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Lors de la cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de football 2014, le 12 juin dernier à Sao Paulo, le premier coup de pied dans un ballon n'a pas été très remarqué par les caméras des télévisions, plutôt braquées sur les paillettes de Jennifer Lopez et de Claudia Leitte, entourant le rappeur Pitbull. Le moment était pourtant le plus émouvant de ce show très court. Un jeune homme paraplégique marchait seul, équipé d'un exosqueletteexosquelette, et a (modestement) frappé la balle qui est partie à quelques mètres. Son engin avait été conçu, comme nous l'avons détaillé dans un précédent article, par l'équipe internationale du projet Walk Again, dirigée par le neurologiste brésilien Miguel Nicolelis. Il a été baptisé BRA-Santos-Dumont, pour souligner son origine brésilienne et en mémoire d'Alberto Santos-Dumont, célèbre aéronaute et aviateur franco-brésilien du début du XXe siècle.
Le jeune homme (resté anonyme) portait sur sa tête un bonnet EEGEEG et c'est avec lui qu'il pilotait l'exosquelette. Ces coiffes sont équipées d'électrodesélectrodes captant les signaux électriques induits par l'activité des neuronesneurones du cerveau (l'électro-encéphalogramme, ou EEG). Des capteurscapteurs, placés sous les semelles, détectent le toucher du sol et envoient un signal qui commande une pressionpression sur les bras, de sorte que la personne ressent ses pas. C'est un bel exemple des interfaces cerveaucerveau-ordinateur, ou BCI (Brain-Computer Interface).
Le BRA-Santos-Dumont reste un engin complexe et largement imparfait. Le casque ne détecte que quelques intentions de mouvementsmouvements pour remuer les deux jambes. Des gyroscopes et un système automatique assurent son équilibre. Il a fallu des mois d'entraînement au jeune homme pour en maîtriser le fonctionnement. Mais cette avancée, qui s'appuie des années de recherches effectuées sur des singes depuis de nombreuses années, démontre des progrès significatifs.
Brain Arena, inspiré du football, se joue à deux. Chaque participant tente de mettre des buts dans la cage de l'autre. Dans ce jeu créé à l'Inria, un logiciel analyse les signaux cérébraux émis lorsque les personnes équipées pensent à bouger un bras, à droite ou à gauche. © Inria
Comment décrypter les signaux du cerveau ?
Les recherches vont bon train un peu partout dans le monde pour capter quelque chose de la pensée afin de commander une machine. Les systèmes actuels sont vraiment rudimentaires et ne détectent que des motifs dans les signaux de différentes fréquences détectés par un EEG. Il faut donc une période d'entraînement pour que l'utilisateur s'exerce à se concentrer sur une certaine pensée (par exemple bouger la main gauche) et pour que l'appareil repère le signal correspondant. Il n'est pas possible, bien sûr, d'analyser l'EEG pour littéralement lire dans les pensées.
Les scientifiques progressent, cependant, dans l'analyse des signaux cérébraux. L'Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) mène plusieurs recherches dans ce domaine au sein du programme OpenVibe, qui en est à la version 2. Le jeu vidéo Mind Shooter exploite les signaux SSVEP (Steady-State Visual Evoked Potential), des « potentiels évoqués » (ondes cérébrales apparaissant après une stimulationstimulation) qui intéressent les spécialistes des BCI. Ici, pas d'analyse de motifs ni d'apprentissage. Ces signaux cérébraux apparaissent quand la personne regarde des signaux lumineux clignotants. Remarquablement, un SSVEP de même fréquence devient visible dans l'EEG.
Une exploitation possible, comme dans Mind Shooter, où le joueur doit tirer à droite, à gauche ou en face, est de faire apparaître sur un écran des points clignotant à des fréquences différentes. L'analyse de l'EEG permet ainsi de repérer où regarde le joueur. Depuis les années 1980, on sait utiliser un autre potentiel évoqué, appelé P300, qui apparaît 300 ms après l'apparition d'une stimulation. Le système P300 Speller, par exemple, permet de repérer quand une personne réagit en voyant la lettre qu'elle a choisie clignoter à l'écran, un dispositif qui permet à une personne incapable de parler de s'exprimer.
Un bonnet à électrodes utilisé pour le projet Brain Flight de l'université technique de Munich (TUM). Les nombreuses électrodes permettent d'annalyser assez bien les signaux cérébraux. © A. Heddergott/TU München
Réduire le nombre de neurones espionnés
Les chercheurs sont confrontés à la complexité des signaux et à la résolution des capteurs. Des électrodes installées sur la boîte crânienneboîte crânienne récoltent un signal très bruité, provenant de dizaines de millions de neurones. L'interprétation en est donc difficile. Actuellement, trois types d'interfaces sont utilisés :
- Des électrodes intracrâniennes. Réservées à des usages très précis, quand la chirurgiechirurgie commande d'ouvrir la boîte crânienne pour une autre raison, elles offrent la meilleure résolution, qui peut descendre à quelques dizaines de neurones si l'électrode plonge dans le cerveau.
- Les bonnets EEG. Utilisés en laboratoire et pour des usages médicaux, ils comptent jusqu'à plusieurs dizaines d'électrodes.
- Les casques EEG désormais vendus dans le commerce. Ils comportent très peu d'électrodes, voire une seule, et ne détectent qu'un signal très bruité, notamment par les mouvements des muscles de la face ou des yeuxyeux.
La réalisation d'une véritable interface cerveau-ordinateur, qui permettrait de piloter un avion, comme dans le projet Brain Flight, ou grâce à laquelle une personne handicapée retrouverait une partie de ses capacités perdues, est encore loin. Mais il est étonnant de voir les progrès réalisés durant les dernières années.
Chronique / Chronique du futur
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La Chronique du futur veut décrypter les tendances fortes qui dessinent des voies possibles pour l'avenir. Ce ne sont donc pas des prédictions mais des portes ouvertes sur quelques paysages du monde de demain...