Youtubeurs, algorithmes et pouvoir des foules sont les trois piliers des réalités alternatives. Les premiers disposent du pouvoir énorme d’influencer l’opinion publique en cherchant à faire croître leur audience. C’est ce que démontre une chercheuse américaine.


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    « Créez une tendance, vous en faites une réalité. » C'est l'adage que met en avant Renée DiResta dans son ouvrage Invisible Rulers. Dans ce livre chroniqué par la revue scientifique Nature, cette universitaire spécialisée dans la lutte contre la désinformation évoque la lourde responsabilité des algorithmes dans la fabrication des réalités alternatives via les réseaux sociauxréseaux sociaux. Avec leur système qui favorise le partage d'informations, ce qui devient tendance vient se transformer en vérité. Et ces « vérités » sont le plus souvent de la désinformation. Mais surtout, la chercheuse pointe du doigt la responsabilité des influenceurs sur les réseaux sociaux, notamment sur YouTubeYouTube, X (ex-TwitterTwitter) ou TikTok.

    À l'origine, il s'agit de citoyens lambda talentueux qui traitent de sujets qui les intéressent. Ils ne sont pas spécialement déterminés à désinformer, mais ils remarquent assez rapidement qu'ils réalisent plus d'audience en évoquant un sujet controversé qu'avec des informations plus factuelles. Et ils sont bien armés pour cela. Les plus charismatiques maîtrisent parfaitement l'art de la narration, ils ont parfois l'audience d'une star de TV et paradoxalement, ils parviennent à créer une proximité presque amicale avec leur audience. Ils exercent un énorme pouvoir de persuasion et poussent leurs adeptes à éviter les médias grand public en leur faveur. En revanche, leur responsabilité n'est jamais mise en cause.

    Les exemples sont légion, qu'il s'agisse de problèmes de santé publique, de sujets clivants, comme la politique, les conflits... Il faut dire que la recette de la propagation des rumeurs et de la désinformation est toujours la même depuis la montée en puissance des réseaux sociaux. Elle nécessite trois ingrédients : la morale, l'émotion et le choc. Ces trois éléments sont recherchés par les influenceurs qui savent ce que leur audience va apprécier et partager. Au final, les algorithmes sensibles à ces partages vont recommander aux personnes qui suivent les influenceurs de plus en plus de contenus du même genre. Ces contenus vont verser dans l'approximation, le confusionnisme ou la désinformation et renforcer des narratifs alternatifs parfois créés ex nihilo.

    Une fausse information tendance sur les réseaux sociaux peut entraîner le prétexte à des violences parfois difficiles à juguler. C’est l’exemple des événements anti-migrants menés au Royaume-Uni par l’extrême droite à la fin du mois d’août. © France 24

    Des dirigeants de l’ombre qui s’ignorent

    En mêlant les discours des influenceurs, le travail des algorithmes et le pouvoir des foules, la réalité alternative se construit et elle sert souvent de prétexte aux personnalités politiques ou des groupes extrêmes pour organiser et mener des actions violentes dans le monde réel. Par ailleurs, qu'il s'agisse des questions écologiques ou de santé, la science est bien souvent écornée et dénoncée par idéologie. Mais, pire encore, les personnes chargées de vérifier les faits et qui viennent contredire les fausses informationsfausses informations sont de plus en plus massivement attaquées. C'est le cas des journalistes spécialisés en démantèlement de la désinformation, malgré les preuves qu'ils apportent. Il en est de même pour les experts et les universitaires.

    Comment lutter contre les effets induits par ces influenceurs qui sont devenus des nouveaux dirigeants invisibles qui s'ignorent ? Dans son ouvrage, outre la préventionprévention en sensibilisant le public aux techniques de désinformation, l'autrice propose de transformer le rôle de l'audience. Au lieu de se contenter de partager, elle pourrait également décider d'appliquer d'elle-même une modération comme cela peut se faire sur X avec plus ou moins de succès. De même, l’algorithme pourrait également être freiné volontairement par le public pour l'empêcher de créer automatiquement une tendance sur un sujet discutable. Enfin, elle considère que les scientifiques attaqués ou dénoncés par les personnalités politiques devraient divulguer eux-mêmes immédiatement les faits pour réfuter la désinformation avant qu'elle ne se transforme en une vérité alternative.