Des îlots de végétation de deux mètres carrés blottis au creux du béton sur la route de l'aéroport… Qui s'en soucie ? À mi-chemin entre les modèles théoriques et les systèmes naturels complexes, ces écosystèmes en modèle réduit sont un grand terrain d'étude pour des chercheurs en écologie.
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En avril, chacun de ces îlots compte jusqu'à 20 espèces (90 pour l'ensemble des parcelles).© F. Beilhe
Qu'est-ce qu'un pissenlit ayant percé le macadam entre un poteau électrique et trois mégots ? Un objet scientifique... Si ! si ! Mister POCPOC vous l'assure. POC ? C'est Pierre-OlivierOlivier Cheptou pour ses collègues, écologiste végétal au Centre d'écologieécologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) à Montpellier. Obligeant, il vous donne même le nom latin de cette égarée du bitumebitume : Crepis sancta, une asteracée de Méditerranée, un peu « pousse-partout ». Presque increvable, cette plante ordinaire va servir de modèle à une captivante étude sur la fragmentation et la dynamique des populations perturbées.
« Je rentrais en bus de l'aéroport à Montpellier, bien tôt un jour d'avril, raconte le chercheur. Un peu dans le cirage, mes yeuxyeux traînaient sur les trottoirs. Tout à coup, la succession des carrés herbacés autour des poteaux et des arbresarbres, alternant avec de longues bandes de bétonbéton, m'a fait penser à un damier. À un chapelet d'îles, plutôt. J'ai du coup réalisé que j'avais sous les yeux un incroyable modèle de fragmentation écologique...
» Et un sacré terrain d'expérience à portée de mains. Qu'on en juge : ces blocs de végétaux sont nombreux, de taille identique (environ 1 à 2 m2) et espacés de façon régulière ; ils sont colonisés par le même petit groupe de populations de plantes ; lesquelles sont soumises à des perturbations analogues de ventvent, de pollution ou d'agressions canines et humaines... Mieux, ces fragments de verdure sont reliés entre eux par des évènements naturels - flux de pollenpollen, action des herbivoresherbivores, colonisation végétale - parfaitement contrôlables. À mi-chemin entre les modèles théoriques, toujours réducteurs, et les systèmes naturels, souvent trop hétérogènes et difficiles à appréhender. Bref ! Un vrai rêve pour cet écologiste qui passe ses journées à construire de toutes pièces des cadres expérimentaux, les plus rigoureux possibles, sur des parcelles de laboratoire.
Rapidement, le contact se noue avec la direction « Paysage et nature » de la municipalité, qui accepte de ne pas débroussailler ces « pourtours d'arbres ». Du moins pas avant juin, le temps que ces annuellesannuelles achèvent leur cycle. POC n'a plus qu'à réunir deux jeunes chercheurs 2 pour tenter de percer à jour la dynamique de ces populations isolées (entre 0 et 30 individus par bloc). Se développent-elles en vase clos, malgré les effets néfastes de la consanguinité ? Ou dépendent-elles d'un flux de gènes extérieurs pour survivre à cette prison de béton ? Dans ce cas, quel est le mode de dispersion des graines, qui en ville risquent fort de finir en poussière sur le pavé ? « Grâce à des marqueurs ADN très polymorphes (les microsatellites), on peut facilement vérifier, par bloc, si les descendants des plantes sont issus de parents locaux plutôt que d'un croisement avec des plantes d'autres "plots" »,
précise l'écologiste.
Leur étude, entamée en 2004, va durer trois ans. L'équipe se concentre sur 300 blocs (ou « patchs ») du quartier moderne d'Antigone, où elle ne recense pas moins... d'une centaine d'espècesespèces végétales différentes ! Cinq composés dominent ce cortège insoupçonné de plantes, en particulier notre Crepis sancta aux fleurs jaunes.
Pour tester une éventuelle adaptation des plantes aux dures réalités urbaines, les chercheurs vont analyser la variation de la taille des graines entre six populations de Crepis sancta, (quatre issues des patchs urbains, et deux de parcelles champêtres). En effet, cette annuelle bien connue des chercheurs du CEFE produit à la fois de gros fruits (akènesakènes) non dispersants et de plus petits surmontés d'un duvet parachuteparachute (pappus) qui se disséminent fortement. Selon la proportion des tailles d'akènes chez les individus, leur mode de dispersion sera bien différent. « Notre intuition s'est vérifiée : les populations urbaines ont produit davantage de gros akènes (entre + 5 et + 10 %) que celles des champs... Ce qui semble indiquer qu'elles se dispersent moins et se croisent surtout entre elles
», annonce le chercheur. Mais attention, en matièrematière de stratégie de reproduction, rien n'est linéaire ni définitif ou exclusif. À terme, ou selon la taille des populations d'un patch, la dispersion peut redevenir majoritaire.
Au-delà de ces premiers résultats, l'équipe confirme en tout cas qu'au cœur des villes, il existe des processus naturels, non contrôlés par l'homme mais bien actifs. Presque dans chaque interstice de béton ! « Sans abriter la richesse spécifique des milieux forestiers, ces îlots urbains présentent une biodiversitébiodiversité qu'on aurait tort de mépriser... »,
défend Pierre-Olivier Cheptou. Alors, de grâce, vous qui piétinez sans les voir ces sujets malingres des nouvelles expériences d'écologie urbaine, faites donc un pas de côté !
Vincent Tardieu
Contact
Pierre-Olivier Cheptou
Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE), Montpellier
[email protected]