En plein été, le 12 août 1981, IBM présentait un « micro-ordinateur », parce que c’était la mode. Mais peu de dirigeants de Big Blue y croyaient. Pas assez sérieux… Futura-Sciences a découvert un IBM PC bavard, qui raconte son étrange destin.

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    Un an. C'est le temps que les dirigeants d'IBM, en cet été 1980, donnent à une petite équipe pour créer un de ces petits ordinateurs miniatures qui semblent avoir tant de succès. Steve JobsSteve Jobs et Stephen Wozniack, avec tee-shirts et cheveux longs, vendent des AppleApple II comme des petits pains (II car il y a eu un Apple I), et l'on parle de ce jeune William Gates (24 ans en 1980), qui fait croître une société baptisée MicrosoftMicrosoft en vendant un langage de programmation pour adolescents, le Basic (Beginners All purpose Symbolic Instruction Code, quelque chose comme Code d'instructions symboliques pour tous usages et pour débutants).

    Mais IBM, aujourd'hui centenaire, alias Big BlueBig Blue (le Grand Bleu, à cause, paraît-il, de la couleurcouleur des chemises de ses cadres supérieurs), ne joue pas dans cette catégorie, réalisant à l'époque un chiffre d'affaires annuel de 24 milliards de dollars (source Bill GatesBill Gates et la saga Microsoft, Daniel IchbiahDaniel Ichbiah, éditions Pocket, 1995) et vend de très gros ordinateurs à de très grosses entreprises. Les systèmes sont centralisés et les utilisateurs, en bout de chaîne, n'ont devant eux que des terminaux sans écran, ressemblant à des machines à écriremachines à écrire et débitant des kilomètres de papier.

    Miser pour voir

    Mais en 1980, des entreprises plus sérieuses s'intéressent à ces « micro-ordinateurs ». Un distributeur, Tandy Radio Schack, connaît un succès inexplicable avec une machinerie pleine de fils à brancher sur un téléviseur, baptisée TRS-80, et Commodore, une entreprise de bon aloi, réussit à vendre son Pet (animal de compagnie en anglais), avec 4 kilo-octets de mémoire et un magnétophone à cassette. Et puis il y a Visicalc, le premier des tableurs, tournant sur Apple II, inventé par un étudiant, Dan Bricklin, et un informaticien, Robert Frankston. N'importe quel comptablecomptable, à la première seconde de fonctionnement, comprend immédiatement l'intérêt de cette chose pour une entreprise.

    Le président d'IBM, Frank Carry, décide, comme au poker, de « miser pour voir ». Mais pas question de lancer la lourde mécanique d'IBM pour concevoir un appareil qui s'apparente à un jouet, ce qui aurait probablement pris des années. L'histoire est inhabituelle et, pour mieux la connaître, nous avons interrogé un témoin de cette époque : un IBM PC retrouvé dans une grange et qui a bien voulu répondre à nos questions.

    Un IBM PC de 1981. On remarque le lecteur de disquette 5,25 pouces, unique. L'emplacement à droite ne cache pas un disque dur mais de quoi installer un second lecteur optionnel. L'appareil n'a rien de révolutionnaire. Il est seulement bien construit et signé IBM. © Marcin Wichary/Flickr CC by-nc-sa 2.0

    Un IBM PC de 1981. On remarque le lecteur de disquette 5,25 pouces, unique. L'emplacement à droite ne cache pas un disque dur mais de quoi installer un second lecteur optionnel. L'appareil n'a rien de révolutionnaire. Il est seulement bien construit et signé IBM. © Marcin Wichary/Flickr CC by-nc-sa 2.0

    Futura-Sciences : Bon anniversaire, IBM PC !

    IBM PC : C'est vrai, je suis né le 12 août 1981. Trente ans déjà...

    Futura-Sciences : Drôle de mois pour annoncer une nouveauté planétaire…

    IBM PC : Ah mais je ne suis pas né comme une vedette. À l'époque, personne ne m'aimait. Même pas mes parents... (sniff)

    Futura-Sciences : Allons donc, ce n’est pas possible !

    IBM PC : Je vous assure que c'est vrai. Les dirigeants d'IBM étaient étonnés du succès des micro-ordinateurs. On les appelait comme ça. Vous savez, l'Apple II, le Commodore Pet, le TRS-80... Ils ont voulu essayer. Mais ils ne l'ont dit à personne, même pas en interne. Les gens auraient cru à une blague.

    Futura-Sciences : Comment est-ce possible ?

    IBM PC : Facile. Ils ont mandaté une toute petite équipe de gens à l'esprit plutôt indépendant. Et ils leur ont dit : « vous avez un mois pour présenter un dossier sur cet appareil ». Il y avait William Lowe, Jack Sams et quelques autres, dont l'histoire a du mal à retrouver les noms. Je suis né sous X...

    Futura-Sciences : Un mois ??

    IBM PC : C'est comme je vous le dis. Le dossier a été accepté et le patron a dit : « vous avez un an pour le fabriquer ». Une histoire de fou. Alors, les gars ont fait ce que l'on ne fait jamais chez IBM : ils sont allés chercher des composants à l'extérieur d'IBM. Ils ont pris un processeur d'IntelIntel, le 8088, et le langage de programmation Basic, de Microsoft. Ils sont allés voir Bill Gates, ce petit jeune qui ne faisait même pas son âge, et ils lui ont acheté son langage (qui ne valait pas tripette, entre nous).

    En 1980, le microprocesseur 8088 d'Intel n'est guère utilisé alors qu'il est en avance sur son temps : il travaille avec des mots de 16 bits, contre 8 pour les modèles de l'époque. © Steve Renouk/Flickr CC by-nc-sa 2.0

    En 1980, le microprocesseur 8088 d'Intel n'est guère utilisé alors qu'il est en avance sur son temps : il travaille avec des mots de 16 bits, contre 8 pour les modèles de l'époque. © Steve Renouk/Flickr CC by-nc-sa 2.0

    Futura-Sciences : Et MS-Dos ?

