Quand on achète un produit, qu'on le veuille ou non, on achète le monde qui va avec. Voyons un peu ce que cette sage maxime implique en ce qui concerne notre petit noir si chéri. Là, en sirotant son breuvage préféré, on est aussitôt en prise directe avec le capitalisme sauvage, le néo-colonialisme, la bourse de New York… et le réchauffement climatique !
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Pour les 20 ans de Futura, j'ai souhaité vous parler d'un breuvage bien connu. Si vous aimez en déguster régulièrement, le matin, à midi ou même le soir, vous n'êtes pas seul dans votre cas : on estime que ce sont environ 2,5 milliards de tasses de café qui sont consommées chaque jour sur notre Planète.
Une excellente boisson, à consommer à la bonne heure et avec modération
Les Français ne sont pas les plus grands consommateurs de café au monde, mais ils en consomment quand même de l'ordre de cinq kilos par an, c'est-à-dire en moyenne deux tasses par jour et par personne. Hormis l'eau, c'est - avec le thé - la boisson la plus consommée quotidiennement sur Terre.
Au-delà de son caractère social, le café, tout comme le thé, permet de maintenir son attention plus longtemps. C'est pour ça que, contrairement à l'alcool, il n'a pratiquement jamais fait l'objet d'un interdit alimentaire. Originaire de l'Éthiopie, il s'est très vite développé dans le monde arabo-musulman (d'où son nom issu de l'arabe قهوة : qahwah, boisson stimulante).
Il a vite migré chez les chrétiens, le pape Clément VII ayant déclaré que « laisser aux seuls infidèles le plaisir de cette boisson serait dommage ». Imams et moines ont vite compris qu'il permet de veiller longtemps et de garder l'esprit clair, et donc de mieux prier finalement ! De même qu'aujourd'hui les chefs d'entreprise font installer des machines à café dans tous les bureaux et salles de réunion, malgré tout le temps perdu en pause, pour stimuler la productivité.
Les « maisons de café » ouvrent dès le XVIe siècle, à La Mecque, Le Caire, Constantinople, puis au XVIIe, via Venise, à Londres, Marseille et Paris. Elles prennent une telle importance qu'elles s'appellent maintenant tout simplement « café » (il en reste plus de 36.000 en France !).
Ces cafés deviennent des lieux où les idées libérales naissent, du fait de leur fréquentation par des philosophes et lettrés. Les pamphlets et libelles y sont distribués. Et encore aujourd'hui, sur le zinczinc, on n'a pas les mêmes conversations quand on partage un café que quand on y boit un pastis ou une bière.
Du point de vue international, même quand on paraît boire le même breuvage, les différences réapparaissent instantanément : quoi de commun entre la petite tasse de café serré espresso italien et le bol de boisson légère et garni de lait des Européens du Nord ? Les multinationales ont été obligées de s'adapter : Nestlé fabrique plus d'une centaine de « Nescafés » adaptés à chaque région du monde.
Y a-t-il assez à manger pour tout le monde sur Terre ? C'est la question à laquelle répond Bruno Parmentier dans cette interview exclusive. © Futura
Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, il n'est pas indiqué de prendre du café au réveil ou au petit-déjeuner, en effet c'est le moment de la journée ou le corps secrète naturellement du cortisolcortisol, un stimulant naturel qui aide à se réveiller, et il n'est pas habile d'interférer avec cette sécrétionsécrétion ; au cours de la journée, le niveau de cette hormonehormone diminue, et c'est là que la caféinecaféine peut prendre le relais, les meilleures heures pour consommer du café sont donc lors du coup de fatigue du milieu de la matinée, après le déjeuner (avant la sieste vu l'effet retard !) et en début d'après-midi. Après, cela peut perturber le sommeilsommeil naturel : il a même été démontré que les gens qui prennent du café moins de 6h avant d'aller se coucher perdent en moyenne une heure de sommeil, même s'ils ne s'en rendent pas compte.
Le créneau idéal du café va donc de 10 h 30 à 17 h, sauf, naturellement, si on veut, ou doit, travailler la nuit !
Vu comme cela, les gens qui se plaignent de ne pas « être du matin » et se réveillent systématiquement de mauvaise humeur cachent souvent une psycho dépendance à la caféine. Notons que cette dépendance devient vite héréditaire, lorsque les enfants imitent dès l'adolescenceadolescence le comportement addictif de leurs parents.
