Pendant trente ans, la France a mené des essais nucléaires en Polynésie française. Et selon un récent rapport – non officiel –, elle aurait largement sous-estimé l’impact de ces essais sur la population locale.
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Il y a quelques jours, les remontées de poussières de sable du Sahara et la radioactivité résiduelle qu'elles transportaient venaient nous rappeler la douloureuse période durant laquelle la France menait des essais nucléaires. Et un rapport publié par l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) se penchait sur l'impact que ces expérimentations avaient pu avoir sur les populations.
Ce rapport de l'Inserm concluait : « Les rares études épidémiologiques sur la Polynésie française ne mettent pas en évidence d'impact majeur des retombées des essais nucléaires sur la santé des populations. » Il notait toutefois une augmentation du risque de cancer de la thyroïdecancer de la thyroïde ou du risque de mortalité par hémopathies malignes. Mais jugeait les résultats des études menées à ce sujet « insuffisants pour conclure de façon solide sur les liens entre l'exposition aux rayonnements ionisants issus des retombées des essais nucléaires atmosphériques en Polynésie française et l'occurrence de ces pathologiespathologies ». Les experts de l'Inserm reconnaissaient toutefois qu'ils ne pouvaient pas non plus « exclure l'existence de conséquences sanitaires qui seraient passées inaperçues jusqu'à présent ». Ils appelaient à d'autres études qui pourraient évaluer les conséquences sanitaires des retombées des essais nucléaires en Polynésie française.
Avec un nouveau rapport - non officiel - publié aujourd'hui, c'est peut-être chose faite. Mais sa conclusion est toute différente. Selon les scientifiques qui y ont travaillé, la quasi-totalité de la population polynésienne de l'époque aurait été touchée.
Trente ans d’essais nucléaires en Polynésie
Rappelons que c'est en 1966 que la France a lancé sa première série d'essais nucléaires sur les atolls polynésiens de Mururoa et de Fangataufa. Un programme qui a duré 30 ans et vu l'explosion de près de 200 bombes nucléaires. 193, très exactement. Dont 46 essais atmosphériques qui se sont étalés jusqu'en 1974.
Pendant deux ans, des chercheurs et des journalistes ont analysé quelque 2.000 pages de documents d'archives gouvernementales et militaires déclassifiées depuis. Ils ont aussi enquêté auprès d'habitants et d'anciens miliaires et scientifiques sur place. Toutes les informations recueillies ont servi à alimenter une modélisation 3D des retombées radioactives, tout particulièrement de trois essais nucléaires clés - noms de code AldébaranAldébaran (1966), EnceladeEncelade (1971) et Centaure (1974). Et leur conclusion fait froid dans le dosdos : 110.000 personnes auraient été impactées.
Vers une avalanche de demandes d’indemnisation ?
Un rapport confidentiel ferait ainsi état d'un cluster de cancers de la thyroïde dans les îles Gambier. Justement à l'endroit où les retombées de l'essai Aldébaran ont été « les plus lourdes ». De quoi laisser peu de doute sur le rôle des rayonnements ionisants reçus par la population. Les cancers de la gorgecancers de la gorge et du poumonpoumon, les leucémiesleucémies, les lymphomeslymphomes et autres infections osseuses et musculaires seraient également répandues sur les îles de Polynésie française. Et plusieurs milliers de militaires et de personnes impliquées dans les tests auraient développé depuis, au moins une forme de cancer.
Le saviez-vous ?
Pour estimer la dose de rayonnement reçue par les habitants, les chercheurs ont travaillé sur des échantillons recueillis à l’époque par l’armée. Ils y ont inclus la contamination par le nuage atomique, par la poussière au sol, par l’inhalation de particules contaminées ou encore par la consommation d’eau contaminée. De quoi, généralement, donner des différences significatives avec les chiffres officiels.
Entre 1971 et 1974, des tests sur des armes plus puissantes encore ont libéré d'énormes nuagesnuages de particules radioactives transportées par le ventvent vers des habitants qui n'ont jamais été prévenus des risques. L'essai de nom de code Centaure, réalisé en juillet 1974, aurait en fait, à lui seul, exposé 110.000 personnes à des doses de rayonnement supérieures à 1 millisievert (mSv) - la dose admissible à une indemnisation si la personne a ensuite contracté l'un des 23 cancers reconnus comme résultants des radiations - et environ 11.000 à des doses de 5 mSv. La faute à un champignonchampignon atomique qui s'est élevé moins haut que prévu - 5.200 mètres au lieu de près de 9.000 mètres - et qui ne s'est pas éloigné dans la direction attendue. Au lieu de se disperser au-dessus du Pacifique, il est parti droit sur Tahiti.
