Une équipe internationale vient de percer le secret grâce auquel ce curieux animal détecte la polarisation de la lumière mieux qu'aucun système fabriqué de main d'homme. L'astuce pourrait être imitée, affirment les chercheurs, pour, par exemple, améliorer la capacité de futurs DVD...
Squilla mantis, un curieux crustacé aux airs de mante religieuse, dont les yeux font pâlir d'envie les ingénieurs en optique. © Totodu74/Licence Commons

Squilla mantis, un curieux crustacé aux airs de mante religieuse, dont les yeux font pâlir d'envie les ingénieurs en optique. © Totodu74/Licence Commons

On l'appelle souvent la crevette-mante, car son allure générale évoque vaguement celle des crevettes et parce que ses pattes avant, longues et pliées au repos, ressemblent à celles de la mante religieuse, un grand insecte. Il en existe des centaines d'espèces, un peu partout sur la planète, que les zoologistes regroupent dans les stomatopodes pour les ranger parmi les malacostracés. Ce sont donc des cousines des crevettes, des langoustes, des homards et des crabes.

Leur taille varie beaucoup, de quelques centimètres à plus de quinze mais la forme est plus stable. L'allure de la squille n'est pas très élégante, avec son abdomen trop long pour un thorax trapu et une tête minuscule, qui porte deux yeux globuleux et très mobiles. Ce sont eux qui fascinent les biologistes depuis longtemps : la vision de la squille est exceptionnelle et probablement l'une des plus sophistiquées du monde animal. D'études en études, les performances visuelles de la squille étonnent... et inspirent.

A l'intérieur de chaque œil, les structures captant la lumière (les ommatidies) sont réparties en trois zones distinctes, une bande médiane entourée de deux surfaces hémisphériques. La première conséquence est qu'un seul œil parvient à voir en relief. Comme les deux peuvent bouger indépendamment, on obtient déjà une vision très efficace...

Mais ce n'est pas tout. Les cellules réceptrices ne comportent pas trois pigments différents, comme chez l'homme, mais douze. La vision des couleurs doit donc être extraordinairement précise, ce qui peut effectivement aider cet animal, prédateur, qui vit près du fond, dans des eaux troubles ou au contraire dans la symphonie de couleurs des massifs coralliens.

Justin Marshall, de l'Université de Queensland, émerveillé devant une squille de la Grande barrière de corail. © <em>University of Queensland</em>

Justin Marshall, de l'Université de Queensland, émerveillé devant une squille de la Grande barrière de corail. © University of Queensland

Une astuce « magnifiquement simple »

Il y a encore mieux : l'œil de la squille détecte la polarisation de la lumière, plus précisément la polarisation linéaire. Ainsi, pour elle, la lumière n'est pas la même selon l'angle par rapport au soleil. D'autres animaux y parviennent aussi, de nombreux insectes, par exemple (dont les abeilles) mais aussi les calmars, les seiches et les pieuvres. Des chercheurs australiens de l'Université du Queensland s'y intéressent depuis années et ont découvert en 2008 un exploit supplémentaire : les squilles sont sensibles à une autre forme de polarisation de la lumière dite circulaire.

Quelque chose, au fond de l'œil de ces stomatopodes, fonctionne comme une lame quart d'onde, un système optique que l'on utilise par exemple dans les lecteurs de CD ou de DVD pour mieux distinguer la lumière laser réfléchie par la surface du disque. Mais les ingénieurs ne savent fabriquer que des lames quart d'onde utilisables dans une étroite bande de longueurs d'onde, dans une seule couleur donc. L'œil des squille fait beaucoup mieux et détecte cette polarisation pour l'ensemble du spectre visible (par l'œil humain) et même jusque dans l'ultraviolet et l'infrarouge.

Dans une publication récente (de la revue Nature Photonics), Justin Marshall et ses collègues de l'Université du Queensland, en collaboration avec une équipe britannique de l'Université de Bristol et avec des chercheurs de l'UMBC (Maryland, Etats-Unis), décrivent le principe exploité par les squilles, analysé sur des animaux provenant de la Grande barrière de corail.

« C'est magnifiquement simple » s'émerveille Nicholas Roberts, un chercheur britannique, principal auteur de l'étude et travaillant notamment au Photon Science Institute. Par des observations et également par des simulations numériques, l'équipe a découvert que cette détection de la polarisation circulaire sur l'ensemble du spectre est réalisée grâce à un ensemble de membranes cellulaires organisées en structures tubulaires.

Les auteurs concluent en affirmant qu'il serait tout à fait possible d'obtenir un résultat similaire en réalisant des structures semblables à l'aide de cristaux liquides. Une des applications, expliquent-ils, serait la lecture de disques optiques. On sait déjà, en effet, que la couleur et la polarisation peuvent constituer deux moyens supplémentaires de coder de l'information dans un disque, ce qui ouvre la possibilité d'en augmenter considérablement la capacité.

Une équipe australienne affirmait au début de l'année 2009 que l'on pourrait ainsi engranger 1.600 Go sur un DVD. Le procédé utilisait des nanoparticules d'or et une technique complexe. Peut-être une solution plus simple nous viendra-t-elle des squilles ? Après tout, l'œil des homards a déjà inspiré les physiciens pour la réalisation d'un détecteur de rayons X ultra-sensible, le Lobster-ISS, qui devrait être installé en 2010 sur le module Columbus de la Station spatiale internationale...