Mais, au-delà de nous aider à fixer notre attention, il semble que la caféine (et quelques-uns des autres 800 composants du café), puisse avoir quelques effets préventifs pour un certain nombre de maladies, principalement cardiovasculaires, mais aussi AlzheimerAlzheimer, ParkinsonParkinson ou diabètediabète de type 2. Elle favoriserait également la perte de graisse et l'adaptation au stressstress dû à l'effort physiquephysique, atténuerait certaines douleursdouleurs musculaires et faciliterait l'augmentation des endorphinesendorphines...
Il convient néanmoins de prendre un peu de recul sur ces éléments très positifs. La puissance économique énorme des lobbies du café fait qu'ils peuvent financer de nombreuses études tendant à prouver que leur produit est bon pour la santé. Il y a bien d'autres produits qui sont aussi excellents et qui n'ont pas ce privilège : le lobby de la choucroute ou celui du brugnon pourraient, eux aussi, s'ils en avaient les moyens, montrer à quel point leur produit est génial pour l'avenir de l'humanité ! Et à l'inverse, il a été démontré que, contrairement à ce qu'affirme obstinément le lobby du vin, boire un verre de vin rouge par jour n'améliore pas l'espérance de vieespérance de vie !
De plus, il faut se souvenir que la caféine reste une droguedrogue addictive, il est fortement recommandé aux adultes de ne pas en ingérer plus de 400 mg par jour (soit quatre tasses par jour, ou deux grands americanos), 200 mg pour une femme enceinte et 100 mg pour un adolescent ! Sous peine d'augmentation indue du rythme cardiaque, de douleurs d'estomacestomac, de déshydratationdéshydratation, de diarrhéediarrhée, d'agitation et d'irritabilité, de frissons et d'anxiété. Compte tenu de son effet hypertenseur, il est également déconseillé aux patients atteints de troubles cardiovasculaires graves ou chroniques. Attention aussi aux mélanges avec les autres boissons contenant des drogues similaires comme le thé ou le matématé.
Ce qui est vraiment mauvais pour la santé dans le café, c'est aussi et surtout ce que l'on prend autour : le sucresucre, la crème, le chocolat, le petit gâteau, sans parler de la cigarette bien sûr ! Notons que, maintenant, le café a fini par se libérer de son image d'associé à la cigarette, ce qui n'était plus aussi valorisant qu'après-guerre. Depuis qu'en France il est interdit de fumer dans les lieux publics, il a au contraire élargi son marché avec les non-fumeurs, qui sont retournés dans les cafés quand ils ont retrouvé un airair respirable ! Sans compter les femmes, qui auparavant s'abstenaient de fréquenter ces lieux trop machistes, et qui, depuis qu'elles travaillent à égalité avec des hommes, sont massivement passées de la consommation de thé à celle de café...
Rappelons également que le café n'hydrate absolument pas, puisqu'il consomme plus d'eau pour être digéré qu'il n'en amène lui-même. Il est donc parfaitement légitime et utile de boire un verre d'eau en même temps que son café, comme de plus en plus de bistrots le proposent dorénavant.
Une bonne partie des 800 composés du café, en particulier ceux qui lui donnent du goût, des arômes et des propriétés de santé, se dégradent à l'air et à la lumièrelumière. D'où l'intérêt de conserver son café dans un récipient hermétique, au frais et à l'abri de la chaleurchaleur et de la lumière. Et de ne le moudre qu'au fur et à mesure de la consommation, car, bien sûr, le café moulu est davantage en contact avec l'air que le café en grains !
Notons que certains consommateurs sont réticents à consommer du café décaféiné, à cause des produits chimiques utilisés pour extraire la caféine, ou du café en capsules, à cause de l'aluminiumaluminium, du furane, et du gâchis pour la Planète. Mais il n'a pas été prouvé que ces produits présentent un quelconque risque pour la santé.
Le paradis des multinationales et du capitalisme sauvage
C'est en Europe du Nord qu'on boit le plus de café : Finlande, Suède, Danemark, Norvège et Pays-Bas. D'une manière générale, 70 % du café consommé dans le monde l'est dans les pays du Nord, dont aucun n'est producteur de cette plante tropicale ! À l'inverse, sauf exception, les pays producteurs de café en consomment peu et le considèrent avant tout comme un produit d'exportation, apte à leur amener des devises. Un cas de figure très différent de celui du thé, où les plus grands producteurs, comme la Chine et l'Inde, sont aussi les plus gros consommateurs !
