L’aquaculture pourrait-elle être une alternative écologique et raisonnable à la surpêche ? Où en sommes-nous actuellement ? Et que peut-on espérer pour l’avenir ?

Pendant de l'agriculture dans le milieu aquatique, l'aquaculture correspond à la production par la main de l'Homme de ressources marines ou dulcicoles d'intérêt économique : poissons, crustacés, mollusques et même plantes. Alors qu'elle est pratiquée depuis des millénaires, elle représente aujourd'hui l'un des secteurs de production alimentaire en plus forte progression, sa croissance annuelle atteignant ces dernières années plus de 6 %.

Ainsi, en 2008, les ressources alimentaires provenant de l'aquaculture globale (en eau salée et en eau douce) représentaient près de 50 % de la production halieutique mondiale totale, soit 68 millions de tonnes ! L'aquaculture marine correspond quant à elle à près de 50 % du total, ou 32 % si l'on exclut les végétaux. Alors peut-on voir dans l'aquaculture une alternative durable à la surpêche ?

Les fermes aquacoles : comment ça marche ?

L'aquaculture bénéficie de différents types de technologies, des plus sommaires aux plus élaborées, toutes basées sur un système permettant d'améliorer la croissance et la survie des espèces en culture, en apportant nourriture, oxygène et protection des organismes cultivés contre les prédateurs. La moitié des fermes aquacoles sont d'ailleurs très simples (de simples étangs, utilisés pour faire croître les poissons filtreurs et herbivores). 

L'amélioration des connaissances sur le développement larvaire, sur les besoins en nutriments et en conditions environnementales a permis au fil du temps de faire progresser la technologie. De nouvelles espèces ont pu être élevées. Chez les poissons, après le saumon et la truite, la dorade et le bar sont venus s'ajouter au catalogue. On tente même aujourd'hui l'élevage du thon

On sait aujourd'hui élever des grandes crevettes, les pénéides, parfois appelées gambas. La production mondiale, en 2008, atteignait 3,27 millions de tonnes (source Ifremer). Chez les mollusques, la palourde, la coquille St-Jacques et des espèces d'eau douce (en Chine) connaissent des productions croissantes ces dernières décennies.

La recherche de nouvelles techniques tend à concevoir des systèmes clos, pour limiter les contacts avec les écosystèmes naturels, conférant l'avantage de minimiser les risques de maladies ou d'impacts génétiques sur le monde extérieur. Toutefois, pour l'aquaculture marine, souvent réalisée dans le milieu naturel simplement grillagé, les échanges avec l'environnement sont nombreux.

Les alevins (ici un saumon sorti de son œuf) sont obtenus dans les écloseries. Ils sont souvent stériles car triploïdes. © Uwe Kils, Wikimedia, GFDL 1.2

Les alevins (ici un saumon sorti de son œuf) sont obtenus dans les écloseries. Ils sont souvent stériles car triploïdes. © Uwe Kils, Wikimedia, GFDL 1.2

De l’écloserie au bassin de grossissement

L'aquaculture marine moderne utilise plusieurs enclos. Le premier d'entre eux est l'écloserie, un bassin sur terre, où naissent les alevins après fécondation artificielle. Souvent, les poissons sont rendus triploïdes (ils possèdent alors trois jeux de chromosomes au lieu de deux) grâce à un choc thermique ou de pression appliqué aux œufs. Cette triploïdie rend les animaux stériles (comme la castration des bovins ou des volailles), ce qui améliore leurs caractéristiques gustatives ou qualitatives, sans danger connu pour le consommateur.

Il faut savoir que l'élevage des premiers stades des animaux marins, qu'ils soient des poissons, des crustacés ou des mollusques, est toujours délicat. Ces très jeunes animaux sont fragiles et le taux de mortalité en milieu naturel est très élevé. De plus, contrairement aux espèces d'eau douce, les très jeunes animaux marins disposent d'une nourriture riche et variée, le plancton. Au cours de leurs différents stades larvaires, ils grossissent et peuvent changer de régime alimentaire, préférant des proies de plus en plus grandes. L'aquaculteur a souvent beaucoup de mal à reconstituer ces conditions en bassins. 

Des fermes de prégrossissement (des bassins construits sur le sol) des alevins ou des larves prennent le relais, puis les adultes sont mis en élevage dans des cages sur le littoral (ou de plus en plus en pleine mer). Les poissons carnivores (comme le saumon) sont nourris par des farines et des huiles de poisson, provenant d'espèces issues de la pêche minotière et qui ne présentent pas d'intérêt direct pour l'Homme.

