La décarbonation de l’aviation est un sujet majeur, incontournable et fortement débattu au 54e Salon du Bourget qui se tient actuellement. Et sans surprise, de nombreuses initiatives sont à l’étude pour relever ce défi environnemental sans précédent. L’incorporation de carburants de synthèse dans le kérosène est une des solutions que pousse la Commission européenne. Mariano Morales, Director, Technical Account Management, Aerospace and Defense, Global, chez Ansys, nous éclaire sur ces deux thématiques et le lien entre simulation numérique et carburant durable.


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    Il y a quelques semaines, l'Union européenne (UE) annonçait avoir trouvé un accord autour du programme RefuelEU Aviation, qui doit rendre obligatoire l'incorporation d'une proportion de carburants durables dans le kérosène exploité par les acteurs du transport. Il s'agit là d'un des leviers incontournables pour atteindre la décarbonation du transport aérien, principalement parce qu'ils sont utilisables dans les moteurs actuellement en service et ceux en développement. Concrètement, d'ici deux ans, tous les vols au départ d'un aéroport de l'UE seront obligés d'intégrer au minimum 2 % de carburants d'aviation durables (aussi appelés SAF, pour sustainable aviation fuelsfuels). En 2030, cette part devra augmenter à 6 %, pour atteindre progressivement les 70 % d'ici à 2050.

    « Cet accord historique constitue en effet une première étape vers une décarbonation significative de l'aviation. Toutefois, il demeure des points de vigilance, parmi lesquels le coût plus élevé des carburants durables. Cela étant dit, pour atteindre l'objectif de neutralité carboneneutralité carbone d'ici 2050, il faudra encore travailler sur d'autres aspects, notamment celui de la performance des moteurs, qui tourneront avec des combustibles de nouvelle génération, la production d'hydrogène et d'électricité décarbonée », analyse Christophe Bianchi, Chief technologist Ansys.

    Plutôt que de résumer les différentes initiatives de fabrication de carburant durable et voir comment les industriels comptent les produire de façon aussi neutre que possible, nous nous sommes intéressés au rôle de la simulation numériquesimulation numérique. Nous avons donc souhaité, avec Ansys, comprendre comment la simulation peut accompagner le développement de ces nouveaux carburants et aider à relever plusieurs défis, dont l'incorporation de ces carburants de synthèse dans le kérosène et, plus généralement, comment la technologie peut agir plus efficacement sur l'empreinte écologiqueempreinte écologique globale de l'aviation avec le « jumeau numériquejumeau numérique ». En effet, aujourd'hui, la technologie permet de comprendre les propriétés thermodynamiques des mélanges de carburants et de leur performance en vol afin de concevoir des moteurs et des systèmes de propulsion.

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    La parole à Mariano Morales, Director, Technical Account Management, Aerospace and Defense, Global, chez Ansys.

    Futura : C'est quoi un « carburant durable » et y a-t-il plusieurs sortes de « carburant durable » ?

    Mariano Morales : Les carburants durables sont des carburants alternatifscarburants alternatifs qui sont moins néfastes pour l'environnement que le kérosène sur l'ensemble de leur « cycle de vie ». Parmi ces carburants durables, nous pouvons citer des biocarburantsbiocarburants ou même de nouveaux carburants comme l'hydrogène.

    Les biocarburants peuvent être fabriqués à partir de déchetsdéchets alimentaires, agricoles ou encore grâce à la biomassebiomasse. Ces méthodes de production émettent beaucoup moins de CO2 que l'extraction et le raffinage du pétrolepétrole ; c'est pourquoi ils sont considérés comme une alternative solidesolide aux carburants traditionnels.

    Concernant l'hydrogène, son utilisation comme carburant est très attrayante. En effet, les piles à combustiblepiles à combustible à base d'hydrogène ne rejettent aucune émissionémission, fonctionnent silencieusement, ne posent aucun problème de charge et ont un bon rendement thermique (jusqu'à 60 %). Cependant, le défi principal est que la densité énergétique de l'hydrogène est faible. Cela signifie que pour obtenir le même niveau de production d'énergieénergie, un volumevolume plus important d'hydrogène doit être stocké dans le véhicule.

    Futura : Quelles conséquences pour les moteurs actuels ?

    Mariano Morales : Aujourd'hui quasiment tous les moteurs d'avion, quelle que soit leur génération, peuvent fonctionner avec des mélanges de kérosène et de carburants alternatifs, comme les biocarburants. Toutefois, la limite d'incorporation des biocarburants est de 50 %, car ils posent encore des problèmes d'étanchéitéétanchéité au niveau des circuits du moteur. Pour lever ce verrouverrou, il faut ajouter des moléculesmolécules aromatiquesaromatiques qui vont prodiguer l'étanchéité nécessaire, ou bien développer de nouveaux joints moteurs.

    Des technologies comme la simulation peuvent aider à convertir plus facilement les matériaux biosourcés en carburants durables et à établir les degrés de mélanges appropriés pour maximiser leur efficacité énergétique.

    Futura : En quoi la simulation numérique peut-elle vous aider et quel est son rôle dans leur mise au point ?

    Mariano Morales : La simulation permet aux ingénieurs d'évaluer les infrastructures actuelles et de concevoir des changements pour garantir la sécurité des avions tout en réduisant les coûts et la taille des moteurs.

    Futura : Pour améliorer la performance de ces « carburants durables », sera-t-il nécessaire de développer de nouveaux moteurs ?