Lorsque je vivais au Mexique par exemple, un pays producteur de café, j'étais toujours étonné de constater qu'il n'y avait presque jamais d'expresso, et que les bistrots et restaurants disposaient systématiquement un flacon de Nescafé sur chaque table, les consommateurs n'ayant plus qu'à demander : « agua para Nescafé ». Il fallait donc payer son tribut à Nestlé pour pouvoir consommer le produit local, une situation quasiment coloniale.
On estime que le café est le deuxième produit le plus exporté au monde après le pétrolepétrole. Pas en poids bien sûr puisque le blé, le riz, le maïsmaïs, et le sucre, qui voyagent également beaucoup sur la Planète, sont beaucoup plus pondéreux, mais en dollars. On parle là d'un marché de l'ordre de 15 milliards de dollars par an (dont la moitié à destination de l'Europe). Pour les seuls achats de grains de café aux producteurs.
Le chiffre d'affaires payé par le consommateur est beaucoup plus important. Rien qu'en France il est de l'ordre de 3 milliards d'euros annuels pour les seules ventes en supermarché et il faut probablement doubler ce chiffre si on inclut les cafés consommés dans les barsbars, hôtels, restaurants, gares, hôpitaux, collectivités ou entreprises. À l'échelle mondiale, on parle de 70 milliards de dollars mais ce chiffre est très probablement sous-estimé. Si en plus on ajoute le commerce induit (filtres, cafetières de toutes sortes, etc.), le secteur pèse certainement plus de 100 milliards de dollars annuels. Le poids de l'économie du café est donc considérable, et a favorisé l'apparition de très grandes entreprises qui se sont progressivement taillé des empires quasi monopolistes.
Il est donc tout à fait logique que le cours mondial du café arabica se négocie à la Bourse de New York, où l'unité de compte reste les 250 sacs de 60 kg avec des cotations en cents/livre ! Celui du café robusta (celui qui sert à la fabrication de cafés solubles) se fixe, lui, à Londres par lots de cinq tonnes, avec des cotations en dollars/tonne. Il n'est pas vraiment évident que les intérêts des petits producteurs y soient un jour bien défendus !
Au départ on estime que 25 millions de personnes vivent directement de la culture du caféier, essentiellement des petits producteurs, puisque 70 % des exploitations font moins de 10 hectares. Avec le séchage, le transport et la commercialisation, plus de 100 millions de personnes sont impliquées dans cette filière.
L'Europe « occupe » ainsi à elle seule 7 millions d'hectares dans les pays tropicaux pour la production de son thé, café et cacaocacao, dans des régions où se conjuguent en général injustice, faim, malnutrition, pauvreté et faible espérance de vie...
À l'arrivée, les acteurs sont infiniment moins nombreux ! Quelques grandes firmes transnationales de l'alimentation contrôlent plus de 80 % du café brut : Nestlé (Suisse), Mondelez International (anciennement Kraft Foods), Starbucks et Cargill (États-Unis), Tchibo (Allemagne), Lavazza (en Italie), DEMB 1753 (aux Pays-Bas)... et elles sont encore en phase de regroupement.
Par exemple, Nestlé vient d'acheter les droits de commercialisation de Starbucks. Ces groupes dirigent à leur profit l'ensemble du marché et prélèvent une bonne part de la valeur ajoutée : de l'ordre de 1,20 $ par kilo vendu 3,60 $ au consommateur, sur lequel ils enregistrent 20 à 25 % de marge bénéficiaire. Ils affichent un chiffre d'affaires de plus de 60 milliards de dollars. Nestlé décline à l'infini ses marques : Nescafé, Ricoré, Nespresso, Bonjour, plus une douzaine d'autres. Il produit à lui seul plus de la moitié du café soluble mondial. À la suite, une trentaine de grossistes engrangent eux aussi de fructueux bénéfices. Des marques comme Lavazza, Illy, Carte noire, Jacques Vabre, Leroux, Maison du café, Malongo, Maxwell House, Legal sont devenues extrêmement puissantes.
