Une étude d’un chercheur du CNRS révèle les manœuvres de déstabilisation menées par le Kremlin sur les réseaux sociaux pour faire monter l’extrême droite en France. Les narratifs poussés par la Russie suffisent-ils pour manipuler l’opinion des électeurs ?
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« La goutte d'eau creuse la pierre, non par force, mais en tombant souvent. » Cette ancienne devise du KGB reste d'actualité avec un président Poutine élu à vie et qui mise sur le long terme pour influencer par petits pas les élections dans les démocraties occidentales. Le champ de bataille des manœuvres d'ingérence russes se situe sur les réseaux sociauxréseaux sociaux, et cela ne date pas d'hier. L'idée motrice consiste à affaiblir l'Union européenne et l'Otan en manipulant les opinions des populations des pays membres.
Pour y parvenir, le Kremlin cherche à aider à élire des dirigeants moins hostiles au régime russe. C'est le cas de l'extrême droite française et notamment du RN qui a bénéficié d'un emprunt russe pour ses campagnes et s'est systématiquement opposé ou abstenu dès qu'il s'agissait de soutenir la résistancerésistance ukrainienne ou d'infliger des sanctions à la Russie suite à l'invasion de l'Ukraine.
La tactique est connue depuis longtemps, puisque dès les élections présidentielles de 2017, des opérations de piratage des boîtes e-mail de l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron avaient été menées pour tenter de discréditer le candidat. La manœuvre était alors soutenue par des armées de bots menant des campagnes intensives d'astrosurfing pour amplifier un narratif favorable à l'élection de Marine Le Pen. Aujourd'hui, une récente étude, menée par le chercheur du CNRS David Chavalarias, analyse les techniques de déstabilisation employées par le Kremlin pour manipuler l'opinion des électeurs afin qu'ils votent pour le RN dans le cadre des élections législatives anticipées.
L'auteur explique que déjà, dès 2023, lors des campagnes pour les élections européennes, des publicités ciblées ont été achetées sur FacebookFacebook pour pousser les messages allant à l'encontre des gouvernements, ou le soutien des pays occidentaux à la résistance ukrainienne. Ces campagnes se sont amplifiées à l'approche des élections. Par exemple, de fausses publicités de recrutement de soldats pour l'armée française afin d'aller combattre en Ukraine ont abondamment circulé. Elles visaient à renforcer les propos d'Emmanuel Macron sur l'envoi de troupes en Ukraine pour le faire passer pour un va-t-en-guerre.
La représentation graphique des communautés politiques. En nuances de rouge, les partis liés à la gauche. Ceux de droite sont représentés en bleu. Les filaments représentent les flux d’échanges et de partages de publications entre comptes X. © CNRS
Un pouvoir de nuisance surestimé ?
Mais c'est sur le réseau X que les manœuvres des bots russes et des propagateurs de narratifs prorusses sont les plus abondantes. Depuis 2016, une armée de faux comptes diffuse régulièrement des concepts reposant sur des mots-clés poussant au clivageclivage. C'est ainsi que le terme « islamo-gauchiste », qui venait de nulle part, a été propulsé et a été repris par des ministres et fait l'objet de débats.
Mais plus globalement, selon le chercheur, le Kremlin a employé trois stratégies : pousser la normalisation de l'extrême droite, faire en sorte que les partis du front républicain ne puissent plus s'entendre et surtout engendrer le rejet des partis modérés par les électeurs afin qu'ils votent à l'extrême droite. Pour y parvenir, les bots russes surfent aussi sur l'actualité et notamment la guerre à Gaza en diffusant des images horribles de l'attaque du Hamas du 7 octobre.
Une façon de faire monter l'islamophobie, pointer du doigt l'antisémitisme de certains partis et augmenter les discours radicaux entre l'extrême droite et l'extrême gauche. Pour accentuer l'effet, des bots faisant la promotion de l'islamisme politique ont été créés. Ces manœuvres, qui sont toujours en cours, visent toujours à amplifier l'adhésion au RN d'un maximum d'électeurs pour le second tour des législatives de ce dimanche.
Si l'analyse du chercheur est solidesolide, reste à savoir si cette stratégie du Kremlin pèse vraiment sur le choix des électeurs. Il n'existe pour l'heure aucune étude aboutie sur les effets concrets auprès du public de ce genre de manipulation. Sans pour autant sous-estimer le pouvoir de ces opérations, rien que la montée en puissance du réseau de médias conservateurs du groupe Bolloré peut expliquer bien des choses.