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    Le pourquoi du libre

    Le pourquoi du libre

    A la lecture de tous ces exemples, on peut se demander ce qui motive les développeurs du monde entier pour créer des jeux libres. Après tout, l'ampleur du marché du jeu vidéo, la multitude des jeux commerciaux disponibles, l'apparition incessante de versions successives d'un même jeu et la formidable popularité de certains titres semblent démontrer que l'offre n'est pas en retard sur les besoins des utilisateurs. Et si l'on peut facilement comprendre l'intérêt stratégique ou économique porté par les utilisateurs à un système d'exploitationsystème d'exploitation ou un navigateurnavigateur libre, cela paraît moins évident dans le monde du jeu.

    En première analyse, on pourrait penser que la gratuité des jeux est un argument de taille pour motiver les bonnes volontés et contourner les contraintes d'une passion qui peut s'avérer onéreuse. Il est vrai que tous les projets en cours soulignent que la gratuité du produit final fait partie des objectifs. C'est par exemple le cas de "Motorsport", dont l'initiateur explique que "le but est de créer le jeu de simulation de course de voituresvoitures le plus réaliste possible - et gratuit". Plus que pour d'autres projets, l'ambition n'est pas tant d'apporter des choses véritablement nouvelles au jeu, mais d'assurer que les fans de sport mécaniques puissent disposer d'un simulateur gratuit... (démarré suite à une discussion dans un forum en novembre 2003, le projet, développé sous licence GPL, avance à un rythme irrégulier mais plusieurs versions se sont déjà succédées).

    PlaneShift

    PlaneShift

    Cependant, de l'avis général, la recherche de gratuité ne joue qu'un rôle minime dans la motivation des participants impliqués, qui proviennent d'ailleurs d'horizons très divers. "Sur PlaneShift, il y a une équipe de base mais aussi un fort pourcentage de gens qui changent. Le profil des personnes qui interviennent sur le projet est très varié : cela va de jeunes et talentueux programmeurs à des professionnels de 35 ans qui évoluent dans le milieu du jeu. Plein de raisons différentes font qu'ils veulent participer : le chômage, la recherche d'un passe-temps, l'envie d'ajouter des références sur un CV... Tous sont séduits par la beauté de l'idée et de ce qui a déjà été réalisé", explique Luca Pancallo.

    Cette idée de "participer" à un projet d'envergure, et de confronter ses propres compétences à celles d'autres développeurs ou créateurs semble bien être la clé. Frédéric Rodrigo, un jeune français, a participé au graphisme et au développement de plusieurs jeux libres, parmi lesquels FreeCiv et OpenCity. Il précise : "Avant tout je pense que je ne participe pas des projets libres parce qu'ils sont libres, mais parce que je suis un mordu de programmation (c'est un besoin presque vital). Et dans ce cas, pourquoi ne pas participer à des projet libres, qui profitent à tout le monde ?. La participation passe par l'envie d'apporter une amélioration, d'abord pour moi même (c'est presque de l'égoïsme !) ou de créer une fonctionnalité, de refaire un graphisme... le tout sans contrainte. Le vieil adage du libre, 'ça sortira quand ce sera prêt', en est bien la preuve. Pour ma part, le but n'est donc autre que l'autosatisfaction du travail accompli. Améliorer l'expérience des joueurs : non. Améliorer l'expérience des joueurs-programmeurs : oui ! Les jeux libres développés dans la communauté ne suivent en général pas de plan (roadmap) précis, ni de cahier des charges. Les fonctionnalités évoluent au gré des envies et des expériences des programmeurs-joueurs", ajoute-t-il.

    Certains ne cachent toutefois pas leurs ambitions. Les développeurs de "TA Spring" assurent ainsi que l'ambition du projet est "de devenir le meilleur jeu de stratégie temps réel de tous les temps - sans plaisanter". De même, "bien que la qualité du gameplay ait été la motivation principale, la qualité graphique et artistique du jeu lui permet d'être concurrent de jeux commerciaux", estiment les développeurs de Nexuiz. Mais quand on l'interroge, Lee Vermeulen, initiateur du projet, résume : "le but était avant tout de faire un jeu marrant". "Je voulais un jeu facile à développer, facile à jouer et qu'il serait facile de se procurer. Je ne voulais pas faire le nouvel Half Life, mais juste un jeu amusant. Je trouvais que des jeux comme Nexuiz, des jeux d'arcade, sont ignorés par l'industrie, qui préfère se consacrer à des jeux plus réalistes et plus lents" , explique-t-il.

    Ce point constitue la deuxième question qu'on est en droit de se poser : un jeu libre peut-il concurrencer des jeux commerciaux ?

    "Oui et non", estime Frédéric Rodrigo, expliquant : "Autant je n'en doute pas sur le côté technique. Autant il est difficile de trouver de vrais graphistes. Il y a beaucoup de jeux libres dotés d'un très bon 'gameplay', par contre rares sont ceux qui sont aboutis sur le plan graphique. Quant à la musique et au son, il me semble que c'est un peu plus facile, et ce justement grâce au libre qui permet de réutiliser des parties d'autres jeux. A mon humble avis, la qualité n'est pas réellement le point qui rebute actuellement les joueurs, c'est plutôt la taille des jeux commerciaux, qui se caractérisent par une débauche de graphisme et de scénarios. Les jeux libres sont bien souvent 'petits' et ont une génération de retard".

    Nexuiz

    Nexuiz

    L'avis est pleinement partagé par Lee Vermeulen : "Des jeux libres ne pourront jamais concurrencer des jeux commerciaux en termes de design graphique et de contenu. Des développeurs amateurs ne seront jamais capables de faire un jeu comme Half Life 2. Ils seront seulement capables de faire des jeux simples et plus petits. Mais ces jeux peuvent néanmoins être très amusants, beaucoup plus que certains jeux commerciaux, gros et coûteux".

    C'est également la conclusion à laquelle aboutit Jem Matzan, auteur d'une critique sans concession de Nexuiz, publiée sur NewsForge. "Jouer à Nexuiz procure une expérience similaire à QuakeQuake 3 en termes de gameplay, de graphisme et de son. Pour autant, Nexuiz peut-il rivaliser avec Unreal Tournament 2004, Doom 3 ou tout autre jeu de shoot moderne ? Certainement pas. Le jeu n'a rien de nouveau et son design, son gameplay et son univers sonore évoquent des jeux qui étaient sympas il y a cinq ans et ont depuis perdu leur intérêt", précise-t-il. "Je ne pense pas que l'on verra un jour un jeu libre capable de véritablement rivaliser avec un jeu commercial. Toutefois, la plupart des jeux libres méritent qu'on y joue", reconnaît-il.

    Finalement, le jeu libre paraît donc se placer aux antipodes des critères et des contraintes qui caractérisent le marché du jeu vidéo. Ici, le marketing et les lancements en fanfare de titres phares basés sur des licences issues du monde du sport ou du cinéma, sont remplacés par le plaisir, l'envie de partager ou l'amusement. Avec au passage l'intérêt pour des choses simples, qu'il s'agisse de jeux anciens abandonnés par les gros éditeurs ou de pistes nouvelles dont on sait qu'elles ne seront pas explorées par eux. "Le libre est un moyen génial pour donner naissance à des jeux nouveaux et innovants. Les grandes entreprises ne font rien au hasard et ne prennent pas de risque. C'est à la communauté OpenSource de créer de nouveaux types de jeux fun", conclut Lee Vermeulen.