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Les pays disposant de flottes de pêche doivent chaque année déclarer leurs prises à l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (ou FAOFAO, pour Food and Agriculture Organization of the United Nations). La République populaire de Chine n'échappe pas à la règle, mais elle semble avoir quelques problèmes avec les chiffres. Daniel Pauly, de l'université de Colombie-Britannique, s'en était déjà rendu compte voilà 12 ans lorsqu'il a trouvé, en compagnie de Reg Watson, que ce pays déclarait bien plus de produits de la mer pêchés dans ses eaux domestiques que la réalité. L'excédent avait alors été estimé à six millions de tonnes.
La Chine se targue actuellement d'avoir la plus grande flotte de pêche hauturière du monde. C'est pourquoi de nombreux spécialistes s'étonnent face aux faibles tonnages de prises non domestiques déclarés entre 2000 et 2011, qui ne s'élèvent qu'à 380.000 tonnes par an. Daniel Pauly et une dizaine d'autres scientifiques ont cherché à en savoir plus à ce sujet. Ils viennent de livrer leurs conclusions dans la revue Fish and Fisheries : les quantités déclarées seraient 12 fois moins importantes que celles réellement pêchées. La Chine aurait ainsi récolté 4,6 millions de tonnes de poissons, mollusques et crustacéscrustacés par an, toujours pour la période de 2000 à 2011, et en dehors de ses eaux.
C'est un véritable travail de fourmifourmi qu'ont dû réaliser les chercheurs, notamment pour quantifier les prises réalisées en Afrique de l'Ouest, la première région concernée par cette surpêche. En effet, la flotte chinoise y aurait pêché 2,9 millions de tonnes de produits de la mer par an depuis 2000. « L'article de Daniel Pauly a comme immense intérêt d'attirer l'attention sur un problème qui est loin d'être négligeable. Il montre l'importance de mettre en place un meilleur suivi statistique des pêches », a confié à Futura-Sciences Didier Gascuel, professeur au pôle halieutique à l'Agrocampus de RennesRennes et membre du Conseil scientifique des pêches de l'Union européenne.
Les prises de pêche peuvent être sous-déclarées pour différentes raisons, par exemple quand elles ont été réalisées en dehors de tout cadre légal. Dans d’autres cas, déclarer moins de prises permet tout simplement de payer moins de redevances au pays d’accueil. © Ohio Sea Grant and Stone Laboratory, Flickr, cc by nc 2.0
Des navires de pêche là où aucune prise n’est déclarée
Les chercheurs ont essayé de récolter un maximum d'informations sur le nombre et la taille des navires ayant opéré dans les eaux de 93 contrées ou territoires. Ils ont pour cela réalisé des entretiens sur le terrain, mais aussi recherché des renseignements dans la littérature scientifique, les journaux locaux ou des rapports publiés en ligne, le tout dans 14 langues différentes. Un problème particulièrement épineux n'a pas facilité leur tâche : certains navires de pêche affrétés par des compagnies chinoises battent pavillons des pays exploités.
Au final, environ 900 bateaux de pêche ont été identifiés, dont 345 vaisseaux opérant le long de la côte ouest de l'Afrique. Parmi ceux-là 256 étaient équipés pour tirer des chaluts de fond qui raclent littéralement les fonds marins, causant donc de nombreux dégâts, y compris dans des zones interdites à la pêche. Détail révélateur, des navires ont été vus en train de pêcher dans des eaux territoriales où aucune prise n'a été déclarée à la FAO.
Des estimations basées sur la taille des navires de pêche
Les scientifiques se sont basés sur la taille des navires et sur leurs capacités de pêche pour estimer, car il s'agit bien d'estimations, les prises annuellesannuelles chinoises. L'Asie et l'Océanie viennent compléter le podium des zones de pêche non domestiques les plus exploitées par l'Empire du Milieu. Respectivement 1.000.000 et 198.000 tonnes de produits de la mer y ont été prélevées par an, entre 2000 et 2011.
Cette étude a reçu un accueil mitigé. Certains scientifiques jugent les résultats tout à fait plausibles, notamment car ils pourraient expliquer pourquoi certains efforts visant à reconstruire des stocks de poissons, mollusques ou crustacés ne sont pas payants dans certaines régions du globe. D'autres experts pensent cependant que les chiffres avancés sont surestimés, sans pour autant nier la surpêche pratiquée par les navires hauturiers chinois. « Les chiffres me surprennent un peu, car ils sont plus importants que ce que l'on imaginait. [...] Mais le cas de la Chine illustre à l'extrême une situation généralisée », a précisé Didier Gascuel.
Cette pratique n'est pas sans conséquences pour les populations locales, qui tentent de développer leurs propres filières de pêche, alors même qu'elles voient leurs ressources halieutiquesressources halieutiques être progressivement pillées. Un problème plus scientifique se pose également. Les données transmises à la FAO sont notamment utilisées dans des modèles permettant d'étudier l'état des stocks de poissons. Les résultats sont alors exploités par différentes autorités, pour gérer au mieux les pressionspressions de la pêche. Or, comme le souligne Didier Gascuel, « si nous ne disposons pas de données de capture fiables, nous ne pouvons pas gérer les pêches de manière durable ».