À ce jour, seulement 454 personnes ont obtenu une compensation du Gouvernement français - dont à peine 63 civils non engagés dans l'armée ou comme prestataires de services. Mais ces travaux pourraient encourager des dizaines de milliers d'autres à réclamer eux aussi un dédommagement.
Essais nucléaires français : quelles retombées sur Tahiti ?
On l'apprenait dans les colonnes du Parisien le 3 juillet 2013. Les documents confidentiels déclassifiés concernant les essais nucléaires aériens en Polynésie, qui ont perduré de 1966 à 1974, révèlent que les retombées de plutonium étaient 500 fois supérieures à la concentration maximale admissible. Si les 500 fois paraissent énormes, que traduisent-elles réellement ? En 2006, l'armée française fournissait un rapport complet sur les tirs et leurs impacts sur l'archipelarchipel. Y a-t-il de nouveaux éléments à découvrir au fil des 2.050 pages déclassifiées ? Futura-Sciences a enquêté et répond.
Article de Delphine BossyDelphine Bossy paru le 17/09/2013
Le secret-défense est partiellement levé, l'enquête se poursuit. On l'aura compris, les conséquences des essais nucléaires en Polynésie n'ont pas fini de faire parler d'elles. Entre 1966 et 1996, la Marine nationale française a effectué des tirs aériens et souterrains, exposants civils et militaires à d'importantes retombées nucléaires. En 2006, l'armée française jouait la carte de la transparencetransparence, en publiant un rapport détaillant tous les tirs et leurs conséquences sur les civils et les militaires. Déjà dans ce document, l'armée reconnaissait pour la première fois que le tir du 17 juillet 1974, baptisé Centaure, avait eu des retombées à Tahiti, île la plus peuplée de Polynésie.
Jugeant le rapport insuffisant et surtout incomplet, les associations Moruroa e Tatou et Aven se sont battues pour obtenir en justice la déclassification de documents confidentiels, rédigés durant les tirs aériens nucléaires effectués dans l'archipel de 1966 à 1974. Le rapport de l'armée de 2006 est censé être basé sur ces documents, pourtant, il semble qu'il ait omis certains détails, et non des moindres. Le 3 juillet 2013, le quotidien Le Parisien lançait un pavé dans la mare, en révélant que d'après les 2.050 pages déclassifiées, les retombées de l'essai Centaure à Tahiti avaient entraîné une radioexposition au plutonium par inhalationinhalation équivalant à 500 fois la concentration maximale admissible (CMA) par heure.
Le plutonium 239 est l’un des radionucléides les plus cancérigènes
Cette radioexposition au plutonium n'avait jamais été dévoilée et sa valeur donne le vertige. Pour la comprendre en détail, Futura-Sciences a mené sa propre enquête.
La concentration maximale admissible (CMA) dans l'airair d'un radionucléideradionucléide donné est l'activité (la vitessevitesse de désintégration de la source nucléaire) par unité de volumevolume, pour laquelle une inhalation continue durant une année entraîne une dose égale à la limite annuelleannuelle admise par l'organisme entier ou l'un des organes critiques. En d'autres termes, cela veut dire que si les Tahitiens (et probablement les militaires) avaient respiré cet air durant un an, ils auraient atteint 500 fois la concentration maximale que le corps peut supporter.
Si 500 CMA c'est beaucoup... il est difficile d'en déduire les impacts sur l'Homme, puisqu'on ne connaît pas le temps d'inhalation d'un air aussi contaminé. Mais l'accusation est tout de même grave. Le plutonium 239 est un produit issu de la désintégration bêta de l'uraniumuranium 238. Il est particulièrement dangereux de l'ingérer, car ce radionucléide est un émetteur alpha. Dans la désintégration nucléaire, les lourdes particules alpha constituées de 2 protonsprotons et 2 neutronsneutrons sont 20 fois plus susceptibles d'avoir des effets cancérigènes sur le long terme que les bêtabêta ou gamma.
