Plus de 120 ans après les premiers ballons dirigeables, la startup girondine Flying Whales veut faire revivre ce moyen de transport qui présente de nombreux avantages. Soutenue par des partenaires d’envergure, l’entreprise va faire voler en 2023 son premier ballon de transport de marchandises qui sera alors le plus grand engin volant au monde ! Son directeur de la communication, Romain Schalck, nous révèle les formidables perspectives de ce mode de transport.
au sommaire
Créée en 2012, Flying Whales ambitionne de faire revivre le dirigeable, utilisé jadis pour le transport de marchandises. Après 5 années d'études et de développement, la start-up est passée à la vitessevitesse supérieure et va construire l'an prochain sa première usine de fabrication près de Laruscade, à 43 km de Bordeaux, en Gironde. Soutenue par de très nombreux partenaires industriels et financiers (AirAir LiquideLiquide, ADPADP, Bouygues, BPI France, la Région Nouvelle Aquitaine...), la start-up lancera en 2023 son premier dirigeabledirigeable baptisé LCA60T. Avec ses 200 mètres de long (l'équivalent de deux Airbus mis bout à bout) et ses 50 mètres de diamètre, le LCA60T sera la plus grosse machine volante au monde. Romain Schalck, le directeur de la communication de Flying Whales, nous explique comment ce nouveau moyen de transport va révolutionner de nombreux secteurs.
Comment est née l’idée de Flying Whales ?
Romain Schalck : Tout est parti d'une discussion avec l'Office national des Forêts (ONF) qui cherchait une solution pour exploiter plus de boisbois issu des forêts françaises, notamment afin de favoriser la construction en bois. Le problème est que ce bois se situe souvent dans les zones difficiles d'accès. On s'est alors rendu compte qu'il n'existait aucune solution de transport pour les charges lourdes. Soit on utilise un hélicoptèrehélicoptère, mais la charge est limitée à 4 tonnes, soit on utilise des camions, mais ça nécessite de construire des routes, ce qui peut être dommageable pour l'environnement. En vol stationnairevol stationnaire, le ballon n'a pas besoin de se poser et peut emporter jusqu'à 60 tonnes. Aucun autre moyen de transport ne permet cela !
“Le dirigeable est un moyen d’aider les pays qui ne disposent pas de suffisamment d’infrastructures”
Quelles autres missions pourrait remplir votre ballon ?
Romain Schalck : Il y en a plein ! On peut livrer sur site des pales d'éolienneséoliennes qui sont très encombrantes à transporter par la route. Nous travaillons aussi avec RTERTE pour le démantèlement des pylônes électriques, par exemple, lorsqu'on veut enterrer une ligne. Aujourd'hui, cette opération nécessite 9 allers-retours en hélicoptère pour démonter le pylône en plusieurs morceaux. Avec notre dirigeable, on enlève le pylône d'un seul tenant. Nous avons aussi des projets au Québec, où les dirigeables pourront être utilisés pour apporter du matériel dans les zones enclavées au nord. On pourra par exemple amener des pièces de maison préfabriquées ou assurer un service régulier de livraison de marchandises. Plus généralement, le dirigeable est un moyen d'aider les pays qui ne disposent pas de suffisamment d'infrastructures pour développer des zones isolées.
Vous avez même un projet dans le spatial ?
Romain Schalck : Oui. Nous étudions avec ArianeWorks la possibilité de récupérer un module de lanceur réutilisable atterrissant sur une barge en pleine mer, à plus de 400 km des côtes. Le LCA60T pourra ramener le lanceurlanceur directement au Centre spatial guyanaisCentre spatial guyanais, ce qui fera gagner un temps précieux.
Pourquoi avoir choisi l’hélium au lieu de l’hydrogène pour faire fonctionner votre ballon ?
Romain Schalck : Excellente question ! Il s'agit surtout d'un problème psychologique. Historiquement, l'hydrogènehydrogène est associé à la catastrophe du LZ 129 Hindenburg, qui avait pris feufeu en 1937 entraînant la mort de 35 personnes. Et même si l'on sait aujourd'hui faire des ballons à l'hydrogène sûrs, c'était rédhibitoire aux yeuxyeux de nombreux clients et investisseurs, et cela aurait risqué de faire capoter tout le projet. On a donc pour l'instant privilégié l'héliumhélium, un gazgaz inerte et non inflammable. Mais rien ne nous interdit de passer à l'hydrogène ultérieurement.
L’hélium est un gaz rare que l'on ne sait pas le fabriquer, contrairement à l’hydrogène
Romain Schalck : En fait, il n'est pas si rare que ça. On le récupère aujourd'hui comme sous-produit de l'extraction de gaz naturelgaz naturel, mais il existe de gros gisements encore non exploités. Comme le nombre d'utilisateurs est restreint, on n'a juste pas développé de filière. Lorsque nos ballons entreront en service, on va fournir une grosse demande à laquelle des industriels vont pouvoir répondre. Nous travaillons déjà avec Air Liquide pour sécuriser notre approvisionnement.
