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    En a-t-on donc terminé de la vie artificielle classique, celle qui cherchait à produire de la vie réelle in silico ? Au cours du « panel des pionniers », qui s'est tenu à la fin du troisième jour du colloque 2011, certains des vieux routiers de la vie artificielle ont répondu à un « questionnaire de Proust » de Hugues Bersini sur la nature et la définition de la vie artificielle.

    Comment sera notre avenir ? © Jamesteohart, Shutterstock

    Comment sera notre avenir ? © Jamesteohart, Shutterstock
    Formes de vie artificielle générées par ordinateur. © DR

    Formes de vie artificielle générées par ordinateur. © DR

    Ainsi, à la question « Qui selon vous incarne le mieux la vie artificielle ? », une très nette majorité a répondu : Chris Langton. Et ce, bien que l'homme ait disparu de la circulation et que ses théories n'aient pas été universellement adoptées. Lors de cet hommage général, un des participants au colloque s'est levé pour rappeler que Langton n'était pas mort, et que selon ses sources, il serait même prêt à revenir dans le jeu.

    Tom Ray et le logiciel Tierra

    Autre grand vainqueur de ce panel des pionniers, le logiciel Tierra de Tom Ray, mentionné par la majorité des participants comme le programme de vie artificielle archétypique. Si Ray ne fait pas partie des tout premiers participants au colloque de Santa Fé, son système, Tierra est l'exemple même de la vie artificielle classique langtonienne : il s'agit d'une soupe de « virus informatiques » capables de s'autorepoduire et d'entrer en compétition pour la seule véritable ressource du monde numériquenumérique (l'occupation du temps de calcul).

    Vie artificielle du logiciel Tierra de Tom Ray. © DR

    Vie artificielle du logiciel Tierra de Tom Ray. © DR

    En 1996, Ray avait même lancé une Tierra en réseau. Il espérait, en se servant de l'internetinternet comme environnement global pour ses créatures, produire l'explosion cambrienneexplosion cambrienne qu'il appelait de ses vœux. À l'époque, l'affaire avait même créé une polémique, les gens craignant (de manière irrationnelle, car les tierrans ne peuvent fonctionner que sur une machine virtuellemachine virtuelle spécifique) que les « vers » de Ray ne contaminent la Toile tout entière. Il avait dû s'adjoindre alors les services de Tsutomu Shimomura, spécialiste de la sécurité informatique qui avait fait « tomber » Kevin Mitnick, pour rassurer les utilisateurs inquiets. Mais, ici encore, cette expérience n'a pas connu de véritable suite.

    Vie artificielle : quels résultats ?

    Peut-être encore plus intéressantes, les réponses à la question de Bersini sur les « résultats concrets apportés par la vie artificielle ». Dans la plupart des cas, elles insistaient sur la création d'une communauté interdisciplinaire de chercheurs et son maintien à travers le temps. Autrement dit, l'apport de la vie artificielle est bien plus d'ordre sociologique que purement scientifique : la vie artificielle a créé un espace loin des spécialisations académiques et permis la rencontre entre des chercheurs de disciplines différentes pour discuter de mécanismes transversaux comme la réplicationréplication, l'autonomieautonomie, la mutation, la complexité...

    La vie artificielle, une utopie mythique

    En écoutant ce panel, on avait le sentiment d'assister à l'élaboration d'une mythologie contemporaine, les chercheurs se référant souvent à un temps mythique (dans le lointain passé des années 1980, ou dans un lointain futur) peuplé de vie in silico tandis qu'ils se consacrent essentiellement à des travaux plus concrets et plus terre-à-terre. Louis Bec, artiste invité au colloque, inventeur de nouvelles espècesespèces vivantes et créateur de l'Institut scientifique de recherche paranaturaliste, a employé les termes « d'épistémologie fabulatoire », une expression très heureuse qui définit bien la vie artificielle : une discipline dont les ambitions initiales appartiennent, sans aucun doute, aux utopies futuristes les plus extrêmes, à la science-fiction (au sens noble et non péjoratif du terme). Un imaginaire futuriste qui nourrit des recherches bien plus concrètes, mais qui reste, pour presque tous les chercheurs du domaine, le point de référence de leurs travaux.

    Toutefois, lorsqu'on dit que la vie artificielle présente un lien avec la biologie théorique, on oublie de dire que son champ d'action et ses méthodes s'étendent bien au-delà : elle aborde aussi le thème de la société, de la culture, du langage. Et aussi, elle n'est pas dénuée de fructueuses applications pratiques, dont on a vu poindre le neznez au colloque. Deux thèmes que nous allons explorer dans les prochaines pages de ce dossier.