Sans oublier que ces firmes dépendent elles-mêmes de plus en plus des achats massifs effectués par les principales chaînes de commercialisation mondialisées comme Carrefour, Wal Mart, Ahold ou Tesco...
Voici deux exemples chiffrés pour illustrer l'économie du café : pour faire une tasse de café, il faut environ 7,5 grammes de café moulu, un kilo de café permet donc de réaliser environ 140 cafés. Le cafetier consacre de l'ordre de 0,10 € à acheter le café qu'il vend autour de 2 € la tasse ! Dans un paquetpaquet de café moulu de 250 grammes commercialisé en grande surface autour de 2 à 3 €, il y a environ 0,15 € pour le petit producteur. Quand on constate que le même café insipide servi dans une machine automatique peut coûter de 0,30 € à 1,20 €, on se doute qu'il y a de la marge à faire en installant de telles machines !
Notons que le même phénomène de captage mondial de valeur intervient sur le cacao, où le producteur ne reçoit qu'à peine 2 à 4 % de la valeur finale de son produit, la banane ou le coton... et d'une manière générale la plupart des produits tropicaux qui ont la malchance de provenir de pays qui comptent peu dans la géopolitique mondiale.
Il n'est donc pas étonnant que ce produit ait été le symbole de la recherche de commerce équitable. Des firmes maintenant bien connues, comme Max Havelaar, arrivent à payer trois à quatre fois plus aux petits producteurs sans que cela se ressente beaucoup sur le prix au consommateur... En fait, ils travaillent essentiellement sur la marche des différents intermédiaires. On est donc vraiment dans un secteur ou le citoyen peut, s'il le souhaite, choisir sans se ruiner de mieux rémunérer le petit producteur !
Un des problèmes pour les petits producteurs qui veulent bénéficier de meilleurs prix est que les normes du café équitable ne sont pas les mêmes que celles du café bio, et les contrôles différents, or ce sont souvent les mêmes consommateurs qui sont sensibles à l'équitable et au bio...
On peut noter que les fluctuations du marché international du café sont énormes et peuvent aller du simple au triple d'une année à l'autre, sans que cela provoque beaucoup de changement de prix du paquet de 250 grammes vendu en supermarché ou du petit noir sur les Champs-Élysées. En fait, économiquement, dans un café, il y a finalement très peu de café !
Un petit air de géopolitique
D'après les statistiques de la FAOFAO, il se produit de l'ordre de 10 millions de tonnes de grains café chaque année (contre 4 dans les années 1970). L'Éthiopie, pays d'origine de cette plante, fournit toujours un peu plus de 4 % du marché mondial mais n'a pas vraiment réussi à profiter de son grand développement.
Les deux pays qui en ont le plus profité n'avaient absolument pas de culture caféière : le Brésil qui est de loin le plus grand producteur mondial actuellement est passé de 20 à 30 % de parts de marché, il est le leader mondial de l'arabica. Et le Vietnam, qui n'en produisait pas du tout pendant qu'il était en guerre, s'y est mis très fortement depuis, puisqu'il représente dorénavant à lui seul 17 % du marché mondial, et surtout la majorité du café robusta (un caféier de plaine qui sert à faire du café soluble). Ces deux pays maîtrisent très bien cette production et arrivent à obtenir d'excellents rendements (respectivement 1,7 et 2,7 tonnes à l'hectare) nettement supérieur à la moyenne mondiale, qui n'est que de 900 kilogrammeskilogrammes à l'hectare.
La Colombie et l'Indonésie suivent derrière avec 8 % de parts de marché chacun, et des rendements moyens (respectivement 1.000 et 600 kg à l'hectare). Ces quatre pays pèsent les deux tiers du marché mondial. Malgré cela, ils n'arrivent pas à s'organiser comme le font les pays producteurs de pétrole pour imposer des conditions de marché qui soient plus conformes à leurs intérêts. Les multinationales restent plus puissantes. On observe cependant en 2021 qu'il a gelé dans les plantations brésiliennes de café, ce qui a beaucoup diminué la récolte de ce pays et a fait flamber les cours à la bourse de New York. Donc, en théorie, une entente des pays producteurs sur les quantités mises sur le marché afin de mieux le contrôler serait possible...