“Le ballon émet 20 fois moins de particules qu’un hélicoptère par tonne transportée”
Le dirigeable fonctionne avec du kérosène. Est-ce vraiment écologique ?
Romain Schalck : Il faut savoir que, pour un avion, la majeure partie de l'énergieénergie est utilisée pour extraire l'appareil de la gravitégravité lors du décollage. Comme notre ballon reste en vol stationnaire, il nécessite beaucoup moins d'énergie. De plus, le LCA60T sera le premier aéronefaéronef à propulsion hybridehybride, associant 4 turbines de 1 MW pour produire l'énergie et des moteurs électriques qui font tourner les hélices. Au final, le ballon émet 20 fois moins de particules qu'un hélicoptère par tonne transportée ! À terme, nous envisageons, bien sûr, d'utiliser une pile à hydrogène pour parvenir à un transport 100 % décarboné.
Avez-vous déjà des concurrents ?
Romain Schalck : Oui, et pas des moindres ! Lockheed Martin, la première entreprise mondiale de défense et de sécurité, travaille depuis plusieurs années sur un projet de dirigeable, mais qui était plus ou moins à l'arrêt. Aux dernières nouvelles, le projet pourrait être repris par AmazonAmazon qui l'utiliserait pour les livraisons. Sergueï Brin, cofondateur de GoogleGoogle, développe un dirigeable à des fins humanitaires. Il y a aussi HAV (Hybrid Air Vehicles), qui vise plutôt les croisières de luxe. Même si nous sommes positionnés sur un créneau un peu différent, cette concurrence nous oblige à aller vite.
Justement, quand verra-t-on le LCA60T flotter dans le ciel ?
Romain Schalck : Nous prévoyons un vol inaugural en 2023, et le début de l'exploitation commerciale en 2025. Ensuite, 150 aéronefs seront construits durant les dix premières années d'exploitation.
En conclusion, comment voyez-vous le transport dans le futur ?
Romain Schalck : Aujourd'hui, nous sommes dans une époque de foisonnementfoisonnement technologique, avec des drones, des robots-taxis ou des trains hypersoniques. Mais il y aura à un moment donné une phase de rationalisation où seules les solutions les plus pertinentes et viables économiquement subsisteront. Je pense aussi qu'après une époque où l'on a voulu aller toujours plus vite, plus loin et plus fort en s'affranchissant des contraintes, on va revenir à des transports plus respectueux du monde dans lequel on vit. Ainsi, le dirigeable ne peut pas être utilisé par ventvent fort, ni par temps de pluie ou de neige. Cela nous apprend à nous adapter aux contraintes de la nature. On peut comparer cela à la tendance slow food dans l'alimentaire ou slow fashion dans la mode.
La grande épopée des ballons dirigeables
Né en 1854, Thomas Scott Baldwin a commencé sa carrière comme serre-freins dans une compagnie de chemin de ferfer de l'Illinois (États-Unis). Puis, comme acrobate dans un cirque où il présente un numéro de trapèze et de montgolfière. Surnommé le père du dirigeabledirigeable américain, Baldwin est un pionnier de l'aéronautique. Pilote, inventeur, constructeur de ballons, de dirigeables et d'avions, il fut commandant de l'armée américaine lors de la Première Guerre mondiale. Premier américain à faire un saut en parachute depuis un ballon. Il construisit un dirigeable nommé « California Arrow » qui devint en 1904 le premier aéronefaéronef motorisé à effectuer un vol circulaire aux États-Unis. La structure en boisbois sert de nacelle et de cockpit, là où se trouve le pilote qui utilisait son propre poids comme pendule pour contrôler la direction.
Lors de l'exposition organisée pour le centenaire de l'achat de la Louisiane en 1904 à Saint-Louis (Missouri), le dirigeable, piloté par l'ingénieur Roy Knabenshue effectua un vol d'une heure et trente minutes de vol. Lors de cette exposition universelle, plus de 60 pays et 43 des 45 États américains ont participé à cette foire qui fut visitée par 19,7 millions de personnes. L'année suivante, Roy Knabenshue est le premier à survoler New York, en 1905.
Désireuse de rattraper son retard par rapport à l'Europe, l'armée américaine sollicita ensuite Baldwin. Il créa un dirigeable de 29 mètres de long, propulsé par un nouveau moteur Curtiss plus puissant, pour le Corps des transmissions de l'armée américaine, le SC-I.
Baldwin's Airship, ballon prêt à décoller avec Roy Knabenshue debout sur le châssis. Exposition du Département des transports à l'exposition universelle de 1904.
© Jessie Tarbox Beals, CC0