L’arbre de la vie a mis des centaines de millions d’années à grandir et à s'étoffer. Des branches trop peu solides en ont été naturellement éliminées. Mais aujourd’hui, c’est de l’intérieur que vient la menace. Parce que l’humanité est en train de couper, une à une, quelques-unes de ses branches les plus utiles.


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    La sixième extinction de masse est en cours. Ce n'est malheureusement pas un scoop. Les scientifiques le constatent depuis longtemps maintenant. Partout dans le monde et sous l'effet des activités humaines, des espèces s'éteignent à une vitessevitesse assez folle. Mais une nouvelle analyse menée par des chercheurs de l'université Stanford (États-Unis) et de l'université nationale autonome du Mexique et publiée dans les Actes de l’Académie nationale des sciences suggère que cette crise-là est un peu plus profonde encore que le pensaient jusqu'ici les scientifiques. Parce que les chercheurs ont choisi de poser sur cette extinction de masse, un regard nouveau. Non plus un regard centré sur les espèces qui disparaissent, mais sur les genres qui s'éteignent. Pour comprendre, rappelons que les espèces constituent l'extrémité de la classification scientifique du vivant. Comme les feuilles de l'arbre de la viearbre de la vie. Les genres, eux, arrivent juste avant. Comme les dernières branches de ce même arbre de la vie.

    Le rythme affolant de l’extinction des genres

    Les chercheurs ont donc analysé 5 400 genres d'animaux vertébrés vivants sur notre Terre ; 5 400 genres regroupant quelque 34 600 espèces. Résultat : depuis 1500, pas moins de 73 genres ont tout simplement disparu. Comme autant de branches que nous aurions coupées à l'arbre de la vie. Les oiseaux ont payé le plus lourd tribut. Puis les mammifères, les amphibiens et les reptilesreptiles.

    D'accord. Mais, de tout temps, des espèces et des genres se sont éteints, pourrait-on rétorquer à ces chercheurs. Absolument, nous répondraient-ils. Mais le taux actuel d'extinction s'avère... 35 fois supérieur à celui du dernier million d'années ! Autrement dit, en 500 ans, les activités humaines ont provoqué une vaguevague d'extinction que la nature aurait mis pas moins de 18 000 ans à égaler.

    Nous perdons les seuls compagnons vivants que nous connaissons dans l’Univers

    « Nous sommes des scientifiques et nous ne cherchons pas à être alarmistes », remarque Gerardo Ceballos, auteur principal de l'étude, dans un communiqué de l’université Stanford. « Toutefois, il serait contraire à l'éthique de ne pas expliquer l'ampleur du problème. » « Ce que nous perdons là, ce sont les seuls compagnons vivants que nous nous connaissions dans l'UniversUnivers tout entier », renchérit son collègue, Paul Ehrlich.

    Difficile de se relever de l’extinction d’un genre

    Pour nous aider à nous faire une idée précise de la gravitégravité de la situation, les chercheurs expliquent que si une espèce disparaît, une autre espèce du même genre peut généralement en quelque sorte prendre sa place dans l'écosystèmeécosystème. Et comme les espèces cousines portent des matériels génétiquesmatériels génétiques proches, la diversité reste plus ou moins stable. Mais lorsqu'un genre entier s'éteint, c'est comme si une branche tombait d'un arbre. Elle laisse un trou qui peut, dans le cas de la biodiversitébiodiversité, prendre des dizaines de millions d'années à se combler. C'est ennuyeux pour les écosystèmes. C'est aussi ennuyeux pour nous, êtres humains qui, rappelons-le, faisons partie intégrante de ces écosystèmes fragilisés.

    L'exemple de la maladie de Lyme est frappant. Les souris à pattes blanches en sont les principaux porteurs. Longtemps, elles étaient en concurrence pour trouver de la nourriture avec les pigeons migrateursmigrateurs. Ils étaient les derniers représentants de leur genre. Et ils ont disparu. En même temps que les prédateurs de type loups et cougars se sont faits plus rares. Les populations de souris à pattes blanches, elles, ont explosé. Comme les cas de maladie de Lymemaladie de Lyme. Y compris chez les humains !

    Des genres qui s’éteignent, ce sont aussi des modèles d’études qui disparaissent. C’est l’exemple de la drôle de grenouille à incubation gastrique – ici, une banale grenouille, pour illustration. Elle élève ses têtards dans son estomac, mettant pour ce faire la sécrétion d’acide gastrique en sommeil. Dites plutôt, elle élevait. Car, dernière représentante de son genre, elle a disparu. Emportant avec elle nos espoirs de percer son secret et de nous en servir pour soigner quelques maladies humaines comme le reflux acide. © Martin Valigursky, Adobe Stock
    Des genres qui s’éteignent, ce sont aussi des modèles d’études qui disparaissent. C’est l’exemple de la drôle de grenouille à incubation gastrique – ici, une banale grenouille, pour illustration. Elle élève ses têtards dans son estomac, mettant pour ce faire la sécrétion d’acide gastrique en sommeil. Dites plutôt, elle élevait. Car, dernière représentante de son genre, elle a disparu. Emportant avec elle nos espoirs de percer son secret et de nous en servir pour soigner quelques maladies humaines comme le reflux acide. © Martin Valigursky, Adobe Stock

    Arrêter de scier les branches de l’arbre de la vie

    Les scientifiques soulignent aussi que chaque genre qui s'éteint emporte avec lui ses secrets. Parfois précieux pour le développement de nouvelles thérapiesthérapies, par exemple. Et que les extinctions et la biodiversité jouent aussi sur notre climatclimat.

    Pour toutes ces raisons, les chercheurs appellent à une action politique, économique et sociale immédiate et à grande échelle. Avec des efforts de conservation qui doivent se concentrer d'abord sur les tropiquestropiques qui présentent à la fois la plus forte concentration de genres en extinction et de genres avec une seule espèce restante. « L'idée selon laquelle nous pouvons continuer à vivre comme avant et sauver la biodiversité est insensée, affirme Paul Ehrlich. C'est comme scier la branche sur laquelle nous sommes assis. »