    IBM PC : Ah oui, mais ça c'est une autre histoire. Voyez-vous jeune homme, à cette époque, les fabricants de micro-ordinateurs voulaient souvent créer leur propre système d'exploitation. Alors un logiciel qui tournait sur la machine X ne fonctionnait pas sur la machine Y. Heureusement, il en existait un qui pouvait tourner sur plusieurs ordinateurs. Il s'appelait CP/M. Il fonctionnait sur les processeurs Intel plus anciens que le mien, et il avait été créé par une grosse société, DigitalDigital Research, qui avait marché sur les plates-bandes d'IBM avec ses mini-ordinateurs.

    MS-Dos, l'écran noir de mes nuits blanches, a étrangement subsisté jusqu'à Windows XP, donc jusqu'en janvier 2007. © Futura-Sciences

    MS-Dos, l'écran noir de mes nuits blanches, a étrangement subsisté jusqu'à Windows XP, donc jusqu'en janvier 2007. © Futura-Sciences

    Futura-Sciences : Des minis ?

    IBM PC : Oui. C'est comme cela qu'on appelait les ordinateurs qui avaient seulement la taille d'une machine à laver. Toute une époque.

    Futura-Sciences : Et donc IBM a conclu un accord avec Digital Research ?

    IBM : Oh pas du tout. Mes papas n'y connaissaient vraiment rien en micro-ordinateurs alors ils sont retournés chez Microsoft (ou ont téléphoné, je ne sais plus) et ont demandé s'ils pouvaient acheter les droits pour un CP/M adapté au 8088. Alors Gates leur a expliqué que non, ce n'était pas Microsoft qui produisait ce système-là, mais Digital Research... que mes créateurs sont allés voir illico et qui a refusé tout net. Et ça a été le début de la fin pour cette société qui a fini par disparaître.

    Mes papas se sont encore une fois tournés vers ce monsieur Gates et lui ont demandé si, par hasard, il n'aurait pas une idée pour les sortir de là. Bill a dit « On s'en occupe » et Paul Allen, un copain de Bill, a trouvé un système d'exploitation déjà fait, qui s'appelait QDos, créé par un certain Tim Paterson, travaillant pour une petite entreprise.

    Futura-Sciences : QDos ?

    IBM PC : QDos, oui. Pour Quick and Dirty Operating System. Soit, approximativement, Système d'exploitation vite fait-mal fait. Non vraiment, je suis mal né.

    La carte mère de l'IBM PC. On remarque à gauche cinq connecteurs pour des cartes additionnelles, une idée qui a fait le succès de l'Apple II. © Steve Renouk/Flickr CC by-nc-sa 2.0

    La carte mère de l'IBM PC. On remarque à gauche cinq connecteurs pour des cartes additionnelles, une idée qui a fait le succès de l'Apple II. © Steve Renouk/Flickr CC by-nc-sa 2.0

    Futura-Sciences : Ne dites pas cela. Vous n’étiez pas si mal, pour l’époque.

    IBM PC : C'est vrai... Que des systèmes standards. Une architecture ouverte, avec des emplacements pour des cartes additionnelles, comme l'Apple II (et contrairement au MacintoshMacintosh). Mon processeur fonctionnait en 16 bits, au lieu de 8 pour les micro-ordinateurs de l'époque. Il tournait à 4,77 MHz ! J'avais 16 kilo-octets de mémoire et mes papas avaient prévu de pouvoir monter à 640 ko. Du jamais vu. J'avais un lecteur de disquettedisquette intégré, et même un second en option. Des disquettes de 5,25 pouces, souples comme des éventails.

    Futura-Sciences : Et un disque dur ?

    IBM PC : Pas d'insolence, jeune homme.

    Futura-Sciences : MS-Dos a eu une longue histoire puisqu’il a survécu jusqu’à Windows XP, où on le trouvait encore en cherchant bien.

    IBM PC : C'est ce que m'ont dit mes petits-enfants. Franchement, cela m'étonne. Même à l'époque, cette antiquité faisait pitié. Il fallait taper dir pour seulement voir le contenu d'un dossier, et dir /p pour éviter que ça ne défile comme les génériques à la fin d'un téléfilm. Mes pauvres utilisateurs devaient connaître des tas de codes pour faire ce que l'on obtenait sur le Macintosh d'Apple avec un clic de souris.

    Trois lettres rassurantes... © Steve Renouk/Flickr CC by-nc-sa 2.0

    Trois lettres rassurantes... © Steve Renouk/Flickr CC by-nc-sa 2.0

    Futura-Sciences : Êtiez-vous beau ?

    IBM PC : J'étais laid.

    Futura-Sciences : Êtiez-vous bon marché ?

    IBM PC : J'étais cher.

    Futura-Sciences : Avez-vous eu du succès ?

    IBM PC : Tout de suite. J'ai écrasé tout le monde. Tous voulaient être « compatibles PC » (je m'appelais Personal ComputerPersonal Computer). Mais le plus compatible, évidemment, c'était moi. Et j'avais trois lettres magiques sur ma façade : I-B-M. Avec ça, n'importe quel responsable informatique pouvait m'acheter sans faire rire ses collègues ni effrayer sa direction. Ma gloire aura duré deux ans. Ensuite, IBM, qui a compris que j'avais du talent, a lancé le PC/XT, avec un disque durdisque dur (énorme : 10 Mo !) puis le PC/AT avec un nouveau processeur. Et l'histoire a continué...