc de Berry » illustrent la forte présence de la forêt en France. Ici la « glandée », récolte des glands pour les cochons (peint en 1485 par Jean Colomb). © Wikipédia

    Ensuite, nous sommes devenus plus raisonnables et nous avons replanté. Napoléon III a su démarrer une forte impulsion de développement forestier : de vastes pinèdes ont été plantées dans les Landes, pour assécher les marais et fixer les dunes de sablesable. On a reboisé les forêts de Sologne, et les massifs montagneux des Alpes et des Pyrénées. Cela s'est poursuivi au XXe siècle : les surfaces couvertes de forêts ont doublé, passant de 8 millions à 17 millions d'hectares en 2020. Entre autres grâce à l'exode rural, la diminution du chauffage au bois et l'adoption de nouveaux matériaux de construction, ou aussi parce qu'avec la mécanisation de l'agricultureagriculture, on a arrêté de cultiver les terrassesterrasses (par exemple dans les Cévennes), et elles sont redevenues des forêts. Environ 31 % du territoire métropolitain est actuellement boisé, autant qu'au XIIIe siècle !

    Image du site Futura Sciences

    Taux de boisement en France relevé lors de l’inventaire 2015-2019. Total estimé 17 millions d’hectares en 2020, 31 % du territoire métropolitain. Source : IGN, inventaire forestier national 2019. © Traitements : SDES, 2021

    Les régions métropolitaines les plus boisées sont les Landes, la Corse, les Vosges, le Jura, les Alpes et les Pyrénées. Il y a nettement moins d'arbres dans le centre et le nord et nord-ouest de la France, à l'ouest d'une ligne Metz-Bordeaux. On peut rajouter ce qui se passe en outre-mer, boisé à 85 % (dont 97 % en Guyane), soit plus de 8 millions d'hectares.

    La moitié de ces « forêts » sont en fait des plantations d'une seule espèceespèce, qui ne méritent pas vraiment ce nom : le massif landais n'est quasiment composé que de pins maritimespins maritimes, avec une très faible biodiversitébiodiversité et une grande fragilité aux tempêtestempêtes et aux incendies. On compte également beaucoup de peupleraies mono espèces. Les « vraies » forêts françaises diversifiées regroupent, elles, jusqu'à 190 essences, qui interagissent les unes avec les autres.

    Mais on a fait disparaître haies et vergers en France

    Il n'y a pas des arbres que dans les forêts, il y en avait aussi autrefois beaucoup dans les champs ! À l'apogéeapogée du bocagebocage, au début du XXe siècle, la France comptait plus de 2 millions de kilomètres de haieshaies. On en a arraché 70 % lors des remembrementsremembrements massifs des années 1950 à 1980, soit 1,4 million de kilomètres, qui contenaient de l'ordre de 350 millions d'arbres !

    Image du site Futura Sciences

    Remembrement en France : 350 millions d’arbres abattus. À gauche : Bocage Cotentin en 1939-1945 (© W. Volny, Wikimedia commons, DP) et à droite : La Beauce. © Urban, Wikimedia commons, CC 1.2

    Faire et défaire, c'est toujours travailler, et la mode est maintenant de nouveau à la plantation de haies, outils essentiels d'une agriculture agroécologique : elles régulent le climat et l'humidité, limitent l'érosion, favorisent la biodiversité et la fertilité, servent de refuge aux insectesinsectes et oiseaux « auxiliaires de culture », contribuent au bien-être animal, etc.

