Depuis cinquante ans, la revue Stratégie analyse le monde des médias et de la communication. Quel regard porte son actuel dirigeant sur ses mutations en cours et sur les petits nouveaux que sont les metavers, NFT et autres influenceurs virtuels ? De quoi seront faits les médias demain ?
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La revue Stratégies fête son cinquantième anniversaire à travers la publication d'un numéro spécial, disponible sur le site du magazine. Cinquante personnalités de la communication et des médias y dessinent les contours de leurs nouveaux mondes. Gilles Wybo, directeur de la rédaction de Stratégies, revient pour ETX Daily Up sur les dernières grandes tendances qui agitent le paysage médiatique.
Cela fait un demi-siècle que Stratégies observe l'évolution des médias et de la publicité. Selon vous, comment se dessine la décennie 2020 pour ces mêmes secteurs ?
Le marketing d'influence est une tendance qui ne cesse de s'amplifier ces dernières années. Les marques sont désormais incarnées par une seule personne. Ce phénomène a pris de l'ampleur durant les périodes de confinement. Nous avons été amenés à passer beaucoup de temps derrière nos écrans et donc à être influencés par ce que l'on voyait en ligne.
L'avatarisation de nos vies est probablement l'étape suivante. On observe une montée en puissance du virtuel, ce qui n'est pas sans susciter de nombreuses interrogations. Par exemple, si l'on suit un chienchien virtuel sur les réseaux sociauxréseaux sociaux, on ne connaît pas exactement les valeurs qu'il porteporte. Ce problème a déjà été soulevé avec la montée en puissance des animaux influenceurs qui sont suivis par des millions d'internautes.
On franchit encore une autre étape avec les avatars. Ces personnages virtuels sont spécialement créés pour fédérer une communauté autour d'eux. Nous n'en sommes qu'au début de cette tendance mais elle sera, sans nul doute, très porteuse.
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Ce mannequin n'existe pas. Mais Shudu Gram, la première supermodèle digitale, compte aujourd'hui 210.000 abonnés sur Instagram. © Instagram
Hormis les avatars virtuels, on constate aussi un engouement pour les NFT et le métavers dans les médias. Pensez-vous qu'il s'agit d'une tendance pérenne ?
C'est encore difficile à dire, mais il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un véritable phénomène. Le luxe s'est très rapidement positionné sur ce marché en plein essor des NFT, tout comme certains médias et agences de communication. Même son de cloche dans le gaming, ce qui n'est pas surprenant étant donné que les jeux vidéo sont des précurseurs dans ce domaine.
Toutefois, ce sont les réseaux sociaux qui manifestent le plus d'intérêt pour ces nouvelles technologies. On l'a bien vu avec Facebook qui annonce sa volonté de se rebaptiser Meta et de recruter 10.000 personnes en Europe pour travailler sur le métavers. Les géants de la technologie y voient un véritable projet d'avenir.
Nous manquons encore de recul pour savoir si les NFT ne sont qu'un gadget qui permet aux marques et aux médias de faire « un coup marketing » ou un changement beaucoup plus profond.
À quoi sont dues vos réserves concernant les NFT ?
Elles sont dues, en grande partie, au manque de pédagogie autour de ces jetons numériquesjetons numériques. Il y a un côté très technique derrière cette nouvelle technologie, ce qui représente un frein dans son adoption par le grand public. Par ailleurs, je m'interroge quant à l'impact marketing des NFTNFT et sur l'empreinte qu'ils laissent aux consommateurs. Est-ce qu'ils permettent de créer un véritable lien avec une marque ? Je n'en suis pas encore convaincu et je trouve que l'on bascule presque dans l'événementiel avec ces objets numériques.
Autre grande tendance dans les médias : l'audio. Comment expliquez-vous ce retour en force du son dans nos habitudes de consommation médiatiques ?
C'est une réponse au sentiment de saturation visuelle que ressentent beaucoup de consommateurs. Bien que l'on passe de plus en plus de temps sur les réseaux sociaux, on ne délaisse pas la radio et les podcasts pour autant. Bien au contraire. On les écoute de plus en plus, lorsqu'on est occupé à réaliser une tâche ménagère ou juste pour passer le temps.
Les podcasts, et plus généralement l'audio, peuvent aussi susciter une certaine nostalgie des histoires qu'on nous lisait enfant. C'est un souvenir très marquant. Ces formats audio permettent de le raviver. C'est là toute la force de l'audio.
Les marques doivent s'en servir intelligemment pour nous raconter des histoires qui nous intéressent et nous font grandir. Elles doivent se mettre en retrait : elles ne peuvent pas se mettre en avant comme elles le font dans les spots publicitaires traditionnels. Elles peuvent parfaitement accompagner des podcasteurs dans la création de nouveaux programmes, dont elles garantissent le contenu. Cette attitude leur permet de créer un certain lien de confiance avec les auditeurs.
L'année 2022 sera marquée par une nouvelle élection présidentielle en France. Quels changements cela va-t-il susciter dans le monde médiatique ?
Je pense que l'on va prêter une attention toute particulière aux réseaux sociaux. Et surtout, pour voir s'ils n'interfèrent pas d'une façon ou d'une autre sur le résultat de l'élection présidentielle, comme ça a pu être le cas dans le passé. Les pouvoirs publics vont être particulièrement vigilants à ce qu'il n'y ait pas d'ingérence ou de tentative de piratage depuis l'étranger.
La question de la préservation de la démocratie en ligne est aussi une question primordiale. Les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus important dans la communication des candidats, et beaucoup de créateurs n'hésitent plus à proposer du contenu sur la politique. C'est le cas de Jean Massiet, un streamer qui anime des live de « questions au gouvernement » sur Twitch.
Ce sont des sujets qui intéressent les internautes, et même les plus jeunes d'entre eux. Ceux qui ont commencé à utiliser les réseaux sociaux durant leur adolescenceadolescence sont désormais en âge de voter. Ils ont grandi donc il n'est pas étonnant qu'ils regardent du contenu plus sérieux.