Le reste de la production est éparpillé entre une cinquantaine de pays, essentiellement latino-américains (Honduras, Pérou, Guatemala, Nicaragua, Mexique, etc.), mais aussi africains (Ouganda, Côte d'Ivoire) et asiatiques (Inde, Laos, Chine).
Un plaisir fortement menacé par le réchauffement climatique
Le café arabica a été sélectionné pour la richesse de son goût, sa teneur en caféine, et sa robustesse aux maladies, mais il est très sensible aux variations climatiques. Sa culture, délicate et peu productive, est plutôt réservée à des terres relativement fraîches de montagne.
D'une part, le caféier arabica craint fortement le gel, et il est donc périlleux de le faire pousser en altitude. Mais, d'autre part, il craint aussi la chaleur. En fait, il s'épanouit entre 19 et 26 °C, et dans une semi-ombre (c'est à l'origine une espèceespèce de sous-boisbois). Quand le thermomètrethermomètre grimpe davantage, la photosynthèsephotosynthèse s'en voit affectée et, dans certains cas, l'arbrearbre s'assèche. De plus, il a besoin de beaucoup d'eau pour pousser, mais pas trop : il craint à la fois les fortes précipitationsprécipitations et les sécheressessécheresses prolongées.
Notons par exemple que, contrairement à ce que l'on perçoit à la terrasseterrasse d'un café, il faut beaucoup plus d'eau pour produire une tasse de café que pour produire une tasse de thé. Car avant de percoler son café il a fallu faire pousser un arbre dont on ne consomme que les graines, alors qu'en ce qui concerne le thé on infuse les feuilles, et le camelliacamellia produit beaucoup plus de feuilles que le caféier ne produit de graines ! On compte qu'il faut environ 16.000 litres d'eau pour récolter un kilogramme de grains de café, et donc 140 litres d'eau par tasse de café... L'eau du robinet consommée en final et la taille de la tasse deviennent très anecdotiques dans cette opération.
Au fur et à mesure que le réchauffement climatiqueréchauffement climatique produit ses effets, on a donc tendance à faire grimper les plantations plus haut en altitude pour éviter les caniculescanicules, et cultiver davantage à l'ombre, en association avec de grands arbres relativement touffus. Les territoires qui présentent ce nécessaire équilibre entre l'absence de gel, l'absence de canicule et la régularité des pluies vont se raréfier de plus en plus. Au Guatemala, au Panama ou au Honduras, il n'est déjà plus possible de monter en altitude. La chaleur trop intense perturbe la floraison, et les variations de production vont s'accentuer.
L'arabica pourrait éventuellement gagner les climats méditerranéensclimats méditerranéens, mais irrigué, voire sous serre. Corey WattsWatts et son équipe du Climate Institute ont par exemple mesuré l'effet de la température sur la production de Coffea arabica en Tanzanie : 137 kg de moins par hectare par an pour 1 °C de hausse de la température minimale. La productivité dans ce pays aurait chuté de 50 % depuis les années 1960.
Notons également que l'agroforesterieagroforesterie, qui peut sembler représenter une vraie solution, peut aussi déboucher sur de la déforestationdéforestation lorsqu'elle est mal maîtrisée. Il s'agit bien de remettre des arbres dans les champs et pas de débroussailler une forêt pour y installer des caféiers, puis de progressivement vendre le bois en cas de coup dur. La Côte d'Ivoire, qui a perdu 90 % de sa forêt en cinquante ans, en a fait les frais, tout comme le Pérou. Sans compter le fait que cette déforestation redonne un coup de fouet au paludisme, laissant le champ libre aux moustiquesmoustiques mortifères... Et, bien sûr, elle accélère le réchauffement de la planète, car les champs de caféiers fixent beaucoup moins de carbonecarbone que la forêt naturelle qu'ils remplacent.
Il a été prouvé par exemple que les forêts artificielles, qui ne sont pas soutenues par une végétation très dense à leurs pieds, restent bien moins efficaces que les forêts naturelles pour stocker le gaz carboniquegaz carbonique, et a fortiori les plantations d'arbres fruitiers. Lorsqu'on brûle la forêt d'origine pour faire place nette avant la plantation, c'est un véritable désastre.
