Les prix mondiaux du café, du chocolat et du jus d’orange flambent actuellement. Une seule cause : le dérèglement climatique qui a frappé durement les principaux pays producteurs de ces produits tropicaux. Regardons si nous devrons bientôt modifier nos habitudes du petit déjeuner.
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Rappelons, comme je l'ai détaillé dans l'article : « Le goût amer de l'exploitation du café dans le monde », que le café est le 2e produit le plus exporté au monde après le pétrolepétrole, il s'en boit près de 2,5 milliards de tasses chaque jour, essentiellement dans les pays du Nord, qui n'en produisent pas. Le commerce de cette graine, dont la production fait vivre 25 millions d'agriculteurs et une centaine de millions de personnes dans le monde sur l'ensemble de la chaîne, « pèse » près de 100 milliards de dollars par an.
Les cours du café sont au plus haut depuis 50 ans
Originaire d'Éthiopie, il est maintenant produit principalement par deux pays dans lesquels il a été récemment acclimaté : le Brésil (pour le café arabica) et le Vietnam (pour le café robusta, celui qui permet de fabriquer la poudre instantanée).
Cette année a vu une sécheresse record en Amazonie brésilienne, doublée d'incendies d'une ampleur hors norme (pour la plupart d'origine criminelle). Il a certes plu, enfin, en octobre et novembre, favorisant la floraison, mais on n'est pas sûr que les fleurs tiennent sur les branches... De plus, les producteurs craignent la nouvelle réglementation européenne, qui interdit l'importation de produits cultivés sur les terres ayant fait l'objet de déforestation, et l'arrivée des droits de douane promis par Trump aux États-Unis. Au total, les quantités exportées sont nettement inférieures à celles des années précédentes.
Au Vietnam, la sécheresse a également été terrible et les cargos qui transportent le café vers l'Europe ont été fortement perturbés par le ralentissement de la circulation en mer Rouge en raison des conflits israélo-arabes. Les exportations ont chuté de 50 % pendant l'été. Puis, au début du mois de novembre, le typhontyphon Yagi a décimé les principales régions productrices. Les caféiers endommagés mettront des années à se rétablir. La récolte 2024-2025 sera probablement inférieure de 15 à 20 % à la normale.
Bref, alors que la demande provenant des pays riches ne cesse d'augmenter, fin 2024 le prix mondial du café est au plus haut depuis 50 ans ! Et il n'est pas sûr que ce soient les petits producteurs qui en profitent, tant ce produit est contrôlé par les multinationales (rappelons que dans un paquetpaquet de café moulu de 250 grammes commercialisé en grande surface autour de 2 à 3 €, il n'y a qu'environ 0,15 € pour le petit producteur).
D'importantes inquiétudes pèsent sur la récolte 2025-2026 et sur celles des années à venir. « Dans trente ans, 50 % des terres agricoles dans le monde ne seront ainsi plus viables pour la culture du café : il fera trop chaud », prédit Christophe Servell, vice-président du Collectif café... ou trop sec (il faut 16 tonnes d'eau pour produire un kilo de café !), ou les maladies et les toxinestoxines auront posé des problèmes insurmontables.
En attendant, le consommateur doit s'attendre à de fortes augmentations de son petit noir, tant au bistrot qu'en supermarché. À lui de changer son rapport au café, en acceptant d'en boire moins, mais de payer plus...
Directement touchés, les géants de la vente de café, comme Nestlé, vont répercuter les prix sur leurs clients. L'entreprise, qui possède Nespresso, Nescafé, mais aussi les dosettes de Starbucks vendues en supermarché, a déjà annoncé en novembre qu'elle augmenterait ses prix et réduirait la taille de ses sachets au vu d'une érosion des marges.
Dans un premier temps, les consommateurs - dont beaucoup sont dorénavant de véritables « drogués » - vont maintenir leur consommation. Car, au moins à la maison, cela reste individuellement un produit pas cher (même en dosettes, qui valent actuellement de 30 à 50 centimes). On pourra toujours passer au thé, autre produit tropical, mais qui, pour le moment, reste stable... ou à terme à la chicoréechicorée !
Car les prévisions sont carrément pessimistes : dans des délais relativement courts, on risque de manquer de plus en plus fortement de café arabica... transformant ce produit actuellement très populaire en un produit de luxe ! En fait, les spécialistes estiment que les rendements pourraient baisser de 38 à 90 % d'ici la fin du siècle.
Les cours du cacao sont également au plus haut depuis 50 ans
Le chocolat, lui aussi, va être fortement à la hausse, tant dans le lait de nos petits déjeuners que pour les friandises de Noël.
