Au XVIIIe siècle, la théorie de l’attraction de Newton émerge peu à peu. Encore faut-il la tester pour la valider. Mais quelles expériences mettre au point pour valider un concept physique régissant l’attraction entre les corps célestes ? Au cours d’une expédition de neuf années au Pérou, Pierre Bouguer réalisera une série de mesures qui permettront de renforcer notablement la théorie newtonienne et de poser les bases de la gravimétrie.
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Quelle est la forme réelle de la Terre ? Si, aujourd'hui notre connaissance et nos instruments de mesure permettent de proposer des modèles toujours plus complexes et précis, au XVIIIe siècle, la question agite l'Académie des Sciences.
Déterminer la forme de la Terre par l’expérience
On sait alors que la Terre est approximativement sphérique, mais qu'il ne s'agit pas d'une sphère parfaite. Cette hypothèse a été démontrée dès 1672 par Richer, un horlogerhorloger français, qui a montré qu'une horloge parfaitement réglée à Paris retardait de 2 minutes 30 secondes par jour en Guyane. Newton et Huygens imputent alors ce retard à une diminution de la pesanteur entre Paris et Cayenne, émettant l'hypothèse que la Terre n'est donc pas une sphère, mais un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles.
Pourtant, d'autres propositions circulent au sein de la communauté scientifique. Certains pensent, comme Cassini, que la Terre est au contraire allongée suivant l'axe polaire. Deux expéditions sont alors proposées pour mettre un point final à la querelle entre Newtoniens et Cassiniens, le but étant de mesurer une partie de l'arc méridien proche du pôle (expédition de Laponie dirigée par Clairaut et Maupertuis) et au niveau de l'équateuréquateur, au Pérou. Pierre Bouguer participe à cette dernière expédition. Les résultats obtenus lors de ce voyage, en plus de valider les prédictions de la théorie de Newton, seront d'une richesse inestimable d'un point de vue scientifique et vont permettre de poser les bases d'une nouvelle méthode géophysique : la gravimétrie.
Les mesures pendulaires de Bouguer au Pérou
Le voyage au Pérou dure 9 ans, entre 1735 et 1744. Durant tout ce temps, les expériences et mesures vont s'enchaîner dans des conditions de vie relativement rudes. La première tâche à accomplir est donc la mesure d'un degré du méridien au niveau de l'équateur. Mais le programme est loin d'être terminé. Mesure de la vitesse du son, mesure de la réfraction atmosphérique, utilisation du baromètrebaromètre pour déterminer l'altitude, mesure de la diminution de la pesanteur avec l'altitude et mesure de la déviation de la verticale par l'attraction des montagnes.
Ces deux derniers points seront particulièrement originaux et vont faire émerger des concepts novateurs en accord avec la récente théorie newtonienne. Bouguer est en charge de ces mesures gravimétriques. Précis et méticuleux, il a un sens aigu de la mesure et des corrections à prendre en compte pour pouvoir comparer et discuter des résultats. Il effectue ses mesures de pesanteur et d'attraction grâce à un pendule auquel il applique déjà des corrections de température et de pression pour prendre en compte la dilatationdilatation des matériaux et le fait que les variations de pression influencent la densité du poids du pendule.
Mais pourquoi utiliser un pendule ? Comme tout corps ayant une massemasse, le poids du pendule est soumis à l'attraction de la Terre. On sait, depuis 1659 et grâce à Huygens, que la période d'oscillation d'un pendule ne dépend ni de sa masse, ni de l'amplitude des oscillations, mais de la longueur du fil et de la pesanteur. Les variations de la pesanteur sont ainsi susceptibles d'influencer les périodes d'oscillation du pendule. En ajustant la longueur de fil (l) pour qu'un pendule batte la seconde en un lieu donné, on obtient une équationéquation relativement simple pour déterminer la pesanteur en ce lieu : g = π2l.
C'est cette relation que va utiliser Bouguer pour effectuer ses mesures de pesanteur en différents points de la Cordillère des Andes. Mais, astucieux, il va se simplifier la tâche en ne modifiant pas la longueur de fil, qui est alors étalonnée précisément, mais en comparant, sur un temps donné, le nombre d'oscillations au point de mesure par rapport au nombre d'oscillations d'un pendule de référence battant la seconde. Si le pendule utilisé pour la mesure oscille trop lentement par rapport à la référence, cela revient à dire que le fil est trop long. Cette différence de longueur permet de calculer la variation relative de pesanteur au point de mesure par rapport à une valeur de référence, généralement prise au niveau de la mer.
Variations de pesanteur avec l’altitude
En effectuant ainsi une série de mesures à différentes altitudes sur les sommets péruviens, Bouguer découvre que la pesanteur diminue avec l'altitude, ce qui est en accord avec la théorie newtonienne, qui stipule que la gravitégravité diminue avec l'éloignement du centre de la Terre. Bouguer remarque d'ailleurs que dans le cas de mesures effectuées à la surface de la Terre, il est nécessaire de prendre en compte le surplus de masses situées entre le niveau de la mer (référence) et le point de mesure en altitude : les masses des montagnes compensent en partie l'éloignement au centre de la Terre. Il introduit ainsi la notion de correction de plateau, totalement originale pour l'époque, renforçant et affinant la théorie de l'attraction pour le cas de mesures réalisées sur Terre.
Déviation de la verticale par les montagnes
La théorie de Newton stipule également que tous les corps sont sujets à une attraction mutuelle. La présence des reliefs imposants du Pérou permet à Bouguer de tester cette hypothèse. Son idée est d'observer l'effet d'attraction des montagnes sur son pendule. Cette expérience met en avant la déviation de la direction de la pesanteur au voisinage de masses importantes. On parle de déviation de la verticale. Grâce à l'ingéniosité de Bouguer, l'expérience fonctionne, renforçant une fois de plus la théorie de l'attraction.
Les résultats permettent également de mettre en lumièrelumière un autre aspect fondamental des mesures de pesanteur : l'influence de la densité des roches composant la croûte terrestrecroûte terrestre et ses variations. Bouguer met ainsi en lumière l'intérêt de la gravimétrie comme méthode d’observation indirecte pour comprendre la composition et la structure de la Terre, à travers la répartition des masses en profondeur.