    Image du site Futura Sciences

    La filière bois représente 378 000 emplois, pour le chauffage, l’ameublement, la construction, et l’industrie papetière. © Source : Ministère de l’agriculture

    On a fait croire pendant beaucoup trop longtemps aux agriculteurs que l'arbre était leur ennemi, moyennant quoi ils sont quasiment disparus du Bassin parisien : on peut aller de Paris à Reims sans presque voir un seul arbre. On redécouvre à peine les immenses bienfaits de l’agroforesterie, mais cela reste très timide et ce qu'on réalise actuellement n'a rien à voir avec ce qu'on a abattu : en 20 ans, on n'a replanté que 30 000 kilomètres de haies, et le linéaire reste à un niveau très bas, beaucoup trop. Avec une agroforesterieagroforesterie écologique et intensive (qui n'empêche absolument pas la productivité agricole, mais permet de diminuer notablement engrais, pesticidespesticides et irrigationirrigation), on devrait pouvoir replanter au moins 100 millions d'arbres !

    De même, la France possédait également la plus vaste surface de vergers de fruitiers en Europe avec 1 million d'hectares au début des années 1950 (dont 60 % sur des prés pâturés, comme les pommiers en Normandie). Elle a été divisée par cinq, pour ne représenter que 185 000 hectares actuellement, alors que la consommation de fruits des Français a beaucoup augmenté ! En effet, la politique agricole communepolitique agricole commune a conduit à spécialiser d'autres régions de l'Europe dans la production de fruits, en particulier le sud de l'Espagne, mais aussi en Italie et en Pologne.

    Image du site Futura Sciences

    Les deux tiers de la superficie de vergers de l’UE se concentrent actuellement en Espagne, en Italie et en Pologne. L’Espagne a dorénavant sept fois plus d’arbres fruitiers que la France, et l’Italie quatre fois plus ! © Source : Eurostat

    On a longtemps subventionné les arboriculteurs pour qu'ils arrachent leurs arbres fruitiers. Si on estime qu'il y avait plusieurs centaines d'arbres à l'hectare (maintenant on plante plus densément près de 1 000 arbres à l'hectare), ce sont plusieurs centaines de millions d'arbres fruitiers qui ont été arrachés. Là aussi, on peut reprendre la main de façon volontariste, au moins un peu, en particulier dans les prairies. Chacun sait en Normandie que le camembert se marie bien avec le cidre et que les vachesvaches sont plus heureuses sous les pommiers ! C'est pareil pour les moutons, les poules et les canards !

    Entre les haies et les vergers, ce sont donc plus de 500 millions d'arbres qui ont ainsi été sacrifiés au « modernisme » hexagonal dans les dernières décennies ! On a là d'immenses marges de progression...

    Une urgence : revégétaliser les villes

    Mentionnons également la raréfaction dramatique des arbres en ville au profit du bétonbéton et du goudron. On redécouvre seulement maintenant, avec la généralisation des canicules, à quel point il est important pour la simple survie des citadins de remettre des espaces verts partout où on peut, à commencer par les avenues, les parkings et les cours de récréation des écoles.

    Image du site Futura Sciences

    On voit clairement à quel point la végétation rafraîchit la ville de New York. Données satellitaires infrarouges thermiques mesurées par Nasa Landsat Enhanced Thematic Mapper Plus le 14 août 2002, par une chaude journée d’été, et données sur la végétation. © Nasa, DP

    Les arbres urbains permettent d'abaisser sensiblement les températures microlocales, de conserver un peu d'humidité, d'absorber les gaz nocifs et les particules finesparticules fines, de remettre davantage d'oxygène, de réguler les eaux de pluies et de diminuer le débordement des égouts, de préserver un peu de biodiversité, etc. Ils améliorent fortement le bien-être physiquephysique et psychologique des habitants : diminution des maladies respiratoires, des cancers de la peaucancers de la peau, des cataractescataractes, des problèmes cardiaques et « coups de chaleurchaleur », de la pollution sonorepollution sonore, des mauvaises odeurs. Ils diminuent la vitesse des véhicules et contribuent à la sécurité routière, ils facilitent les relations humaines et l'embellissement des villes, etc.