Nous assistons en effet à une situation absolument exceptionnelle et jamais vue dans l'histoire du chocolat.
Pour la matièrematière première, le cacao, cette évolution s'explique par des récoltes catastrophiques au Ghana et en Côte d'Ivoire, qui fournissent à eux seuls 60 % des fèves vendues dans le monde. Leur production a été divisée de moitié à cause de plantations touchées par des pluies diluviennes et des maladies qui en ont découlé. La production est également touchée par le vieillissement des cacaoyers et une maladie qui sape la productivité. Résultat : pour la saison qui a commencé en octobre, les ports ivoiriens ont expédié 37 % de moins de tonnage que les saisons précédentes.
Le phénomène El Niño a eu des répercussions importantes sur l'Afrique. En 2023, la Côte d'Ivoire a subi de très fortes pluies, nettement supérieures à la moyenne de ces 30 dernières années. Ces pluies ont provoqué la chute des fleurs à peine formées et un fort développement des maladies fongiquesmaladies fongiques comme la moniliosemoniliose ou la pourriture brune, alors que les plantations étaient déjà fragilisées depuis plusieurs années par une maladie virale transmise par les cochenillescochenilles farineuses, le swollen shoot. Puis s'est ajoutée une longue période de sécheresse, alors que le cacaoyer a besoin d'eau pour son développement et celui de ses fruits (il faut compter 17 tonnes d'eau pour obtenir au final un kilo de chocolat !).
Côté consommateurs, on peut noter que d'ores et déjà les chocolats de Noël, qui sont en vente actuellement, démarrent difficilement parce que leur prix a augmenté de 5 à 6 %. Et les experts prédisent une hausse de 20 % d'ici la fin de l'année ! Pourtant, les industriels ont commencé à utiliser des artifices pour faire passer la pilule chez le consommateur, comme une réduction de la taille de barres de chocolat vendues au même prix qu'avant, ou encore le recours à d'autres produits que le cacaocacao pour certaines recettes !
Rappelons que le chocolat n'est pas un bien essentiel et qu'on peut donc s'en passer (difficilement quand même pour les plus accros !). Il est probable que la plupart des consommateurs vont revoir à la baisse leurs achats, ce qui pourrait réguler le marché.
Le cours correspond au prix auquel le cacao est échangé au niveau international par les exportateurs, grossistes et traderstraders. Qu'en est-il pour les producteurs, qui sont aussi mal lotis que ceux du café ? (Ils ne reçoivent généralement qu'à peine 2 à 4 % de la valeur finale de son produit)... Certes, au Ghana et en Côte d'Ivoire, où le cacao est absolument stratégique (en Côte d'Ivoire, il fait vivre 20 % de la population et constitue 14 % du PIBPIB), le système de prix administrés protège les planteurs en cas de chute des cours, mais limite les gains quand ils grimpent. Chaque année, le gouvernement fixe le prix bord champ, celui qui est effectivement payé aux planteurs, sur la base des ventes de l'année précédente. Il y a donc un effet retard.
Dans l'immédiat, ce sont donc les pays où les marchés sont libéralisés qui vont empocher le pactole. Il s'agit principalement du Brésil, de l'ÉquateurÉquateur, du Nigeria et du Cameroun. Grâce à cette nouvelle manne, ces pays vont pouvoir immédiatement investir dans de nouvelles capacités de production. Or, l'Équateur s'est fixé pour objectif de rattraper, voire de dépasser le niveau de production du Ghana d'ici à 2030. Il ne cultive actuellement « que » 0,5 million d'hectares contre 2 millions au Ghana (et 4,4 millions en Côte d'Ivoire). Et le Brésil, qui actuellement ne cultive que 0,6 million d'hectares (contre 1,9 million d'hectares de caféiers), espère doubler sa production d'ici à la fin de la décennie et recommencer à exporter.
Il est donc probable que l'exceptionnelle hausse du cours mondial de cacao va inciter nombre de paysans dans le monde à planter massivement des cacaotiers. On risque donc d'avoir une surproduction de cacao au début des années 2030... si le dérèglement climatique ne s'aggrave pas d'ici là.
Le jus d'orange se raréfie lui aussi fortement et pourrait carrément disparaître
Le jus d'orange va-t-il devenir lui aussi un produit de luxe et petit à petit disparaître de la table du petit déjeuner ? Cette question aurait pu paraître saugrenue il y a quelques années, mais devient d'actualité. Car deux grands pays producteurs sont en crise majeure, principalement à cause de la prolifération d'un insecteinsecte, le psylle, vecteur d'une bactériebactérie capable de transmettre aux orangers la « maladie du dragon jaune » qui les tue rapidement. La qualité et les rendements en fruits se trouvent également impactés.