L'exposition aux particules alpha, liée au dépôt radioactif au sol, n'est dangereuse que dans un rayon d'une dizaine de centimètres de la source. Au-delà, seuls les rayons gamma peuvent être nocifs, les alpha étant arrêtés par les couches d'air. En revanche, en contact direct (donc par inhalation ou au contact d'eau contaminée), l'exposition de la partie superficielle de la peau aux particules alpha peut devenir importante. Dans le cas du tir Centaure, Tahiti a été touchée par des retombées contenant du plutonium sous forme de pluie les 19 et 20 juillet 1974. Donc, en plus d'inhaler l'air qui comportait 500 CMA de plutonium, les Tahitiens ont été en contact avec le radionucléide en buvant l'eau de pluie contaminée.
Essais nucléaires : les militaires ne sont pas épargnés
« Dans les documents concernant les autres tirs, il n'y a pas de détails comme pour le tir Centaure, commente pour Futura-Sciences Bruno Barillot, ex-délégué pour le suivi des essais auprès du gouvernement polynésien et limogé par Gaston Flosse. Cela veut dire qu'ils ne nous ont pas donné tout ce qu'ils avaient, mais c'est probable que dans d'autres documents il y ait des informations plus précises. » Il avait fallu attendre 2006 pour que l'armée française avoue que le tir Centaure avait généré des retombées sur Tahiti. Or, les autorités françaises n'avaient encore jamais mentionné de retombées de plutonium.
Les 2.050 pages déclassifiées sont encore à l'étude. Mais on peut d'ores et déjà ajouter que ces documents identifient 149 retombées supplémentaires à celles déjà mentionnées dans le rapport de l'armée française de 2006. Parmi ces retombées, 26 bâtiments de la Marine ont été touchés. « Seuls 26 ont été identifiés dans les documents, mais il y avait à peu près une centaine de navires de la Marine nationale sur la zone. La plupart ont pu être contaminés, ne serait-ce quand ils venaient s'amarrer dans le lagon de Moruroa, dont l'eau, à la suite des retombées immédiates, était contaminée pendant plusieurs jours », poursuit Bruno Barillot.
Rappelons que le plus souvent, les bateaux pompent l'eau qui servira tant pour l'alimentaire que pour l'hygiène, directement dans l'environnement. Les navires disposent de systèmes de dessalement, mais qui ne décontaminent pas l'eau. Bruno Barillot souligne : « La plupart du temps, les équipes à bord (marins, ou autres personnels car certains bâtiments de la marine servaient de logements), pompaient dans les premiers jours qui suivaient les tirs de l'eau au moins légèrement contaminée ».
La Polynésie n’a pas dit son dernier mot
Ces documents déclassifiés apportent donc bel et bien de nouveaux éléments sur la catastrophe qu'ont été les essais nucléaires en Polynésie. L'affaire est loin d'être terminée. Les documents sont en train d'être épluchés par une équipe franco-américaine spécialisée sur la question. En 2010, l'équipe avait publié dans le British Journal of Cancer une grande étude associant l'augmentation du risque de cancer de la thyroïde à l'irradiationirradiation reçue suite aux essais nucléaires. On attend donc leur analyse.
En parallèle, Bruno Barillot continue de batailler pour obtenir la suite des documents déclassifiés qui lui ont été accordés. « Normalement, il y a une deuxième déclassification (mais on l'attend toujours) de 180 documents. On ne connaît pas encore vraiment le contenu, mais on sait que cela concernera aussi le Sahara. Théoriquement, il y en aurait d'autres, mais je ne me fais pas d'illusions. Je pense que ces documents porteront surtout sur la période des essais souterrains. On ne peut que supposer... » Par ailleurs, seul un des documents déclassifiés correspond aux rapports officiels que le grand reporter Vincent Jauvert du Nouvel Observateur avait pu consulter aux archives.
Voici un extrait de ce qu'avait pu lire notre confrère : « Vers 16 h, les premiers télégrammes alarmistes arrivent au PCPC de l'opération, le croiseur De Grasse. Le nuage radioactif est plus concentré que prévu, et surtout, il monte moins haut. Les vents de basses couches l'entraînent vers l'île habitée de Mangareva. À 23 h, il n'y a plus de doutes. » Une dépêche du responsable de la sécurité de Mangareva indique : « Ministre informé radioactivité non négligeable. Stop. ContaminationContamination au sol. Stop. Demande consignes pour décontamination et nourriture. Stop. ». Où sont donc passés ces documents ? Les essais nucléaires en Polynésie, mais aussi au Sahara n'ont certainement pas fini de faire parler d'eux.