Pour tous les Français, Vercingétorix est célèbre comme le chef et roi du peuple celte des Arvernes porté à la tête d’une coalition des peuples de la Gaule pour la libérer des ambitions de conquête de Jules César. Ce qui aboutira à la victoire de Gergovie mais ensuite à la défaite finale à Alésia. Selon le grand historien et géographe grec Strabon, Vercingétorix serait originaire de Gergovie, ce qui jusqu’à présent et en raison du siège qu'y tiendra César ainsi que des fouilles archéologiques commencées au XIXe siècle conduisait généralement à penser que Gergovie était la capitale des Arvernes. Mais un ouvrage savant, faisant état du bilan d’une vingtaine d’années de fouilles archéologiques en Auvergne en ce début de XXIe siècle, laisse désormais penser que la vérité est ailleurs…


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    Le richissime Heinrich Schliemann prenait tellement au sérieux l'Iliade d'Homère et sa description de l'endroit où se serait passée la guerre de Troie qu'il s'est appuyé sur elle pour lancer les fouilles qui vont finalement lui faire découvrir les ruines de la cité mythique à Hisarlık (en turc « lieu de la forteresse »), du nom d'une colline située dans l'actuelle province de Çanakkale en Turquie, au bord de la mer Méditerranéemer Méditerranée.

    Napoléon III était contemporain de Schliemann au XIXe siècle, mais sa passion à lui pour l'Antiquité prend la forme d'une fascination pour la vie de Jules César. C'est pour cette raison qu'il a lancé plusieurs grandes campagnes de fouilles en France pour identifier les lieux des évènements de la guerre des Gaules. Pour cela, les archéologues se sont appuyés sur les Commentaires sur la guerre des Gaules (en latin, Commentarii de Bello Gallico), un ouvrage d'histoire en sept livres où Jules César raconte à la troisième personne sa conquête de 58 à 51 av. J.-C.

    Son contenu factuel a bien entendu été mis en doute à plusieurs reprises et sous plusieurs angles, étant bien sûr l'occasion pour César de se donner le beau rôle. Toutefois, il ne pouvait pas se permettre de trop enjoliver ou déformer les faits car il n'était pas le seul témoin. De plus et surtout, De Bello Gallico était pour une bonne part un assemblage des rapports qu'il rédigeait, en partie avec ses lieutenants, pour les envoyer au Sénat romain. Il s'agissait en fait de rapports demandés par le Sénat pour surveiller César qui ne pouvait donc se permettre d'être pris en flagrant délit de mensonges éhontés.


    La Guerre des Gaules – Vercingétorix & Jules César. © Confessions d'Histoire

    En tout état de cause, De Bello Gallico est certainement plus factuel que l'Iliade, ce que l'on a pu voir aux abords du site du plateau de Gergovie situé à une dizaine de kilomètres au sud de Clermont-Ferrand. César en fait le lieu d'une bataille qu'il a perdue contre les troupes de Vercingétorix, alors chef des Arvernes, en 52 av. J.-C. Dès les années 1860, les campagnes de fouilles lancées par Napoléon III avaient montré la présence des restes des camps construits par les légions de César pour le siège de l'oppidum signalé par De Bello Gallico à Gergovie.

    Rappelons au passage que pour les Romains du temps de César le terme « oppidum » en latin désigne une agglomération généralement fortifiée et bénéficiant presque toujours de défenses naturelles liées à son implantation sur des lieux d'accès difficiles. C'est depuis plusieurs siècles, déjà à ce moment-là, une caractéristique que l'on trouve en Europe de l'Ouest et centrale de ce qui a été appelé la civilisation des oppida.

    Rappelons aussi que du temps de César, bien qu'il divise les populations gauloises en quelques groupes qui comprendraient en gros aujourd'hui, les Français, les Belges et les Suisses, groupes qui eux-mêmes se subdivisent, on est plus proche d'une mosaïque de peuples/tribus, formant des cités-États parfois incluses dans desfédérations. Beaucoup de ces peuples ont des échanges économiques et culturels depuis des décennies voire des siècles déjà avec les Grecs de Massalia, notre Marseille, et les Romains de la Gaule narbonnaise.