Des enclos de pisciculture aux îles Féroé. © Erik, Wikimedia, GFDL 1.2

Des enclos de pisciculture aux îles Féroé. © Erik, Wikimedia, GFDL 1.2

La santé des poissons d’élevage

La santé des poissons d'élevage est primordiale pour perpétuer l'industrie aquacole, et les habitudes des éleveurs ont tendance à changer. En effet, le taux de survie dépasse fréquemment les 90 % en salmoniculture, contre seulement 65 % en 1988. Cette remarquable croissance est due à une meilleure prise en compte des besoins des animaux, par exemple pour limiter les sources de stress, en utilisant des aliments de bonne qualité, en maintenant une densité d'occupation raisonnable et en s'assurant que l'eau est de bonne qualité.

Les maladies infectieuses peuvent toutefois se propager rapidement au sein des élevages. Si certains éleveurs continuent une utilisation irresponsable de désinfectants chimiques ou d'antibiotiques, qui entraîne des effets néfastes sur l'environnement et les poissons, la meilleure solution dans la lutte contre les infections virales ou bactériennes des poissons est l'utilisation de vaccins protecteurs.

Quelles conséquences pour les poissons sauvages et l’environnement ?

Malgré cela, les poissons d'élevage sont accusés de transférer des maladies ou des parasites (notamment le pou) aux poissons sauvages, par voie de proximité physique au travers des cages en filets, et de provoquer la disparition de ces populations.

D'autres risques sont à prendre en compte : les poissons d'élevage sont parfois transgéniques (dans les pays où leur élevage est autorisée) ou exotiques par rapport à la région dans laquelle ils sont élevés. Il n'est malheureusement pas impossible que certains individus s'échappent de leur enclos, notamment lors de tempêtes qui détruisent les cages. Le risque pour l'environnement est de voir ces poissons invasifs entrer en compétition avec les espèces locales, qui pourraient en être durablement affectées.

Malgré la protection des saumons sauvages d'Atlantique (95 % de la consommation de saumon provient aujourd'hui de l'aquaculture), les stocks ne parviennent pas à se restaurer pour des raisons encore indéterminées. De plus, la production de ce poisson carnivore entraîne l'augmentation de la pêche d'autres poissons sauvages pour les nourrir : il faut environ 5 kilogrammes de poissons sauvages pour produire un kilogramme de poisson d'élevage. Comme pour d'autres espèces, le choix d'élever des animaux carnivores pose problème. Sur la terre ferme, il n'est  jamais venu à l'idée d'élever des lions ou des tigres, ce qui est à peu près le cas quand l'aquaculture s'intéresse au saumon et, encore plus, au thon...

La présence de grandes quantités de poissons au même endroit entraîne également l'augmentation de matière organique dans le milieu (issu des résidus d'alimentation, d'excréments), ce qui modifie la biodiversité végétale et animale autour des fermes aquacoles ouvertes...

La production de ressources par aquaculture ne cesse de progresser, et progressera sans doute encore. © FAO, Ifremer

La production de ressources par aquaculture ne cesse de progresser, et progressera sans doute encore. © FAO, Ifremer

Risques ou bénéfices pour l’Homme ?

L'aquaculture est donc loin d'être anodine pour l'environnement. Par contre, selon certaines études, les poissons d'élevage ne seraient pas moins bons pour la santé que les poissons sauvages. Les taux de méthyle-mercure, de composés organochlorés, d'ignifuges bromés pourraient même être limités en contrôlant l'alimentation des poissons, ce qui ne peut pas être réalisé chez les poissons sauvages.

En résumé, l'aquaculture est-elle un moyen de subvenir aux besoins alimentaires de la population mondiale ? Malgré ses lourds inconvénients pour l'environnement, l'aquaculture possède le gros avantage de produire des quantités de ressources par hectare nettement supérieures à celles des terres agricoles (céréalières ou d'élevage). L'aquaculture a beaucoup progressé ces dernières décennies, passant d'une production de 0,7 kilogramme par habitant en 1970 à 7,8 kilogrammes en 2006. Mais pour faire face à l'augmentation de la population mondiale, la production totale devrait encore augmenter pour atteindre 80 millions de tonnes en 2050. Un challenge qui n'est pas impossible à réussir, mais à quel prix ?