    Image du site Futura Sciences

    Si on ne veut pas littéralement mourir de chaud avec des étés de plus en plus caniculaires, il faut en urgence remettre des arbres partout en ville, même entre les rangées d’immeubles. © Jarama, Adobe Stock 

    Au total, il n'est pas du tout impensable de planter 100 millions d'arbres par an en France et donc un milliard dans les 10 prochaines années. On en plante bien 75 millions par an actuellement.

    On peut certainement augmenter ce rythme d'un tiers avec une politique plus volontariste d'implantation. Un objectif plus ambitieux, et souhaitable, serait en fait d'augmenter le nombre d'arbres de 100 millions par an, c'est-à-dire de replanter chaque année 100 millions d'arbres de plus que ceux qu'on abat !

    Voir aussi

    Les rôles de l'arbre en ville 

    Arrêter de planter comme au XXe siècle 

    La question suivante est : « quels arbres planter compte tenu de l'accélération du réchauffement climatique ? »

    Après les gigantesques incendies survenus dans les Landes au cours de l'été 2022, le président de la République a promis « d'aider à replanter la pinède ». Est-ce souhaitable ? Il faut une bonne quarantaine d'années pour « récolter » une plantation de pins maritimes, auront-ils une seule chance de survivre tout ce temps ?

    Image du site Futura Sciences

    La « forêt » des Landes est maintenant doublement menacée par les tempêtes et les incendies. Pas évident de récolter plus de 40 ans après les arbres replantés aujourd’hui. © Larrousiney, Wikimedia commons, CC 1.2 

    On n'a pas de cyclonescyclones en France métropolitaine, mais avec le réchauffement climatique, les tempêtes venues de l'océan Atlantique (et de la Méditerranée) ont toutes les chances d'être de plus en plus vigoureuses, et plus fréquentes... La tempête Martin de 1999 a abattu 220 000 hectares de pins (25 % de la pinède, ou l'équivalent de 20 fois la superficie de Paris). On a replanté. Puis, en 2009, la tempête Klaus a elle aussi abattu 210 000 hectares... Qui peut promettre qu'il n'y aura plus de tempête dans les 40 prochaines années ? De plus, les arbres (résineux) qui ne seront pas déracinés par les tempêtes auront un fort risque de... brûler. On avait bien espéré que les mesures vigoureuses prises après le terrible incendie de 1949 (il avait brûlé 52 000 hectares et tué 82 personnes) allaient en terminer avec ce fléau, mais, en 2022, 28 000 hectares sont de nouveau partis en fumée. Quand il fait très, très sec, on trouve toujours un fumeur imprudent, voire un pompier pyromane...

    Il est donc très probable qu'il faillefaille dorénavant imaginer un autre avenir pour les Landes. L'implantation massive et systématique de pins maritimes n'y est pas du tout historique (les Landes ne s'appellent pas « le Bosquet » !) : elle n'a commencé que sous Napoléon III. Ce sera extrêmement difficile de Bordeaux à Bayonne, culturellement et affectivement, d'admettre que la menuiserie, c'est fini ! Mais on peut certainement avoir le courage de tourner la page au bout de deux siècles et d'inventer autre chose de plus durable. Par exemple, en relisant la fable du Chêne et du roseau de La Fontaine : y installer quelque chose qui plie mais ne rompt pas... et ne brûle pas !

    Ce cas, emblématique, est loin d'être le seul en France : le platane du Sud-ouest est maintenant menacé par le chancre coloré, le palmier du Sud-Est par le charançon rouge, le buis par la pyrale, les hêtreshêtres et épicéas du Nord-Est (qui couvrent 25 % de la surface de certains départements) par la sécheressesécheresse ; même l'emblématique chêne commence à être menacé. Le réchauffement climatique s'accélère et les arbres que l'on plante aujourd'hui doivent pouvoir survivre au climat de la fin du XXIe siècle, et non plus à celui d'hier.

