Depuis dix ans, les équilibres doctrinaux et géostratégiques connaissent une mue profonde, actée par le retour de la guerre sur le sol européen avec le début du conflit russo-ukrainien. En 2018, Vladimir Poutine présentait une flopée de nouvelles armes technologiquement supérieures, supposées venir appuyer la nouvelle stratégie russe.


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    Le 1er mars 2018, Vladimir Poutine s'adressait à plusieurs députés du parlement russe, la Douma, lors d'une visite au Centre des expositions de Manezh, à Moscou. Le président Poutine indiquait alors que la Russie travaillait activement au développement de nouvelles plateformes conventionnelles et nucléaires, agrémentant son discours d'une phrase sonnant comme un avertissement : « Personne ne nous écoutait. Maintenant ce sera le cas. ». Un terme émerge de la bouche des médias et des officiels, en qualifiant ces nouveaux équipements de super-armes, ou « superoruzhie ». Six ans plus tard, les promesses du Kremlin ont-elles été tenues, ces nouvelles technologies sont-elles déployées, avec un impact tactique ou stratégique sur le terrain ?

    Créer un avantage tactique et stratégique

    L'une de ces plus célèbres armes est le RS-28 Sarmat, que de nombreux médias surnomment « SatanSatan-2 », malgré une dénomination bien moins sensationnaliste du côté de l'Otan (SS-X-30). Avant 2018, des rumeurs existaient déjà quant à la conception de ce missilemissile balistique intercontinental. Imaginé par le bureau d'études Makeïev, rattaché au gouvernement russe, le Sarmat possède une spécificité le distinguant des autres ICBM : il peut emporter jusqu'à 15 têtes nucléaires. Fonctionnant comme une munition à dispersion, le Sarmat est théoriquement capable de parcourir 18 000 kilomètres, rendant atteignable n'importe quelle cible dans le monde. L'objectif est de remplacer le R-36, mis en service dès 1966 pour les versions les plus anciennes. Initialement, le Sarmat devait être déployé en 2022. Il faut en réalité attendre cette année-là pour que la Russie déclare avoir réalisé un premier vol test, le 20 avril 2022. Si des photos publiées par le ministère de la Défense russe permettent d'attester de la mise à feufeu d'un missile depuis le cosmodrome de Plesetsk, il est difficile d'évaluer le degré de réussite de ce premier vol.

    Le RS-28 Sarmat, testé pour la première fois en 2022, devrait venir grossir l’arsenal de missiles russes. © TASS
    Le RS-28 Sarmat, testé pour la première fois en 2022, devrait venir grossir l’arsenal de missiles russes. © TASS

    Un missile annoncé en 2018 qui a été observé dans le ciel de l'Ukraine est le Kh-47M2 Kinzhal, signifiant littéralement « dague » en russe. L'architecture du Kinzhal est basée sur celle du missile 9M723 Iskander, une référence de l'armement russe, dont le premier essai date de 1995. L'Iskander, missile airair-sol/air-air opérant à une distance maximale de 500 kilomètres de son point de lancement, pouvait atteindre la vitesse de Mach 6, soit 7 400 km/h. Le Kinzhal est vanté pour sa vitesse, plafonnant à Mach 10, environ 12 300 km/h. Le Kinzhal est transporté sur la baie d'emport des MiG-31 et peut frapper une cible située à 2 000 kilomètres de l'aéronefaéronef, selon les officiels de l'armée russe. Avec la « Dague » russe, l'emphase est portée sur l'axe principal de développement des armes présentées par Vladimir Poutine : la vitesse. L'objectif scientifique et militaire est ici de faire en sorte que ces équipements ne soient pas interceptables.

    Des armes encore peu observées sur le terrain

    C'est le cas du très hypothétique planeur hypersonique Avangard. Ce dernier est un véhicule transportant de préférence une charge nucléaire, dont la trajectoire le fait voyager à vitesse élevée à basse altitude sans toutefois quitter l'atmosphèreatmosphère terrestre comme un missile balistique. Le gouvernement russe visualisait une intégration du  système dans l'armée russe à l'horizon 2027. Mais pour l'heure, personne n'a pu observer l'Avangard en action. Le ZirconZircon, missile sol-sol tiré depuis des navires a, lui, été utilisé sur le théâtre ukrainien. Manufacturé par Mashinostroyeniya NPO, sa portée annoncée est de 1 000 kilomètres avec une vitesse maximale de Mach 7. Pour l'heure, l'utilisation de ce missile en Ukraine n'a pas permis d'observer toutes ses caractéristiques opérationnelles, sa vélocitévélocité le rendant très difficile à intercepter. Son utilisation en zone de guerre est à interpréter avec beaucoup de précaution, la Russie se voulant opaque sur les capacités offensives de ses navires en mer Noiremer Noire.

    Certains missiles surface-surface peuvent être tirés depuis des navires. Ici, une partie de la flotte russe basée en mer Noire. © <em>The Moscow Times</em>
    Certains missiles surface-surface peuvent être tirés depuis des navires. Ici, une partie de la flotte russe basée en mer Noire. © The Moscow Times

    Moins présentes dans l'espace médiatique, deux autres armes complètent cet arsenal russe renouvelé : le Poseidon et le Burevestnik. L'existence du premier est antérieure à 2018, les ingénieurs russes ayant élaboré une sorte de torpille nucléaire avec le Poseidon, capable de fendre les eaux à 70 nœudsnœuds, soit 130 km/h. Supposément capable de plonger à 1 000 mètres de son point de lancement, le Poseidon serait chargé sur des sous-marins à propulsion nucléaire de classe Belgorod. La dernière arme de type stratégique est donc le 9M730 Burevestnik, dont la base conceptuelle est similaire au missile Kalibr, entré en service en 1994. Le Burevestnik transporte une ogive thermonucléaire tout en possédant des spécificités analogues aux armes précédemment citées. Capable de voler à basse altitude à une vitesse hypersonique, supérieure à Mach 5, l'idée derrière le Burevestnik est toujours la création d'une arme difficile, voire impossible, à arrêter une fois lancée. Le 5 octobre 2023, Vladimir Poutine annonçait que ce nouveau missile thermonucléaire avait effectué son premier vol. Une information contestée par la BBC britannique, affirmant qu'aucune observation indépendante ne venait corroborer les dires du président russe.

    L'article de la BBC et le travail de journalistes et d'agences indépendantes à travers le monde malmènent le narratif russe sur ces nouvelles « super-armes ». Le dessein du Kremlin est ici de maintenir la Russie au niveau des autres nations. Mais les ambitions russes se confrontent à la réalité. En comparaison, le budget de l'armée russe est estimé à 48 milliards de dollars en 2021, très éloigné des 705 milliards de dollars alloués à la défense par le gouvernement des États-Unis pour l'année fiscale 2021.