Bien évidemment, on fait de nombreuses recherches génétiquesgénétiques pour trouver des parades. Dans le cadre du programme Breedcafs, financé par l'Union européenne, le Cirad crée des hybrideshybrides destinés à l'agroforesterie, surtout pour fournir les petits agriculteurs en semences. Il a par exemple marié une espèce éthiopienne d'ombrage à une américaine, plus vigoureuse et cultivée en plein soleilsoleil. Le bébé est à la fois plus résistant et plus productif.
D’autres chercheurs viennent de redécouvrir le café Coffea Stenophylla qui a un goût très proche de celui de l'arabica. Ces deux espèces ne sont pas étroitement liées, elles sont originaires de côtés opposés du continent africain et les climats dans lesquels elles poussent sont très différents. Elles ne se ressemblent pas non plus : le Coffea Stenophylla a des fruits noirs et des fleurs plus complexes que les cerisescerises de l'arabica, qui sont rouges. Le croisement de la Coffea Stenophylla avec l'arabica ou le robusta pourrait rendre ces deux variétés plus résistantes au changement climatique et même améliorer leur goût, dans le cas du robusta.
Il y a urgence à accentuer les efforts de recherche, car les réservoirs d'espèces sauvages de caféier s'épuisent rapidement, compte tenu de l'ampleur de la déforestation dans les forêts tropicales, du réchauffement climatique, de la propagation de maladies et d'insectesinsectes nuisibles. En Afrique, les experts estiment que sur 124 espèces de café sauvage, 75 sont déjà menacées, et on aura beaucoup de mal à compter dessus pour trouver les parades au réchauffement climatique. En fait, les prévisions actuelles sont carrément pessimistes : dans des délais relativement courts on risque de manquer de plus en plus fortement de café arabica... transformant ce produit actuellement très populaire en un produit de luxe ! En fait, les spécialistes estiment que les rendements pourraient baisser de 38 à 90 % d'ici la fin du siècle.
Heureusement le Coffea Canephora (robusta), comme son nom l'indique, semble plus robuste, il s'accommode de terrains de plaine et de chaleurs plus intenses, et offre des rendements plus élevés, il a donc plus de chances de survie.
Il faut donc raisonnablement prévoir de passer dans quelques années de l'expresso au café soluble... ou à la chicoré !
Ce grain a aussi ses propres problèmes sanitaires
La plupart des buveurs de café n'ont probablement jamais entendu parler de l'ochratoxine A (ou OTA). C'est un poison naturel fortement toxique pour les reinsreins et pouvant être cancérogènecancérogène, qui est produit par une moisissure que l'on trouve parfois sur les fèvesfèves de café brutes ou « vertes », et qui n'est pas complètement éliminé lors de la torréfaction.
Les experts de la FAO/OMSOMS ont fixé un seuil maximum de tolérance pour l'Homme de 100 milliardièmes de gramme par kilo de poids corporel et par semaine. En 2004, l'UE a établi des limites maximales acceptables de 5 parties par milliard (PPB) pour le café torréfié et moulu, et de 10 PPB pour le café instantanécafé instantané.
Pour éviter au maximum l'apparition de ce poison, il faut absolument améliorer les conditions de séchage et de stockage dans les pays producteurs, ce qui est difficile à garantir compte tenu de la grande multiplicité des acteurs. Il faut aussi mieux surveiller les transports internationaux de conteneurs, qui passent couramment d'une zone climatique à une autre à toute période de l'année, ce qui peut donner lieu à de multiples condensationscondensations.
Mais le marché du café, largement régi par les forces marketing du secteur international, ne fait pas systématiquement la distinction entre le café qui est manipulé selon de bonnes pratiques d'hygiène et celui qui ne l'est pas... On n'est donc pas à l'abri d'un scandale !
De plus, il apparaît que la rouille du café, causée par le champignonchampignon Hemileia vastatrix a une fâcheuse tendance à se développer à nouveau, menaçant des régions productrices entières... Elle donne une coloration caractéristique aux feuilles et empêche la photosynthèse, la plante dépérit et meurt.
En conclusion, dégustons bien notre petit café si addictif... tant qu'il est encore temps ! Mais sans oublier les petits producteurs pauvres qui mènent une vie si dure pour livrer les multinationales qui s'enrichissent exagérément sur notre petit vice, et que le petit noir réchauffe lui aussi beaucoup la Planète.
Toutes les publications sous l'égide de Bruno Parmentier, rédacteur en chef invité de Futura pour la Journée mondiale de l'alimentation
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