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L'aide des ordinateursordinateurs et des logicielslogiciels de la famille Catia, de Dassault Systèmes, a redonné vie à un projet un peu fou (mais juste un peu) : tracter des icebergs jusqu'aux faibles latitudes pour en récupérer l'eau douce. L'idée est celle d'un ingénieur français, Georges Mougin, qui a travaillé à la transformation d'un mouilleur de mines US pour en faire le navire polaire Commandant Charcot et qui a collaboré avec Paul-Émile VictorPaul-Émile Victor. Dans les années 1970, il étudie très sérieusement ce projet au sein d'une entreprise créée pour l'occasion, Iceberg Transport International, avec le soutien d'un prince d'Arabie, Mohamed al-Fayçal.
L'argentargent ainsi que les technologies adéquates font défaut et l'idée est abandonnée... mais pas dans la tête de Georges Mougin. « La production annuelle de l'Antarctique représente les besoins humains de la planète entière » explique-t-il.
Vue sous-marine de la jupe entourant l'iceberg au niveau de la surface de l'eau, juste après son installation. Elle est supportée par des flotteurs (en rouge) et porte des sortes de sacs contenant de longs rideaux pliés. © Dassault Systèmes
Bien choisir son iceberg…
Depuis 2002, l'homme collabore avec Dassault Systèmes qui fournit les moyens informatiques et ses logiciels de CAOCAO et de visualisation en 3D. Comme pour la théorie de la construction de la pyramide de Kheops élaborée par l'architectearchitecte Jean-Pierre Houdin, ces différents logiciels ont permis de reconstituer toute l'opération, depuis l'accrochage de l'iceberg jusqu'à l'arrivée au port de destination.
Pour ce projet devenu Ice Dream, les logiciels ont simulé un cas réel, en l'occurrence le remorquage d'un bloc d'environ 7 millions de tonnes depuis Terre-Neuve jusqu'aux îles Canaries par un remorqueur tractant avec une force de 130 tonnes. L'iceberg choisi est un « tabulaire », c'est-à-dire présentant un sommet plat car c'est la forme conférant le minimum de risque de fracturation et de retournement pendant le convoyage. Sa partie émergée mesure une vingtaine de mètres de hauteur pour quelques centaines de mètres de largeur. La partie immergée descend à près de 300 mètres.
Les lames de tissus pliées dans les boîtes portées par la jupe sont en train de se déployer, formant un rideau limitant les échanges thermiques entre la glace et l'eau et réduisant ainsi la vitesse de fonte. © Dassault Systèmes
… et l’habiller d’une jupe
Dans l'idée de Georges Mougin, ce gros glaçon doit être emmailloté pour qu'il ne fonde pas trop vite. Le navire commence par l'entourer d'une jupe de 12 mètres de hauteur, maintenue sur des flotteurs verticaux et immergée de 6 mètres. Cette protection rapprochée réduit fortement l'érosion en surface, là où l'attaque de la houle est destructrice pour la glace. Chaque élément de la jupe porteporte un gros boîtier qui contient une structure pliée en accordéon et que l'on déploie une fois la jupe en place. Ces sortes de rideaux se déplient vers le fond, jusqu'à la base de l'iceberg, et l'ensemble forme une ceinture qui emprisonne plus ou moins une certaine épaisseur d'eau autour de la paroi. Les pertes thermiques, comme pour un vêtement ou un double-vitragevitrage, sont ainsi limitées.
On sait aujourd'hui réaliser des tissus qui conviendraient à ce genre de structure, utilisés par exemple comme géotextile dans le génie civil. Dans les Alpes, en Suisse en particulier, de tels tissus ont été utilisés pour ralentir la fonte de glaciers.
Les logiciels ont pu simuler les éléments clés, à commencer par la fontefonte, une fois la protection en place. L'équipe de Dassault Systèmes a simulé aussi les effets d'une tempêtetempête sur le convoi et la manière dont l'iceberg pourrait se fracturer. En 426 milliards d'équationséquations, les ordinateurs ont reconstitué les 20 secondes qui suivraient la coupure en deux morceaux de l'iceberg, conduisant à un scénario apocalyptique pour le remorqueur et ses passagers, qui verraient arriver sur eux des vaguesvagues de 50 à 60 mètres de hauteur. Le trajet a lui aussi été simulé et, d'après l'idée à l'origine du projet, le convoyage tiendrait compte des courants pour minimiser la consommation finale. En injectant les données météométéo des régions traversées, on peut déduire la fonte de la glace pendant tout le trajet.
D'après ces calculs, le glaçon de 7 millions de tonnes perdrait 38 % de sa massemasse durant le voyage et il ne resterait que 4 millions de tonnes à l'arrivée, avec une consommation de 4.000 tonnes de fioulfioul. Ce serait le prix à payer pour alimenter pendant une année une ville de 70.000 habitants.
Conclusion : c'est techniquement possible. Le coût, lui, n'a pas été calculé mais il doit être comparé avec celui de la salinisation ou d'autres moyens d'approvisionnement en eau. L'idée n'est sûrement pas folle, en tout cas probablement moins que l'acheminementacheminement d'eaux minérales métropolitaines en bouteilles jusque dans les supermarchés de Papeete...