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La viralité sauvage sur internet existe-t-elle ?
De tels objets ont la propriété de se balader dans le cyberespace sans l'aide de personne. Mais dans la mesure où ces messages ont nécessairement été émis et produits par quelqu'un à un moment donné, la question ne serait pas tant de savoir s'ils existent de manière autonome, mais si leur propagation fut intentionnellement provoquée ou non. Si la propagation n'est pas intentionnelle, cela pose la question d'une éventuelle nature épidémiologique du réseau, qui fonctionnerait comme une matrice de diffusiondiffusion de l'information susceptible de révéler/sélectionner telle ou telle information en voyageant par exemple par le canal d'un « inconscient collectif » réticulaire, planétaire. Si elle est intentionnelle, cela pose la question de la maîtrise par des usagers de cette forme de viralité. La viralité demeurant une approche éminemment neuve dans le domaine de l'information, en dépit des travaux qui furent réalisés à partir du phénomène des rumeurs notamment. Le viral nous conduit alors quelque part entre l'analyse épidémiologique de l'information cyberspaciale et le décryptage des nouvelles techniques de guérilla informationnelle utilisées dans un nombre croissant de secteurs.
Typologie des objets viraux « spontanés »
On pourra regrouper sous le terme générique d'Objets Viraux Informationnels (OVI), les hoax, les rumeurs, les objets audiovisuels viraux. Avant d'attaquer les causes de la propagation de ces derniers, on remarquera que la viralité se présente sous la forme d'une activité de réceptionréception-sélection-renvoi simple et rapide, dont l'initiative de la duplication serait en quelque sorte comprise dans la forme même du message. En d'autres termes, on fera suivre un message cool, ou surprenant, sans trop y réfléchir, comme on réplique une idée simple.
Les hoax ainsi, sont en général de fausses informationsfausses informations (qui peuvent dans certains cas s'avérer exactes), et qui parviennent à sortir du lot parmi le flux croissant de courriers et de spams que nous recevons. Le site francophone Hoaxbuster classe les hoax en sept catégories : les alertes sur les faux virus, les chaînes de solidarités, les messages de gain (gagner un maximum d'argentargent en un minimum de temps), la bonne / la mauvaise fortune (vous êtres l'héritier de quelque chose ou un malheur vient de vous arriver), la désinformation, les pétitions, et l'humour.
En regardant quelques cas d'école on remarque que les OVI de type hoax se diffusent pour des raisons diverses. Il y a le cas de la propagation d'une information préventive apparentée au final à de l'intox. Par exemple les récents messages HotmailHotmail informant leur destinataire que s'il ne renvoie pas ce même message à tous ses contacts, MicrosoftMicrosoft détruira son compte, car le nombre maximum de comptes est atteint. Dans la même veine, il y a les hoax de préventionprévention faisant appel à la vigilance dans d'autres espaces publics. En forwardant un mail, prévenant du danger de la présence de seringues infectées par le VIHVIH dans les cinémas, l'internaute pensera réaliser un acte citoyen, en un sens valorisant, en alertant à son tour ses amis du danger. Il y a enfin l'OVI d'humiliation et de moquerie. Citons l'affaire Star Wars kids en 2003, l'affaire de l'étudiant HEC David Hirschmann en 1999, et l'affaire plus récente de la femme aux crottes de chienchien (gae-ttong-nyeo) en Corée du Sud. Le chien d'une jeune femme défèque dans le métro. Celle-ci quitte la rame sans nettoyer. Des passagers choqués la photographient avec leur téléphone mobilemobile. La photo se propage sur le net. La femme sera retrouvée, puis traquée, humiliée, dans ce qui va devenir alors une sorte d'affaire d'insalubrité nationale. Diverses parodies d'affiches de la « dog-shit girl » seront produites par des internautes zélés.
Le viral semble fonctionner comme un mécanisme de régulation écologique, mais peut faire aussi de nombreuses « victimes » au passage. Pour ce qui est des hoax, personne ne semble définitivement à l'abri du phénomène ; untel détectera immédiatement une info erronée dans un domaine où il est suffisamment informé, mais se laissera berner sur des questions plus étrangères à son champ d'acuité. C'est pourquoi des sites comme Hoaxbuster en France ou Urbanlegends aux Etats-Unis, répertorient ces phénomènes, dans le but d'informer sur la validité ou le caractère erroné de l'information. Pascal Froissart, maître de conférencemaître de conférence à l'Université Paris VIII, spécialiste des rumeurs, remarque d'ailleurs à ce sujet : « Ce qui est frappant c'est que ces instances de validation sont tenues par des amateurs. C'est à la fois formidable, mais cela a un côté un peu effrayant en même temps. Le jour où il y aura un gros problème, le jour où il faudra de gros moyens pour enquêter par exemple ».
Derrière le phénomène de la désinformation se cache la question de la nature virale en elle-même de l'information, et de la manière dont internet amplifierait ou non un phénomène qui est la base de l'échange informationnel de tous temps. C'est pourquoi ces objets viraux peuvent à la rigueur nous amener à reconsidérer notre statut et rôle de réplicateur d'information, comme le fait entre autre la mémétique, qui considère les idées comme des virus.
Or la viralité qui échappe à tous, au sens d'un phénomène de propagation difficile à prévoir et maîtriser, concerne bien d'autres objets que les informations vraies ou fausses. Les blogs par exemple concourent désormais à la viralité des phénomènes informationnels sur le net, en devenant des relais de propagation de première importance. Leur maillage est plus qualitatif, et l'information circule de proche en proche à travers la recommandation d'une information à ses pairs, ou à son propre réseau.
Aussi, la viralité « spontanée » des rumeurs, des petites vidéos marrantes, des phénomènes de mode, des dispositifs tels que les flashmobs, ressemblerait à la libération dans l'écosystèmeécosystème informationnel d'un objet en accointance avec des attentions ou attentes spécifiques. Peut-on dire pour autant que ces objets surfent sur les courants d'un inconscient collectif présent dans la forme réseau ? Ici le sujet fait débat. Comme le rappelle Pascal Froissart la notion d'inconscient collectif fait appel à des présupposés ayant fait l'objet de nombreuses critiques dans les sciences sociales. « Pour moi la rumeur ne révèle rien de l'imaginaire du moment. Parce que cela présuppose un inconscient collectif », et par conséquent, l'existence d'une corporéité sociale intègre et des déterminismes techniques ou symboliques en amont. Ce qui n'est pas conforme aux conceptions dominantes dans les sciences sociales et les sciences de l'information.
Aussi, on considèrera à ce stade, à partir de cette nouvelle faunefaune des virus, qu'on ne peut pas attester dans l'absolu d'une viralité spontanée de l'information, mais qu'il existe déjà des effets de viralité intentionnellement ou accidentellement provoqués par nous tous, avec plus ou moins de subtilité et de signifiance. Or précisément, la maîtrise de ces courants de l'information qui ne répondent plus aux mêmes logiques que ceux des réseaux médiatiques traditionnels, est en passe de devenir un enjeu de premier plan pour deux domaines tirant leur essence en quelque sorte des recettes directes de la prolifération : le monde marchand et le monde politique.