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L'interface du futur, qui équipera des systèmes robotisés, devra nous regarder. Ici le module Kinect de Microsoft détourné par l'entreprise Evoluce pour piloter Windows 7 par des gestes. © Evoluce
À quoi ressemblera l'interface du futur ? Trente ans après l'avènement de la souris, le pilotage d'un ordinateur n'a guère changé alors que les technologies ont progressé et que la robotique apporte une nouvelle dimension, comme nous le rappelait Bruno Bonnell. Parlerons-nous à nos machines ? Faudra-t-il danser devant nos ordinateurs, comme on le fait avec Kinect, pour lancer un traitement de texte ?
Nous avons posé ces questions à un spécialiste du genre : Frédéric Kaplan. Chez Sony, il apprenait au robot Aibo... à parler et observait le comportement de vrais chienschiens face à ce curieux congénère. Aujourd'hui chercheur à l'École polytechnique fédérale de Lausanne, il a fondé la société Ozwe, qui a notamment réalisé l'étonnant QB1. Cette sorte d'ordinateur regarde et écoute ce qui se passe autour de lui et bouge son écran, par exemple pour suivre une personne. Selon lui, ce QB1 préfigure ce qu'il adviendra des interfaces homme-machine dans les années à venir.
Frédéric Kaplan : « Il faut que la machine ait une certaine intimité avec son utilisateur ». © DR
Futura-Sciences : La souris est toujours présente, alors que la reconnaissance vocale est pourtant plutôt au point. Pourquoi « l'interface du futur » n'est-elle toujours pas là ?
Frédéric Kaplan : Je ne crois pas que la reconnaissance vocale jouera un rôle central dans le développement des nouvelles interfaces. C'est une technologie trompeuse... L'ordinateur ne comprend pas les mots qu'on lui adresse et elle n'offre finalement que des possibilités de manipulation limitées. Le succès et la longévité de la souris viennent surtout de l'interface graphique, les menus, les fenêtresfenêtres, les icônes et les autres innovations majeures qui ont accompagné son développement. Ce sont eux qui ont permis de produire les milliers d'applicationsapplications que nous utilisons aujourd'hui. Lorsque l'on invente des nouvelles interfaces, il faut essayer d'arriver à des systèmes qui aient un potentiel aussi grand que la combinaison souris-clavier-interface graphique.
Comment les interfaces peuvent-elles évoluer alors ?
Frédéric Kaplan : Pour écrire en position assise, l'ordinateur actuel avec les interfaces que nous connaissons est très bien adapté. En revanche, nos ordinateurs personnels sont moins bien adaptés pour d'autres tâches, comme me guider dans une recette de cuisine quand je suis en train de la préparer les mains pleines de farine, m'accueillir dans un lieu que je ne connais pas, participer à une conversation, un jeu ou un cours qui a lieu entre un groupe de personnes, choisir une musique adaptée à l'ambiance ou m'apporter une information pertinente concernant la tâche que je suis en train d'accomplir. D'une manière générale, les ordinateurs traditionnels n'ont qu'une perception très réduite de ce qui se passe autour d'eux et des capacités d'actions relativement limitées. Ils ne vivent pas dans notre monde. Nous devons plonger dans le leur pour commencer à interagir avec eux. C'est leur principale limitation.
Les progrès récents en robotique nous ouvrent de nouveaux horizons. Ce qui caractérise un robot c'est qu'il vit dans le même monde que nous et qu'il comprend, dans une certaine mesure, ce qui s'y passe. Parce qu'il partage l'intimité de mon espace d'actions, le robot peut m'accompagner dans le déroulement de mes activités quotidiennes.
L’interface future viendra donc des robots ?
Frédéric Kaplan : Les ordinateurs robotisés constituent une nouvelle famille de machines capables de vivre dans le même monde que nous. Le QB1 représente pour moi la première génération de cette nouvelle vaguevague. Nous nous sommes efforcés de le penser comme le MacMac du XXIe siècle, une machine versatile sur laquelle nous pourrions programmer des milliers d'applications nouvelles.
Pour tenter de caractériser cette nouvelle informatique je parle de « real-scale computing », autrement dit, d'une informatique « grandeur nature ». En effet, un ordinateur comme le QB1 peut comprendre la géométrie tridimensionnelle de l'espace qui l'entoure, les personnes et les objets qui s'y trouvent. Aujourd'hui, les ordinateurs classiques utilisent le « bureau » comme une métaphore. Le real-scale computing va conduire à ce que ce ne soit plus une métaphore : nous pourrons, entre autres, interagir avec cette nouvelle famille d'ordinateur en déplaçant des vrais objets sur de vraies tables.
Durant la conférence Lift, à Genève, en 2009, on joue au tennis sans balle ni raquettes, à l’aide du QB1. © Ozwe/frederickaplan,YouTube
Est-ce que le Kinect de Microsoft préfigure ce genre d’interface ?
Frédéric Kaplan : Oui, mais l'utilisation qu'en fait actuellement MicrosoftMicrosoft est différente. Les logicielslogiciels utilisent cette interface finalement de manière classique, pour commander un avataravatar qui apparaît à l'écran, comme on pourrait le faire avec un joystickjoystick ou une Wiimote. Au contraire, dans le jeu de tennis développé pour le QB1, par exemple, les joueurs ne dirigent pas un personnage. Ce sont vraiment eux qui jouent.
L’ordinateur du futur ressemblera donc à un robot ?
Frédéric Kaplan : Non. L'aspect anthropoïdeanthropoïde ou la forme d'un animal n'est pas le plus important. Au Japon, il peut sembler que cet aspect proche du vivant plaise beaucoup. Mais je ne surévaluerais pas le succès, même au Japon, de ces formes anthropomorphiques. Cela peut conduire à des comportements un peu infantilisants. Martino d'Esposito et moi-même avons préféré concevoir le QB1 en suivant les codes formels des objets sérieux, performants, high-tech. Nous voulions que le QB1 ressemble plus à une voiturevoiture de course plutôt qu'un petit compagnon. Il est temps que la robotiquerobotique passe à l'âge adulte...