Dans une tribune du New York Times, Paul Krugman, prix Nobel en 2008, veut voir des « similitudes inquiétantes » entre les cryptomonnaies et la crise des subprimes. Une vision d'économiste de la vieille école qu'il est aisé de contester...
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Il s'appelle Paul Krugman et il a reçu le prix Nobel d'économie en 2008. Si son nom est volontiers cité par certains politiciens proches du président Macron, c'est parce qu'il s'est récemment fendu d’une tribune remarquée dans le New York Times, dans laquelle, il s'autorise maints éloges des mesures prises par la France pour gérer son économie durant la pandémiepandémie.
Plus récemment, le 27 janvier, dans une libre tribune publiée là encore dans le New York Times, Krugman a livré son humeur du moment vis-à-vis des cryptomonnaies et de la relative chute des cours observée en janvier, avec un Bitcoin brièvement redescendu jusqu'aux alentours des 30.000 dollars, après avoir flirté avec les 68.000 dollars le 10 novembre dernier.
Que nous dit Krugman ? Qu'il perçoit quelques « parallèles dérangeants » entre la crypto et la crise des subprimes qui a mis à genoux l'économie américaine dans un premier temps en 2008, puis celle du monde entier dans son sillage.
Comment l'économiste établit-il cette similitude ? En expliquant que la crise des subprimes est née pour l'essentiel de ce que les banques accordaient des prêts à un moment où les taux d'intérêt étaient faibles, tandis que le prix des habitats connaissait une forte hausse. Et puis, le marché s'est saturé, les emprunteurs se sont retrouvés dans une situation où ils n'étaient plus en mesure de rembourser leur dû et il s'ensuivit un effet domino de pertes financières.
Or, à en croire Krugman, les investisseurs crypto se voient proposer d'investir sur des actifs spéculatifs sans réellement comprendre les risques impliqués, ce qui augurerait de tristes lendemains.
Krugman, un crypto-sceptique de longue date
Krugman n'a pas tout à fait tort. Pourtant, il est aisé de percevoir en lui un économiste de la vieille école, quelque peu dépassé par les méandres d'une technologie nouvelle dont il peine à percevoir le fonctionnement.
Pour rappel, Krugman n'en est pas à son coup d'essai. Déjà, le 15 décembre 2017, Krugman avait livré une interview à CNBC dans laquelle il comparait le Bitcoin à une bulle similaire à celle de l'immobilier tout en avouant aussi que « le Bitcoin, personne n'y comprend rien ». Puis, le 31 juillet 2018, l'économiste s'était autorisé une tribune sans ambiguïté dans le New York Times intitulée : « Pourquoi je suis un crypto-sceptique » écrite alors qu'il se trouvait, selon ses propres dires, en train de faire de la bicyclettebicyclette en Europe. Il y livrait cette pensée profonde laissant transparaître un esprit tout de même bien déboussolé : « Quels sont les problèmes que cette technologie résout ? Que fait-elle que d'autres technologies moins coûteuses et d'un usage plus aisé ne peuvent pas également accomplir et mieux ? Je n'ai toujours pas trouvé la réponse. »
On aurait pu croire que Paul Krugman aurait par la suite modulé son opinion au vu des récentes évolutions du domaine mais il n'en a rien été. Le 20 mai 2021, il nous livre une autre chronique, plus étrange encore, dans laquelle il déplore que, selon lui, Bitcoin et consorts ne seraient pas parvenus à atteindre le moindre rôle économique sensé : « Ce qui se passe au niveau de leur valeur n'a aucune réelle importance pour ceux qui ne jouent pas au jeu crypto. » Et d'ajouter qu'avec le Bitcoin le système monétaire a reculé de 300 ans, époque où l'or était la principale monnaie d'échange.
Cette fois, il devient permis de questionner la bonne foi de l'économiste. Aurait-il écrit cette chronique par une matinée de faible inspiration ? De fait, on retrouve chez Krugman des comparaisons surprenantes comme lorsqu'il rapproche la cryptomonnaie à un système de Ponzi - les derniers arrivants rémunèrent les premiers arrivés.