    Image du site Futura Sciences

    Le climat actuel de Strasbourg était celui de Lyon il y a 50 ans, Lyon a maintenant l’ancien climat de Montélimar, Lille celui de Rennes, Le Mans celui de Bordeaux, Bordeaux celui de Pau, et cette tendance va fortement s'accélérer. Il faut donc bien réfléchir avant de choisir quel arbre planter. © Source : Météo France

    Les spécialistes expliquent qu'une forêt, normalement, ne se plante pas, elle croît et pousse elle-même avec ses forces spontanées. Les forestiers le disent souvent : « si on plante, c'est qu'on s'est planté », ou encore « après un incendie, l'urgence, c'est de ne rien faire » ! Même s'il faut fortement relativiser la pertinence actuelle de cette remarque dans une période d'accélération du réchauffement climatique, gardons à l'esprit qu'en matière de plantations, il faut rester modeste et prudent. En tous les cas, ces remarques ne sont pas valables dans le cas de la re-création de nouvelles haies, ni pour la végétalisation des avenues et cours de récréation en ville.

    Il va falloir à la fois être extrêmement prudents et novateurs, dans une période où, malheureusement, l'organisme spécialisé qui s'y connaît le mieux en France, l'Office national des forêts, a perdu 32 % de ses salariés dans les 20 dernières années.

    On sait d'ores et déjà qu'il faut privilégier chaque fois que possible la biodiversité, nettement plus résiliente, plutôt que les plantations mono espèces sur des coupes rases, quels que soient les intérêts économiques en jeu ; les jeunes arbres plantés sous le soleilsoleil après une coupe à blanc ont malheureusement une fâcheuse tendance à se déshydrater et à mourir ; et on manque d'expérience pour savoir quel sera l'avenir sous nos latitudeslatitudes de plantations massives d'essences exotiquesexotiques à croissance rapide.

    N'oublions pas qu'une bonne partie de la survie de nos forêts se joue sous le sol par les réseaux de champignonschampignons et mycorhizesmycorhizes qui permettent aux différentes espèces d'échanger des éléments nutritifs entre elles. Il ne suffit pas de planter des arbres, il faut qu'ils trouvent leur place au milieu de leurs collègues d'essences différentes. Les plantations, très à la mode, de pins Douglas, des résineux à croissance rapide venus d'Amérique du Nord, naturellement imputrescibles, qui poussent droit comme des i et sont coupés dès qu'ils atteignent 40 centimètres de circonférence (la taille conforme aux exigences des scieries), ne sont certainement pas une panacée. Elles appauvrissent les sols, réduisent la présence animale, modifient les interactions entre végétaux, et finiront bien par rencontrer leur prédateur.

    On gagnera à effectuer aussi de nombreuses expériences de « ré-ensauvagement » » pour observer finalement comment la Nature s'y prend pour affronter les nouvelles conditions climatiques. Ça fait belle lurette qu'il n'y a pas eu autant d'arbres en France, mais en même temps, il y a de moins en moins de « véritables forêts ».

    On observera également de très près les nouvelles expériences de « MiniBigForest » inventées par le botanistebotaniste japonais Akira Miyawaki, qui consistent à planter de petits écosystèmesécosystèmes forestiers extrêmement denses (trois arbres différents, d'espèces locales, au mètre carré) sur des surfaces réduites (de 200 à 3 000 m2). De nombreuses municipalités se lancent dans l'expérience ; rendez-vous dans 10 et 20 ans pour voir réellement ce que cela deviendra.

    Image du site Futura Sciences

    Petites forêts très denses Miyawaki. © 663highland, Wikimedia commons, CC 1.2

    Alors, oui ! Il est urgent et raisonnable de planter au moins un milliard d'arbres, dans nos forêts, nos champs et nos villes, mais de façon intelligente et raisonnée, traditionnelle et innovante. Voire davantage : que diriez-vous d'un milliard d'arbres de plus en France en 2032 ?

    Des compléments d'information à consulter :