    Pourquoi tous ces rappels ? Parce qu'un ouvrage récemment publié incite fortement à repenser le statut attribué généralement à Gergovie au moment de la guerre des Gaules : celui de la capitale des Arvernes où est né Vercingétorix, c'est-à-dire de l'un des principaux peuples celtes de la Gaule occupant un territoire correspondant à la région de l'Auvergne. Ils étaient particulièrement riches et puissants en raison de leurs ressources en or et argent, de leurs artisanats et de leur maîtrise de la métallurgie.


    Grâce au travail des archéologues qui ont mis au jour des vestiges sur plusieurs dizaines d'hectares, une reconstitution de la ville gauloise est possible ! Nous vous proposons de vous retrouver immergés au cœur de cette ville, vous promenant à votre guise dans les différentes parties de la ville, le marché, la taverne, les maisons. Point central de la visite, le sanctuaire s'ouvre à vous dans les moindres détails : zone de sacrifice, préparation de repas, atelier de monnaie, etc. Cette œuvre aussi ludique que pédagogique est le fruit d'un travail de reconstitution scientifique de très longue haleine : ses producteurs travaillent dessus depuis plus de 10 ans, en étroite collaboration avec les archéologues. Un projet réalisé par Court-Jus Production, sous la supervision de Matthieu Poux, professeur d'archéologie à l'université Lyon II, et avec la participation du conseil général du Puy-de-Dôme ainsi que de l'association LUERN (www.luern.fr). Cette restitution n'intègre pas le rempart dont la présence (jusqu'alors supposée) a été confirmée lors des fouilles de 2021. Modélisations 3D: David Geoffroy et Nicolas Cayré (Court-Jus Production), Musique: Scott Buckley © Conseil départemental du Puy-de-Dôme, Court-Jus Production

    Cet ouvrage, on le doit à un collectif dirigé par les archéologues Matthieu Poux et Thomas Cerisay. Il a comme titre L'oppidum fortifié de Corent (Néolithique moyen, Bronze final, La Tène finale) et est publié ce mois-ci, en novembre 2023, aux éditions Mergoil. Il fait un bilan impressionnant d'une vingtaine d'années de fouilles menées sur le plateau volcanique de Corent, situé à une quinzaine de kilomètres de Clermont-Ferrand. Ce bilan est mis dans le contexte d'autres fouilles dont certaines ont été menées pendant la même période aux sites voisins de Gondole et de Gergovie.

    À sa lecture, il est difficile de ne pas arriver à une conclusion sans aucun doute polémique. Comme le disait Jules César dans un autre de ses ouvrages, Les Commentaires sur la guerre civile (en latin Commentarii de Bello civili), relatant la guerre civile qui l'opposa à Pompée et les événements de 49 à 48 av. J.-C. pendant presque une année : « L'expérience, voilà le maître en toutes choses. ».

    Or, l'expérience acquise à Corent et Gergovie nous montre l'existence à Corent d'un lieu d'occupation millénaire et important, avec un sanctuaire religieux datant de plusieurs siècles avant la bataille de Gergovie, alors que le plateau de Gergovie semble avoir été très peu occupé aux périodes antérieures à la défaite des Romains en 52 av. J.-C. Il ne prendra son essor qu'après elle.

    La thèse que l'on voit donc avancée dans l'ouvrage publié, c'est que la capitale des Arvernes déjà depuis un bon moment, avant la guerre des Gaules, est Corent et pas du tout Gergovie. Cela pose bien sûr de multiples questions, par exemple pourquoi Jules César parle-t-il de Gergovie et pas de Corent ? Comment s'appelait même Corent du temps des Arvernes ?

    Ces questions est bien d'autres sont abordées dans l'ouvrage publié mais pour se faire une idée de certaines des réponses Futura a eu la chance de s'entretenir avec Matthieu Poux, non seulement archéologue et professeur d'archéologie à l'université Lyon II mais aussi romancier. Il coordonne depuis 2001 les fouilles de l'oppidum de Corent et c'est le fondateur et vice-président du Laboratoire universitaire d'enseignement et de recherche en archéologie nationale (LUERN), lequel supporte en particulier l'organisation des fouilles de Corent.


