En analysant la forme d'une personne repérée par le boîtier Kinect, un algorithme mis au point par Eurecom, une école d’ingénieurs française peut estimer son poids. Les applications potentielles sont nombreuses, l’inventeur du Kinect lui-même s’intéresse à cette innovation. Futura-Sciences est allé à la rencontre de ces chercheurs dans leur laboratoire.

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    On peut estimer le poids d'une personne à vue d'œilœil, mais seulement approximativement. Sorti des classiques « mince », « gros » ou « moyen », il est souvent bien hasardeux d'avancer un chiffre. C'est pourtant ce qu'est parvenu à réaliser une équipe de chercheurs d'Eurecom, l'école d'ingénieurs et centre de recherche en système de communication basée à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes). Leur algorithme analyse plusieurs paramètres visuels pris sur un corps humain afin d'en évaluer le poids. Les chercheurs ont eu l'idée de se servir du capteurcapteur Kinect de MicrosoftMicrosoft comme outil de prise de mesure. Lorsqu'une personne se met en face du dispositif, il prend plusieurs points de repère pour déterminer son genre (masculin ou féminin), sa taille et son poids. Si le concept est encore à l'état brut, il offre déjà de nombreuses perspectives de débouchés dans la santé, les jeux vidéo, l'habillement ou encore la sécurité.

    Mais ce qui a valu un gros « buzz » à cette innovation, c'est la possibilité de s'en servir pour estimer le poids des astronautes. Une applicationapplication qui sera présentée en fin de semaine à Las VegasVegas dans le cadre d'une conférence organisée par l'IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers). « Notre groupe est spécialisé dans le traitement de l'image liée à la sécurité comme la biométrie et la reconnaissance faciale. Mais nos travaux ont souvent débouché sur des applications parallèles auxquelles nous n'avions pas songé de prime abord », nous a expliqué Jean-Luc Dugelay, responsable du groupe Image du département Communication multimédia d'Eurecom. Considéré comme l'une des références mondiales en matièrematière d'imagerie biométrique (distingué de la médaille Blondel en 2010), c'est lui qui a codéveloppé l'algorithme d'évaluation du poids avec son étudiant thésard Carmelo Velardo.

    Grâce à Kinect, un vaste éventail d’applications

    Au départ, Jean-Luc Dugelay et Carmelo Verlardo travaillaient sur une application biométrique destinée à la sécurité, capable de retrouver une personne au milieu d'une foule filmée par des caméras vidéo. Aux critères de taille et de la couleurcouleur des vêtements habituellement utilisés par l'algorithme, ils ont décidé d'y ajouter le poids. « Notre thésard s'est appuyé sur les études médicales faites aux États-Unis où les urgentistes sont capables d'estimer le poids d'une personne à secourir à quelques kilogrammeskilogrammes près en se basant sur leur tour de cou, de taille de bras et de jambes », explique le chercheur.

    L'algorithme repose sur six mesures prises sur le corps par le capteur Kinect : hauteur, longueur et circonférences des bras, de la taille, des jambes et du cou. Il s'agit de mesures estimées qui sont ensuite comparées à la base de données anthropométriques américaine NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey) contenant les mensurations et poids de 28.000 personnes. « Nous avons été contactés par le Center for Human Space Robotics de Turin en Italie. Ils cherchaient une solution pour estimer le poids des astronautesastronautes en apesanteurapesanteur, mesure qui se fait aujourd'hui à l'aide d'appareillages lourds et encombrants », souligne Jean-Luc Dugelay. Le concept, qui n'a pour le moment pas encore dépassé le stade de l'idée, serait de se servir d'un module composé de Kinect et de l'algorithme d'Eurecom pour suivre la perte de poids des astronautes, qui peut aller jusqu'à 10 ou 15 %.

    Kinect commence par prendre les mesures sur 6 points du corps afin de  pouvoir déterminer le genre, la taille et le poids d’une personne. © Eurecom

    Kinect commence par prendre les mesures sur 6 points du corps afin de pouvoir déterminer le genre, la taille et le poids d’une personne. © Eurecom

    Pour comprendre le fonctionnement, nous nous sommes glissés dans la peau d'un voyageur de l’espace le temps d'une petite démonstration de l'application dans le laboratoire d'Eurecom. Placé à une distance d'environ 2 mètres du capteur Kinect, le sujet doit d'abord lever les bras pour que l'appareil puisse prendre ses points de repères. En quelques secondes, l'algorithme travaille et livre son diagnosticdiagnostic avec une marge d'erreur d'environ 3 kg.

    « Cela correspond à la marge d'erreur des appareils de mesure mécaniques utilisés aujourd'hui par les agences spatiales », nous a précisé Carmelo Velardo. Un article du NewScientist cite d'ailleurs un responsable de la NasaNasa selon lequel le concept a effectivement du potentiel, bien que cela demande un très long travail de développement et de mise au point avant de l'imaginer dans une station spatialestation spatiale ou une fuséefusée.

    Bientôt en pharmacie ?

    Peu importe, cette innovation semble déjà avoir un bel avenir sur Terre. « Nous avons été contactés par PrimeSense, la société israélienne à l'origine de la technologie Kinect. Ils envisagent d'associer notre algorithme dans la prochaine API Kinect », nous a révélé Jean-Luc Dugelay. Cela signifierait que les développeurs d’applications Kinect pourraient prendre en compte le poids des utilisateurs dans leurs programmes. « Si vous prenez le jeu vidéo, cela permettrait par exemple de personnaliser encore plus l'avataravatar d'un joueur », imagine le chercheur.

    Mais ce n'est pas tout, loin de là, car on sait que Microsoft a de grandes ambitions pour Kinect dont les utilisations ont largement dépassé la sphère vidéoludique. « Nous savons que les pharmacies sont demandeuses d'un tel système pour remplacer les traditionnelles balances, poursuit le professeur Dugelay. Il pourrait également servir dans le cadre d'études de santé publique dans les écoles pour surveiller le poids des élèves. Ou pourquoi pas dans la mode pour les vêtements sur mesure... »

    Les possibilités sont aussi nombreuses qu'éclectiques. Jean-Luc Dugelay insiste sur le fait qu'il s'agit pour le moment d'un travail de recherche académique à l'état brut qu'il a illustré grâce à Kinect. « Nous avons une stratégie d'alliance avec les industriels », précise-t-il.