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L'une des principales innovations de Second LifeSecond Life (la seule, diraient les mauvaises langues) tient à l'invention d'une monnaie virtuellemonnaie virtuelle, le Linden dollar. Grâce à celui-ci, on peut acheter et vendre sur Second Life des biens tout aussi virtuels que la monnaie.
L'existence d'économies parallèles dans les mondes synthétiques sera peut-être l'un des changements sociaux les plus importants du prochain siècle. Pourra-t-on vivre plusieurs vies dans différents mondes, se comporter en nouvel émigrant dans certains d'entre eux, s'installant dans un pays vierge pour faire fortune ? Ces différentes monnaies seront-elles aisément convertibles ? Pourra-t-on s'enrichir pour de vrai en convertissant ses fortunes virtuelles en monnaie réelle ?
Comment fonctionne l'économie des univers virtuels ? © AdultsOnlyMinecraft, Pixabay, DP
Ici encore, les visions sont contradictoires, et le buzz et la « hype » ne font rien pour arranger les choses. Il fut un temps où il n'y avait rien de plus branché pour une entreprise que d'installer des bureaux dans Second Life.
Un peu plus tard, tout dégringolait. Ainsi, le cabinet de consultants Gartner, après avoir chanté les mérites de Second Life, découvrit soudain les dangers du monde virtuel et conseilla la plus grande des prudences.
Économie de Second Life
Pour un analyste financier comme Randolph Harrison, l'économie de Second Life ne doit pas faire illusion. Il s'agirait en fait d'un système pyramidal, comme celui proposé par certaines chaînes de lettres ou de produits : autrement dit, une quasi-arnaque. En réalité, seuls quelques chanceux pourraient réellement tirer quelques bénéfices du système en place.
Tout le monde ne partage pas l'opinion de Harrison, qui confie sur son blogblog avoir reçu bon nombre de lettres contestant férocement son analyse. Un grand théoricien de l'économie virtuelle (quasiment le fondateur du domaine), Edward Castronova, n'accepte pas non plus la vision pyramidale dénoncée par Harrison. Selon lui, l'erreur commise par ce dernier est d'imaginer Second Life comme une économie analogue à celle des États-Unis, pour constater alors qu'elle ne suit pas les lois d'un marché aussi global.
Pour Castronova, Second Life n'est rien d'autre qu'un petit village, avec des ressources réelles, mais limitées. « Ce n'est pas une arnaque, c'est une économie villageoise, affirme-t-il. Il ne s'agit pas, ajoute-t-il, d'un schéma pyramidal mais d'une mini-ruée vers l'or. L'or existe et possède une authentique valeur. L'erreur consiste à penser qu'il y en a pour tout le monde. Castronova mettait en garde : L'apparition d'une éventuelle anti-hype, aussi déséquilibrée que l'enthousiasme qui l'a précédée, pourrait faire de 2007 l'année du crash des mondes virtuels [...] tout ça parce que Second Life ressemble plus à Mayberry [un petit village fictif d'une série télé américaine, NDLRNDLR] qu'à Manhattan ».
Reste à comprendre le statut d'une économie virtuelle par rapport à son équivalent réel. Comment des monnaies jouets comme le Linden dollar ou l'or de World of Warcraft peuvent-elles se mettre à peser sur le commerce mondial ? Comment est-on passé du « faire semblant » au « pour de vrai » ?
Des objets virtuels mais des bénéfices réels
Dans un monde où l'entertainment devient une préoccupation majeure, la capacité à se distraire devient une source réelle de richesse. Les internautes ont dépensé 1,5 milliard de dollars en objets virtuels, expliquait en 2007 Suzan Wu, de la société de capital-risque Charles River Ventures. Une dépense qui pourrait sembler inconsidérée, mais qui possède ses bonnes raisons : en réalité, affirme-t-elle, ces objets sont une métaphore pour des services. Analysant les affaires d'un fleuristefleuriste virtuel, elle explique : « Le service a trois composants. Il y a l'objet lui-même, représentant graphiquement une fleur, puis le geste de quelqu'un envoyant une fleur à son flirt en ligne, et enfin l'effet trophée par lequel tout le monde peut voir que vous avez reçu une fleur ». Bien entendu, des trois composants, le plus matériel (l'objet graphique) est le moins important.
Continuant sa démonstration, elle explique que, de surcroît, des objets virtuels peuvent procurer des bénéfices réels : « Si j'achète pour 10 dollars un million en or dans World of Warcraft, je gagne 20 heures d'amusement. Avec les mêmes 10 dollars, je n'en obtiendrais que deux heures si j'allais au cinéma ».
Un autre aspect intéressant de l'économie de Second Life a été mis au jour par l'économiste français Michel Gensollen. Selon lui, certains objets de Second Life n'appartiennent pas qu'au monde virtuel, mais peuvent avoir de la valeur dans le monde réel : « Dans Second Life, explique-t-il lors d'une interview à Libération, deux types de biens immatériels coexistent. Les premiers appartiennent au seul monde virtuel, comme les terrains ou les maisons. D'autres, en revanche, peuvent appartenir à la fois aux deux mondes. C'est le cas d'un fichier musical, qui peut migrer d'un monde à l'autre, ou d'un meuble, d'une robe, dans la mesure où la vraie valeur sera la forme de la robe ou le design du meuble. La possibilité existe donc de créer dans le réel et de vendre dans le virtuel et inversement ».
Face au phénomène, les chercheurs essaient d'élaborer des méthodes pour comprendre le fonctionnement des sociétés virtuelles de demain. Robert Bloomfield, qui dirige à l'université Cornell le Business Simulation Laboratory (« Laboratoire de simulation économique »), en est venu à créer une nouvelle sorte de science économique, la métanomique, qu'il subdivise en trois grandes tendances :
- la perspective immersionniste, qui étudie l'économie des mondes virtuels comme un domaine séparé du reste de l'expérience, de manière indépendante du monde réel ;
- la perspective augmentationiste, qui prend au contraire en compte l'existence du système économique dans sa globalité, envisageant ainsi les conversions entre argents virtuel et réel, le phénomène des gold farmers chinois, etc. ;
- la perspective expérimentationiste, qui consiste à considérer les univers virtuelsunivers virtuels comme autant de laboratoires où effectuer des expériences.
Alors qu'il est difficile de manipuler toute une société dans l'unique but d'engranger des résultats pour une recherche, rien n'empêche de créer, dans le monde virtuel, une communauté selon les règles qu'on souhaite étudier ! Avec son projet Worlds for Studies, Bloomfield se situe dans une vision expérimentationiste : « Mon intention est de susciter un effort collectif pour créer des mondes virtuels afin d'étudier des situations économiques du monde réel. Plus précisément, j'envisage un monde peuplé d'un ensemble de jeux sérieux orientés vers l'économie ».
Dans l'excellent blog TerraTerra Nova, il donne un exemple de ce qu'il souhaite obtenir. On pourrait ainsi « créer deux mondes virtuels identiques, excepté sur un type de régulation : par exemple l'un utiliserait des impôts à la consommation tandis que l'autre les prélèverait sur le salaire. Au bout de plusieurs mois de jeu, comment ces mondes différeraient-ils en termes de création de richesse, d'inégalités de salaires, ou dans quelque autre domaine susceptible de vous intéresser ? »