    Matthieu Poux, professeur d'archéologie à l'université Lyon II et responsable des fouilles de Corent (63), commente les découvertes réalisées lors de la campagne 2016. © Court-jus Production

    Futura : Pendant les années 1980 à 1990, il était encore fréquent pour quelqu'un vivant dans la région Auvergne d'entendre dire que la fameuse bataille de Gergovie ne s'était pas produite à Gergovie mais bien sur le site des Côtes de Clermont, où se trouve la colline de Chanturgue. Les opposants à la thèse officielle depuis Napoléon III faisaient déjà remarquer qu'il n'y avait pas de trace d'une occupation importante du plateau de Gergovie avant l'arrivée de César en Gaule. Aujourd'hui, dans l'ouvrage collectif que vous avez co-dirigé, vous soutenez également que la capitale des Arvernes à ce moment-là devait être Corent. Quid du site de l'affrontement entre César et Vercingétorix ?

    Matthieu Poux : Dans notre ouvrage nous ne remettons absolument pas en cause la thèse officielle et nous affirmons nous aussi que Gergovie est bien le lieu de la défaite des légions de César. Il était déjà difficile de penser le contraire du temps de Napoléon III et le débat est clos depuis longtemps à ce sujet pour la communauté scientifique des archéologues, grâce aux découvertes réalisées depuis les années 1990.

    Il n'est pas question non plus de nier que dans les décennies qui ont suivi la conquête de la Gaule, le plateau de Gergovie a fait preuve d'une vitalité urbanistique, économique et monétaire qui le désigne comme le principal centre de pouvoir du bassin clermontois, avant que ne vienne le tour d'Augustonemetum, le « sanctuaire d'Auguste », la ville gallo-romaine qui deviendra plus tard Clermont-Ferrand.

    Futura : Toujours dans votre ouvrage, vous expliquez que tout comme dans le cas de la ville de Troie, le site de Corent a fait l'objet de plusieurs phases d'occupation successives, du Néolithique moyen il y a plus de 3 000 ans à l'époque romaine impériale. Ce qui suffit déjà à attester de l'importance de ce site situé non loin de l'Allier qui servait incontestablement de voie commerciale importante avec un probable port.

    Matthieu Poux : En effet, en plus de très nombreux restes d'amphores romaines devant contenir du vin, associées notamment à des céramiquescéramiques provenant de la région campanienne autour de Pompéi, nos fouilles ont mis en évidence de nombreuses monnaies, dont certaines étaient frappées sur le site de Corent avec des outils que nous avons retrouvés, et d'autres originaires de toute la Gaule mais aussi de Marseille, des décennies avant le site de Gergovie et la bataille de 52 av. J.-C. Or, le fait de pouvoir frapper sa propre monnaie est un apanage des autres cités-États que l'on trouve en Gaule, ce qui laisse déjà penser que Corent avait un statut de capitale des Arvernes avant la conquête romaine entreprise par Jules César.

    Futura : Vous avez également montré qu'il existait des traces d'un lieu de culte important, persistant sur plusieurs siècles, ainsi que des restes d'un amphithéâtre romain superposé à ce qui semble avoir été une constructionconstruction destinée à héberger une assemblée, une sorte de Sénat prenant des décisions politiques, un hémicycle à gradins de boisbois qui n'est pas sans rappeler le bouleutérion grec (le bâtiment dans les cités de la Grèce antique où se réunissait la boulè, l'assemblée restreinte de citoyens chargés des affaires courantes de la ville) comme l'explique votre ouvrage.

    Matthieu Poux :  On constate effectivement la présence au centre du plateau de Corent d'un grand sanctuaire régi par des règles géométriques et astronomiques dont la complexité n'a rien à envier à celles des Étrusques en Italie bien avant la guerre des Gaules.

    On retrouve bien un lieu de culte sur le plateau de Gergovie mais les fouilles n'ont, pour le moment et contrairement au cas de Corent, rien montré qui ne date d'avant 52 av. J.-C. Il semble bel et bien s'agir dans ce cas d'un sanctuaire gallo-romain ne succédant pas à un sanctuaire arvernes plus ancien comme on va en trouver plusieurs après l'époque romaine.

    Plus généralement à Gergovie, et dans l'état actuel des fouilles, on a constaté que les voiries et dallages publics qui structurent l'urbanisme de l'oppidum ne datent pas de l'époque gauloise généralement mais bien de l'époque gallo-romaine, contrairement à ce que l'on pensait initialement.

    Futura : Les fouilles de Corent ont montré une forte population sur le plateau autour de son sanctuaire des dizaines d'années avant la guerre des Gaules et une influence de la culture romaine et grecque qui atteste d'une aristocratie celte déjà acculturée maîtrisant l'écriture comme le démontrent des graffitis sur vases et la présence d'instruments d'écriture comme des stylets, précisément comme on pourrait s'y attendre si Corent était bien la capitale des Arvernes.