    Mariano Morales : Pour que les avions puissent fonctionner avec 100 % de carburants durables, les essais doivent encore être achevés et validés pour convertir les moteurs actuels. La simulation numérique joue un rôle important dans ce parcours. Alors que de nouvelles sources de carburant sont évaluées en vue de leur utilisation sur des aéronefsaéronefs, les moteurs doivent faire l'objet de tests pour garantir des performances et une sécurité optimale. Grâce à la simulation, les fabricants ne peuvent explorer et prédire comment les moteurs réagiront aux nouveaux carburants, en prenant compte par exemple des caractéristiques de combustioncombustion. Ils peuvent également prévoir l'impact de l'utilisation de ces carburants sur les traînées de condensationcondensation et les émissions carbone de l'avion.

    En revanche, utiliser l'hydrogène comme principale source d'énergie est complexe et nécessite de repenser les moteurs et les infrastructures de stockage en profondeur. L'hydrogène est hautement inflammable et pour les constructeurs, dont la sécurité est la priorité numéro un, tout risque d'accidentaccident doit donc être écarté. En outre, il est quatre fois plus volumineux que le kérosène à densité énergétique égale. Pour gagner de la place, il faut le conserver sous forme liquideliquide dans des réservoirs à -253 °C, très énergivores. Qui plus est, l'hydrogène est volatil et nécessite des matériaux innovants, capables d'empêcher les fuites et de résister à des conditions extrêmes. Enfin, l'efficacité énergétique globale du système de propulsion doit être améliorée, car la transformation de l'hydrogène en électricité grâce aux piles à combustible engendre des pertes. En s'appuyant sur la simulation, les industriels peuvent comprendre les interactions entre le contenant et le contenu afin d'identifier tous les risques de défaillance, corriger les erreurs et améliorer les performances et la sécurité des produits.

    Futura : Le programme RefuelEU Aviation est-il une solution suffisante et réaliste pour parvenir à la décarbonation de l’aviation ?

    Mariano Morales : C'est un très bon début pour des résultats à court et moyen terme, mais cette initiative seule ne permettra pas d'atteindre l'objectif de décarbonation de l'aviation.

    Pour ce faire, d'autres pistes doivent être envisagées. Par exemple, diminuer le poids des avions est l'une des solutions privilégiées pour réduire la consommation de carburant et, in fine, les émissions polluantes. La plupart des matériaux lourds, comme le métalmétal, ont déjà été remplacés par des composites plus légers, mais les fabricants ont atteint un palier et doivent trouver de nouveaux assemblages, encore plus performants. Les logicielslogiciels de simulation intègrent des bases de donnéesbases de données de matériaux de plus en plus variés, qui permettent aux ingénieurs de tester des combinaisons inexplorées pour mettre au point des composites innovants. Les composants peuvent être sélectionnés en fonction de leur durabilitédurabilité pour intégrer cette dimension au plus tôt dans le cycle de développement.

    Futura : L’aérodynamique et l’électrification nous paraissent également des pistes prometteuses...

    Mariano Morales : Effectivement, l'aérodynamique est une voie prometteuse à suivre pour limiter les besoins en carburant. En effet, la résistancerésistance aérodynamique (ou traînée) est une source majeure de consommation. En simulant les écoulements d'airair sur la structure externe de l'avion, il est possible d'étudier l'impact d'un changement de géométrie ou de matériaumatériau sur l'énergie déployée et, ainsi, définir le design le plus efficace.

    L'électrification est aussi une option pertinente pour décarboner l'aviation. Pour ce type d'aéronefs, le défi consiste à optimiser la taille et le poids des batteries, car elles possèdent une densité énergétique moindre comparée au kérosène. Bien entendu, ce désavantage est compensé pour les avions hybrideshybrides dont les batteries sont soutenues par un moteur thermiquemoteur thermique conventionnel, mais passer au 100 % électrique ne peut être envisagé que pour de petits appareils et sur de courtes distances.

    L'autre défi est écologique, puisque l'extraction des matièresmatières premières nécessaires aux batteries (lithiumlithium, cobaltcobalt, etc.) est très polluante. En testant rapidement et à moindre coût de nombreux concepts, la simulation peut non seulement aider les fabricants à améliorer l'autonomieautonomie des batteries, mais aussi à développer des modèles exigeant moins de matériaux rares.

    Outre la conception et la fabrication, la simulation joue un rôle essentiel dans la surveillance et la maintenance des aéronefs grâce au jumeau numérique, une représentation virtuelle dynamique d'un objet, d'un système ou d'un processus du monde réel, alimenté en données grâce à des capteurscapteurs et l'Internet des ObjetsInternet des Objets (IoT). Le jumeau numérique va donc se mettre à jour à mesure que l'objet réel évolue, permettant de rendre compte de ses performances en continu. Plus important encore, le jumeau numérique est une solution de pronosticpronostic capable de prendre en compte l'historique de l'objet pour prédire son comportement futur. Un atout essentiel pour prévoir la duréedurée de vie des composants et, ainsi, rationaliser les opérations de réparation et de remplacement. L'autre avantage est qu'il peut s'appliquer à toutes les échelles (pièce, avion, aéroport, etc.), ce qui permet de regrouper tout l'écosystèmeécosystème de l'avion au sein d'un même environnement de travail et d'agir plus efficacement sur l'empreinte écologique globale.

    Futura : La potentielle répercussion du coût des SAF ne risque-t-elle pas de porter un coup dur à la fréquentation des vols commerciaux ?

    Mariano Morales : Les carburants d'aviation durables sont entre deux à cinq fois plus chers que le kérosène. Il y aura donc certainement une répercussion sur le prix des billets d'avion. Mais pas certain que cela impactera significativement la fréquentation des vols commerciaux, car la décarbonation de l'aviation est une préoccupation grandissante chez les voyageurs. À ce propos, notre dernière étude sur l'aviation montre que la plupart d'entre eux (65 %) sont prêts à payer davantage pour des vols plus écologiques.