La maladie a littéralement décimé les vergers de Floride, qui produisaient environ 12 % des volumesvolumes d'oranges achetés par l'industrie des jus ; leur production a dégringolé de plus de 60 % en vingt ans. Les ouragans et vaguesvagues de froid aggravent encore la situation.
Mais ce n'est rien à côté du Brésil, de loin le plus gros producteur mondial puisqu'il fournit plus de la moitié des volumes mondiaux. Plus de 40 % des orangers sont déjà infectés par la maladie, et la même sécheresse que pour le café a sévi pendant la période de floraison (la pire sécheresse qu'ait jamais connue le pays). La récolte de 2024 est en baisse de 30 %, la pire depuis 36 ans.
Malheureusement, la maladie a traversé l'Atlantique ; une espèceespèce de psylle est dorénavant présente en Espagne, et une seconde, encore plus dangereuse, à Chypre. Il ne fait peu de doute que ces insectes vont coloniser l'ensemble du bassin méditerranéen, et demain, ce sera au tour des clémentiniers corses d'être touchés ! Car les nombreux chercheurs qui tentent de trouver la parade n'ont pas encore aboutis ; ils tentent notamment de s'appuyer sur les gènesgènes du citron caviarcitron caviar par exemple, résistant à la maladie, mais annoncent que cela risque de prendre 10 à 15 ans et, de toute façon, il faudra aussi compter avec les réticences culturelles croissantes de la population mondiale envers les pesticidespesticides et les transferts de gènes...
Lors des années peu fécondes, les entreprises sont autorisées à ajuster le goût de leur production en recourant à des oranges congelées depuis moins de deux ans. Mais, comme depuis trois saisons les industriels doivent recourir à cette méthode, les stocks sont actuellement vides.
Résultat : ce qui manque actuellement en matière de produits sur le marché, c'est l'équivalent de la consommation européenne de jus d'orange, et les prix du concentré d'orange ont été multipliés par 5 en cinq ans. Les industriels n'ont d'autre choix que d'augmenter leurs prix de vente, ce qui a déjà provoqué une baisse de volumes d'achat de plus de 7 % rien qu'en 2024.
Et le consommateur pourrait se détourner du produit, alors que le marché est déjà en décroissance : -23 % en volume entre 2013 et 2023. Pourtant, aujourd'hui, le jus d'orange reste en tête des jus les plus vendus dans l'Hexagone : 40 % des parts de marché, devant les jus multifruits (22 %) et le jus de pomme (15,7 %). Chaque année en France, plus de 1,2 milliard de litres de jus de fruits est écoulé, pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros.
Une place qui paraissait indétrônable. Pourtant, ce jus tel qu'on le connaît pourrait carrément finir par disparaître ! Les industriels cherchent donc à proposer des consommations alternatives par des produits à base du jus d'orange avec un mélange à base de clémentines ou encore de pommes ; le « multifruits » a donc un bel avenir devant lui, c'est le moment d'y acclimater nos enfants !
Heureusement les produits « tempérés » de notre petit déjeuner résistent encore
Comme je l'ai détaillé dans mon récent article : « Effondrement de la récolte de blé française », 2024 est une très mauvaise année pour les céréaliers français, qui ont fait leur plus mauvaise moisson depuis 40 ans. Deux causes conjuguées, dues à l'excès de pluies : en raison des intempéries, on a semé moins de surfaces et les rendements ont été faibles. Les conséquences sont fort pénibles pour les agriculteurs, mais pas pour les consommateurs, car la récolte mondiale a, elle, été excellente dans nombre d'autres pays producteurs ! En fait, au niveau mondial, l'année 2024 a vu la plus belle récolte de céréalescéréales de l'histoire humaine, et les stocks sont tout à fait corrects. Donc, cette année, pas de souci pour la baguette de pain ou le bol de céréales.
De même pour le lait et le beurre ; on est en pleine crise de surproduction en France et en Europe, ce qui explique, entre autres, pourquoi le géant Lactalis a décidé de fermer des exploitations laitières en France. Car, à l'échelle mondiale, il faudra bien trouver le moyen de « sacrifier des vaches pour sauver le climat »...
Pas de souci excessif non plus pour la confiture, ou le miel, ou le sucresucre. Ces produits voyagent et la production mondiale est suffisante, même si les producteurs français souffrent trop souvent.
Si on s'éloigne du petit déjeuner, citons quand même pour mémoire le fait qu'à cause des intempéries, la récolte de vin français 2024 a été très mauvaise... Et que d'une manière générale on observe une exacerbation de la concurrence mondiale à un moment où la consommation baisse...