Après avoir frappé la grande ville de Dnipro, en Ukraine, avec un missile inédit à capacité nucléaire, Vladimir Poutine a de nouveau agité la menace de l’utilisation de l’arme nucléaire contre les alliés de l’Ukraine. Le missile utilisé est-il vraiment d’un nouveau genre, et cette menace est-elle crédible ?
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Un énorme blast lumineux dans la nuit suivi de la chute rapide de six ogives. Voici ce que montrent des vidéos filmées hier matin à Dnipro, une grande ville de l'Est de l'Ukraine. C'est la réponse violente du Kremlin suite à l'autorisation donnée par les États-Unis aux Ukrainiens d'utiliser ses missilesmissiles pour réaliser des frappes en profondeur sur des objectifs militaires en Russie.
Lors de la frappe sur Dnipro, la présence de ces six ogives a immédiatement fait penser à un missile ICBM, à savoir, une arme balistique stratégique à longue portée (entre 6 000 à 13 000 kilomètres). Autrement dit, un missile nucléaire intercontinental. Les têtes semblaient inertes et n'ont donc pas engendré d'explosions dévastatrices. Très rapidement, les forces ukrainiennes ont accusé la Russie d'avoir utilisé l'un de ses missiles ICBM RS-26. C'est la première fois qu'une telle arme aurait été utilisée. Mais les experts ont rapidement douté, l'emploi d'une telle arme ne collant pas techniquement à cette utilisation. Il aurait fallu un éloignement supérieur à 1 000 kilomètres pour qu'un ICBM puisse être tiré et ce n'était pas le cas. De même, alors qu'il transite normalement dans l'espace avant de retomber, le missile n'avait pas la distance adéquate pour que l'opération soit réalisable. De plus, le S-26 expérimental - dont le développement est supposément arrêté depuis longtemps - enferme quatre têtes et non pas six.
Alors, quel est ce missile ? La réponse n'a pas tardé à provenir du Kremlin. Lors d'une courte intervention télévisée, Vladimir Poutine très menaçant a expliqué qu'il s'agissait d'un nouveau missile appelé « Orechnik », mais qui ne portait pas de charge nucléaire... pour cette fois. Cela laisse entendre qu'il pourrait en emporter une, mais c'est déjà le cas de nombreux missiles russes utilisés en Ukraine qui peuvent être armés conventionnement ou pas. Selon Vladimir Poutine, ce nouveau missile hypersonique est invincible, il évoluerait à « Mach 10, soit 2,5 à 3 kilomètres par seconde ». Cette vitessevitesse n'a rien d'exceptionnel pour un missile balistique - le M51M51 nucléaire français culmine à Mach 20.
Les menaces de l’ancien président russe Dmitry Medvedev affichant une vidéo de l’explosion du missile sur Dnipro. © Dmitry Medvedv
Un conflit mondial selon le Kremlin
Le maître du Kremlin a également affirmé que l'arme ne peut pas être interceptée par les défenses aériennes américaines positionnées en Europe. Autrement dit, la menace s'adresse directement aux soutiens de l'Ukraine. Mais ce discours ressemble à celui évoqué pour les fameuses armes hypersoniques telles le ZirconZircon employé en Ukraine, ou encore le fameux missile SatanSatan-2 qui brille par ses échecs de tirs répétés. Le Zircon a été plusieurs fois détruit par les systèmes Patriot opérationnels depuis 40 ans.
Hormis ces explications techniques, c'est plutôt la posture agressive du président russe qu'il faut retenir. Il a accusé l'Occident d'avoir transformé la guerre en Ukraine en conflit « mondial ». Il a souligné que la Russie est « prête à tout » et qu'elle n'excluait pas de frapper les pays dont les armes sont utilisées par l'Ukraine en Russie. La menace vise donc la France et le Royaume-Uni, tous deux détenteurs de l'arme nucléaire et qui ont fourni les missiles ScalpScalp et Storm que l'Ukraine a utilisés pour mener ses toutes dernières frappes sur le sol russe.
Le prochain missile sera-t-il nucléaire ?
On ne sait pas grand-chose de cet Oreshnik, hormis qu'il ne s'agit pas d'un ICBM, mais d'un IRBM, c'est-à-dire un missile à capacité nucléaire ayant une portée intermédiaire de 500 à 5 500 kilomètres. Si l'emploi d'un ICBM avec une charge inerte aurait été un message fort, laissant supposer que le prochain serait nucléaire, l'Oreshnik est finalement l'équivalent de ce que la Russie exploite déjà pour ses frappes en Ukraine. Pire encore, ce type de missile est assez peu précis. Les dommages infligés sur les installations de Dnipro ne semblent pas spectaculaires étant donné l'usage de têtes inertes. L'engin est de surcroît sans doute très coûteux. La Russie ne doit en posséder que quelques-uns en stock. Au final, si l'on met de côté le discours agressif du Kremlin, la réponse à des frappes sur le territoire russe, n'entraînerait donc qu'un tir de missile imprécis sans charge explosive.
Autre élément montrant qu'il s'agit surtout de faire peur aux populations occidentales plus qu'aux gouvernements de ces pays : le porteporte-parole du Kremlin et de la Maison-Blanche a confirmé que Moscou a prévenu les États-Unis trente minutes avant le tir. Une façon d'éviter une véritable escalade nucléaire.
Si elle est démonstrative, l'utilisation de ce nouveau missile est également dommageable pour la Russie, car la récupération de ses débris va permettre d'en savoir plus sur la technologie embarquée. Il y a donc de fortes probabilités pour que le missile en question ne soit pas vraiment innovant et qu'il reprenne des technologies déjà éprouvées sur d'anciens modèles. Or, il se trouve que rien qu'en source ouverte, une pièce de ce missile montre qu'elle est déjà utilisée sur le missile balistique intercontinental S-30 « Bulava ». Ce missile à capacité nucléaire est destiné aux sous-marinssous-marins russes.
Dans tous les cas, si la menace reste sérieuse, elle ne semble pas vraiment avoir modifié la posture nucléaire des alliés de l'Ukraine. Le ministère de la Défense américain a toutefois ajusté sa doctrine, mais pas spécialement contre cette seule menace.