L’inquiétante cécité intellectuelle de l’économiste
Bien évidemment, il existe une petite part de vrai dans certains des arguments égrenés par Krugman. Il est clair qu'un certain public s'est précipité sur certaines offres crypto faussement séduisantes, notamment dans le domaine des NFTNFT. Pourtant, Krugman comme d'autres économistes à l'ancienne, bousculés par un phénomène qu'ils peinent à analyser dans le cadre de leur système de référence classique - ce que l'on peut facilement comprendre - livrent des analyses qu'il est aisé de démonter.
Ainsi, le marché des cryptomonnaies a déjà connu plusieurs envolées suivies de décrues spectaculaires, mais, à chaque fois, il s'est peu à peu repris pour atteindre de nouveaux sommets. Est-il nécessaire de rappeler que, même à son taux actuel (37.000 $ à l'heure où sont écrites ces lignes), Bitcoin demeure l'investissement le plus rentable des douze dernières années ? N'oublions pas qu'un BTC valait 0,06 $ en 2009.
Là n'est pas tout. L'honnêteté intellectuelle fondamentale aurait pu amener Krugman à se demander pourquoi au moins 300 banques américaines ont décidé d'intégrer le trading de Bitcoin dans leurs offres. Et pourquoi l'entrée en Bourse de l'exchange (plateforme de trading) Coinbase, en avril 2021, a été plus réussie que celle de FacebookFacebook en 2012 ? Et comment Krugman a-t-il pu négliger de remarquer que des institutions réputées aussi sérieuses que JP Morgan, Citibank, Goldman Sachs, Morgan Stanley ont intégré les cryptomonnaies dans leurs investissements ?
De l’utilité économique des cryptos
Par ailleurs, le Bitcoin et ses avatars ont maintes fois démontré qu'ils avaient une réelle utilité économique. Le Salvador en est un bon exemple. Ce pays disposait d'une monnaie officielle - le bolivar - dont la valeur ne cessait de décroître, rendant difficile d'épargner durablement. Depuis que le Bitcoin y est devenu une devise légale en septembre 2021, les Salvadoriens disposent d'une monnaie qui est bien plus stable que leur monnaie nationale. Qui plus est, l'adoption du Bitcoin a permis à ce pays d'Amérique centrale d'échapper au joug du dollar et à de potentielles sanctions américaines.
Stimulés par cet exemple, des nations telles que le Honduras, le Nicaragua, le Guatemala, la République dominicaine et la Jamaïque (Amérique centrale), le Maroc et le Sénégal (Afrique), le Vietnam, les Philippines et le Sri-Lanka (Asie du Sud-Est) et bien d'autres, envisageraient de suivre l'exemple du Salvador. C'est le premier point que Krugman échoue à voir : les cryptomonnaies, non seulement peuvent servir pour l'économie mais peuvent aussi aider à libérer de nombreux peuples des affres de leurs monnaies locales. Rappelons qu'au Venezuela, au Kenya, à Cuba ou en Corée du Nord, la monnaie nationale a parfois subi une telle dévaluation que les citoyens ont vu leurs avoirs perdre une énorme partie de leur valeur.
Krugman semble par ailleurs négliger les nouvelles opportunités qu'offrent certaines applicationsapplications de la DeFi (finance décentraliséefinance décentralisée), comme la possibilité d'assurer un seul vol d'avion, de contribuer à l'édification d'une ferme de panneaux solaires et d'être rémunéré à hauteur de son investissement...
Par ailleurs, la cryptomonnaie favorise énormément d’initiatives humanitaires louables. Ainsi, très récemment, les contributeurs Bitcoin ont fortement participé au financement de la constructionconstruction d'une centrale solairecentrale solaire au Zimbabwe.
Dépassé...
Loin de nous l'idée de prétendre que tout serait rose au royaume des cryptomonnaies. Ce n'est pas le cas et cela ne le sera jamais. Toutefois, on peut reprocher à certains intellectuels qui ne parviennent pas à intégrer ce nouveau modèle certes complexe dans leur psyché, de se réfugier ainsi dans des poncifs dénués de fondement.