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À quoi servent les hackers ?
L'ouvrage - qui développe un "manifeste" plus court publié en ligne en 2002 - expose une thèse simple : la société de l'information se définirait au travers d'un conflit entre deux classes, celle des hackers - "chercheurs et auteurs, artistes et biologistes, pharmacologistes et musiciens, philosophes et programmeurs" - et la nouvelle classe dirigeante des "vectorialistes" qui contrôlent les canaux au travers desquels les créateurs entrent en relation avec le public. L'enjeu : la propriété intellectuelle, ou sa disparition.
© Ucciani - Gueules d'Humour pour Futura-Sciences
Trop simple, dénonce Garfinkel.
D'une part, la réappropriation de l'expression "hacker" à laquelle se livre McKenzie est abusive. Elle prête aux chercheurs, auteurs, biologistes, etc., des intentions qu'ils n'ont certainement pas tous ; elle ignore (ou politise à l'excès) la réalité quotidienne du hacking, celle de l'exploit, du plaisir, du jeu et parfois - consciemment ou non - du délit.
© Chalvin - Gueules d'Humour pour Futura-Sciences
D'autre part, McKenzie évacue trop vite le débat sur la propriété intellectuelle. Garfinkel l'illustre en pointant un manque du livre : les "hackers" dont il est question dans son livre ne travaillent que sur de l'intangible, du numérique, de l'information et du logiciel. Or les hackers s'attaquent aussi au matériel, comme nous le montrions il y a peu de temps, avec les mêmes résultats : ouvrir les technologies, introduire de manière subreptice des innovations "de rupture" auxquelles les concepteurs du matériel n'avaient pas nécessairement pensé... Mais dans le monde du matériel, les coûts de duplication ne sont pas nuls. Une innovation peut coûter très cher, et créer l'usine qui en permettra la production de massemasse, encore plus, ce qui rend la propriété intellectuelle indispensable à l'innovation industrielle : "La loi de Moore dépend du contrôle des vecteurs", écrit Garfinkel.
Et la question se pose malgré tout dans le domaine de l'information et du logiciel. Reprenant le slogan en exergue du "Manifeste", "Information wants to be free", Garfinkel remonte à la source de la citation, qui s'avère bien plus ambigüe :
"D'un côté, l'information veut être chère, parce qu'elle a tant de valeur. Avoir la bonne information au bon endroit peut vraiment changer votre vie. De l'autre côté, l'information veut être gratuite, parce que le coût de sa distribution baisse de jour en jour. Ces deux phénomènes s'opposent."
Steward Brand, MIT, 1984, devant la première conférence de hackers
Autrement dit : d'une part, le "free" (gratuit) de Brand n'est pas le "free" (libre) de Richard Stallman, père du mouvementmouvement du logiciel librelogiciel libre. D'autre part, la tension entre gratuit et payant, libre et protégé, est structurelle plutôt qu'artificielle, nécessaire mais indépassable. "Voici une bataille que nous ne gagnerons pas, conclut Garfinkel, mais qu'il faut mener quand même."