    Matthieu Poux : Oui, et on ne trouve pas seulement des traces d'une élite politique et culturelle mais aussi militaire comme des pièces de garniture de chars de combat, des fragments de cottes de mailles et d'enseignes militaires datant de l'époque gauloise le montrent.


    Une conférence toujours de Matthieu Poux et qui a été organisée en 2021 par le Musée archéologique de la bataille de Gergovie, la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand (université Clermont Auvergne/CNRS), le département du Puy-de-Dôme, en partenariat avec LUERN, dans le cadre du cycle de conférences Échos d’Archéos. © Musée de Gergovie, LUERN (Laboratoire universitaire d'enseignement et de recherche en archéologie nationale)

    Futura : Mais si Gergovie n'est pas la capitale des Arvernes, pourquoi Jules César et d'autres auteurs de l'Antiquité ne mentionnent pas Corent et ne donnent pas son nom Arvernes ?

    Matthieu Poux : En fait, si César parle bien de Gergovie comme d'un oppidum ou d'une Urbs des Arvernes, une ville donc, il n'en parle jamais comme de leur capitale. Si on trouve plus tard, dans les écrits de Strabon d'Amasée, mention de Gergovie comme ville des Arvernes qui aurait été le lieu d'origine de Vercingétorix, il précise dans la foulée que leur capitale est en bord d'un fleuve, qu'il identifie à la Loire, ce qui est bien sûr impossible et qu'elle s'appelle Nemôssos. Gergovie n'est pas au bord de l'Allier, Corent si.

    Par ailleurs, Nemôssos est probablement dérivé du théonyme Namausos/Nemausus, une divinité tutélaire indigèneindigène liée au culte des eaux et des sources, qui a aussi donné son nom à la « métropole » de Nîmes. Or il y a des indices d'une sanctuarisation de la source présente dans l'angle nord-est du plateau de Corent, révélée par les prospections géophysiques et les fouilles récentes, comme nous l'expliquons dans notre ouvrage.

    Futura : Pourquoi les légions romaines font-elles alors le siège de Gergovie et pas de Corent ?

    Matthieu Poux : Une chose est sûre, on constate que Gergovie voit ses fortifications rapidement augmentées et visiblement dans l'urgence en 52 av. J.-C comme ce sera le cas un peu plus tard avec Alésia. Vercingétorix pratiquant la stratégie de la terre brûlée, on peut penser qu'il a vidé Corent de sa population et de ses ressources pour se replier sur le site de Gergovie, mieux fortifié et plus facile à défendre.

    Futura : Vous expliquez que Corent n'est pas abandonné après la défaite d'Alésia, même si l'activité se réduit pendant un temps. Vous expliquez aussi que le site de Corent n'est pas le seul à avoir été très actif avant et après la victoire de Gergovie, il y a le site de Gondole tout proche de Corent, qui est aussi un oppidum en bord de l'Allier et qui semble avoir été le lieu d'une activité artisanale importante et sans doute de stockage, notamment des amphores romaines. Pourquoi, avec Gergovie, tous ces sites sur des plateaux finissent-ils par être abandonnés au profit d'Augustonemetum aux siècles suivants ?

    Matthieu Poux : Sans doute précisément en raison de la conquête romaine. En imposant la Pax romana sur les territoires des Gaules, les anciennes cités-États n'ont plus à se défendre les unes des autres. Enfin, l'urbanisation à la romaine se fait plus facilement et naturellement en plaine que sur des plateaux.

     


    Depuis deux décennies, archéologues et historiens s'emploient à montrer que l'opposition radicale entre des Romains civilisés et des Gaulois primitifs, martelée depuis des siècles, est totalement caduque. Loin d'être habitée par des sauvages hirsutes vivant au fond des bois, la Gaule, par son foisonnement d'activités agricoles, artisanales et presque industrielles comme ses mines, est au moins l'égale des pays voisins ou plus lointains que l'histoire a longtemps qualifié de brillantes civilisations. Documentaire réalisé par Philippe Tourancheau, avec la participation de Patrick Maguer (Inrap / HeRMA). © Eclectic Presse, avec la participation de France Télévisions