Facebook et l'importance sociale du bavardage

Facebook et l'importance sociale du bavardage

Facebook est une plateforme sociale qui dévoile une partie de nos échanges. Mais le danger vient-il de la possibilité d'un bavardage sans fin ou de l'archivage de ce bavardage ?

Le mur de Facebook, sur lequel les messages sont archivés, n'est pas déconnecté de la réalité. Il reflète les échanges de la vie réelle. © by nc-sa

Le mur de Facebook, sur lequel les messages sont archivés, n'est pas déconnecté de la réalité. Il reflète les échanges de la vie réelle. © by nc-sa

Le bavardage confirme le rôle prédominant de la communication sociale : non, nos échanges ne visent pas uniquement à l'efficacité, loin de là. Le bavardage est certes un bruit de fond, disait déjà Paolo Virno : « insignifiant en soi, il offre néanmoins la trame d'où extraire des variantes significatives, des modulations insolites, des articulations imprévues. Le bavardage ne représente pas quelque chose, mais c'est précisément en cela qu'il peut tout produire. »

Des échanges archivés

Pour autant, il est par beaucoup dénoncé comme une injonction à parler, à débattre, le fruit vénéneux d'une « hypnose sociale » au profit de l'autonomie de la pensée, même si cette injonction du dialogue pour le dialogue conduit à tout confondre et à ne plus rien classer. Tout devient prétexte à bavardage et tout est bavardage. Et Facebook, permettant de bavarder sur tout, en est certainement le symbole le plus évident.

Mais Facebook n'est pas condamné parce qu'il nous permet de bavarder sur tout, mais parce que nos bavardages sont désormais écrits, affichés, indexés, cherchables, monétisables... La futilité des propos inscrits n'a pas la même valeur que ceux que la parole prononce et oublie aussitôt. D'un coup, ils s'affichent, s'archivent et deviennent reproductibles (même avec leurs tics de langage puisque « Facebook est le roman que nous écrivons tous »). L'incident peut devenir un accident comme le disait Frank Beau lorsqu'il analysait la viralité des mèmes qui circulent sur l'internet et en structurent l'imaginaire.

Le rôle social des échanges Facebook

François Perea, maître de conférences à l'université Paul Valéry, dans un article sur les représentations de soi dans l'espace numérique parle de « comportement tribal » du Web 2.0. L'anthropologue Robin Dunbar parle de « toilettage verbal » pour caractériser la fonction du bavardage, qu'il rapproche du toilettage social que pratiquent les primates.

C'est ce que nous explique également Judith Donath, la directrice du Sociable Media Group : « Ce que l'on fait sur ces sites consiste plutôt à passer un peu de temps, à montrer qu'on fait attention à l'autre, que l'on pense à lui ». Pour cela, bien sûr, il faut passer par un « activisme nécessaire », contraint par l'objet sociotechnique qu'on utilise. C'est pourquoi nous modifions nos statuts, commentons, jouons aux jeux et aux quizz que d'autres nous transmettent... Nous sommes contraints de répondre aux signaux que nous adressent les autres. Le mur de Facebook joue précisément ce rôle : accepter une mise en relation le plus souvent avec un inconnu (avec quelqu'un qui vous a identifié, mais que vous ne connaissez pas nécessairement) pour échanger des signaux qui feront sens ou qu'on ne décodera pas forcément l'un l'autre. Facebook et les outils du Web 2.0 démultiplient les signaux et rituels qu'on s'envoie (commentaires, images, liens, photos, vidéos, jeux, like...) pour permettre de s'appréhender les uns les autres.

Le mur de Facebook, prolongation de la vie réelle

Mais surtout, insiste Donath : « Cela montre que les choses que vous dites n'existent que dans le contexte d'autres communications et qu'on ne peut pas les regarder de manières isolées, comme si elles étaient des publications uniques, singulières. Nos discussions ne se comprennent que dans le réseau de relations et de signes dans lesquelles elles s'inscrivent. » C'est-à-dire qu'il est difficile d'interpréter nos échanges sur Facebook à l'aune de ces seuls échanges. Publier sur le mur de Facebook une petite vidéo prise avec son mobile montrant un ami en train d'hurler on ne sait pas quoi lors d'une soirée chahutée peut n'avoir aucun sens pour bien des relations qui en prendront connaissance. Cette vidéo qui semble isolée s'inscrit en fait dans un maillage relationnel et communicationnel qui nous est en grande partie inconnu, qui passe par un bien plus vaste maillage de relations et d'outils de communications. Sur Facebook on ne voit poindre qu'une partie du bavardage constant qui nous façonne. Néanmoins, même imparfaitement, il apparaît, il devient visible, lisible... Il démultiplie les relations particulières que nous avons avec chacun pour les mettre à la vue de tous, permettant à d'autres de s'en saisir, d'y trouver sens ou amusement - ou pas.