C'est une très mauvaise idée, pourtant couramment répandue, d'invoquer le nom d'Albert Einstein pour soutenir la thèse que les travaux révolutionnaires en science proviennent de chercheurs indépendants, initialement rejetés par l’establishment scientifique. Son parcours, bien qu'atypique, démontre le contraire. Les plus éminents éléments de la communauté scientifique ont rapidement reconnu la valeur des travaux du chercheur qui ont été publiés dans les revues de référence de l’époque. On ne peut pas en dire autant de certains esprits excentriques, pseudo génies autoproclamés, de nos jours.
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Les idées fausses ont la vie dure. Ainsi, sur les réseaux sociauxréseaux sociaux et les sites prétendument scientifiques, Albert EinsteinEinstein est fréquemment cité pour défendre la thèse selon laquelle les génies, ceux qui ont véritablement fait progresser la science, ne sortiraient pas du sérail autorisé. De surcroît, ils auraient été combattus et ils auraient eu à surmonter moult obstacles pour diffuser leurs idées, au moins pendant un temps.
Selon ces allégations, ne pas avoir fait d'études certifiées par un diplôme de doctorat serait donc potentiellement, voire sûrement, le signe d'un esprit supérieur.
Ne pas pouvoir publier d'articles dans les revues de la communauté scientifique, et ne pas être reconnu par celle-ci serait le signe évident d'un génie incompris, d'un visionnaire dont les idées auraient été trop avant-gardistes pour être comprises par l'establishment, lequel serait limité par une pensée routinière, dépourvu de créativité et d'imagination, incapable de sortir de son carcan académique.
Argumentation spécieuse
La célèbre citation d'Einstein, « l'imagination est plus importante que le savoir », est en fait une argumentation spécieuse pour étayer cette thèse et déprécier l'acquisition d'un savoir sanctionné par un doctorat, dans le cadre d'un programme de formation établi par la communauté scientifique.
Cette théorie est en réalité une légende sans aucun fondement depuis au moins un siècle (et même plus) comme le prouve précisément la trajectoire d'Einstein. Certes, comme beaucoup de génies, Einstein était atypique et partiellement autodidacte, refusant le bachotage. Il était partiellement aussi le contre-exemple même du virtuose surdoué réussissant brillamment ses examens avec des années d'avance. Pour autant, il était loin d'être hors système.
Pour s'en convaincre, il faut savoir qu'Albert Einstein a intégré l’École polytechnique fédérale de Zurich, déjà une prestigieuse institution de son temps, qui attirait dans le rang de ses professeurs l'élite des scientifiques, tels que Hermann Minkowski, Hermann Weyl et Wolfgang PauliWolfgang Pauli, ses contemporains.
La relativité générale aujourd’hui, demain et après-demain, par Thibault Damour. Les mécanos de la Générale : Einstein, 100 ans de la relativité générale, conférence du 8 décembre 2015. © BnF
Quanta, atomes, relativité : des travaux publiés et reconnus sans réserve
Ensuite, il faut savoir également que quelques années après la sortie d'Einstein, diplômé de cette école d'ingénieur, ses travaux de la théorie des quanta à la relativité restreinte, ont été tout de suite acceptés et publiés dans Annalen der Physik, une revue scientifique de référence à l'époque. Cela prouve bien que, même sans considérer la véracité de ses théories, les experts de la revue ont rapidement admis que ses travaux correspondaient aux critères de publication exigés par la communauté scientifique.
Mieux, Einstein a passé une thèse de doctorat en 1905 décernée par l'université de Zurich. Celle-ci est étroitement liée à ses travaux sur le mouvement brownien et l'existence des atomes. C'est l'année où il publie également ses articles fondateurs sur les quanta de lumière et la relativité. Il est autorisé à donner des cours à l'université de Berne dès 1908, tout en continuant de travailler au Bureau des brevets. Par conséquent, sa valeur en tant que scientifique « sérieux » a été rapidement accréditée après ses publications. Il devient ainsi professeur associé à l'université de Zurich dès 1909.
De 1908 à 1909, grâce aux travaux d'Einstein qu'il utilise, Jean Perrin va mener ses expériences sur l'existence des atomes qui lui vaudront le prix Nobel de physiquephysique. Preuve éclatante de la reconnaissance et de la légitimité d'Einstein par ses pairs !
Max Planck, qui jouit d'une importante autorité en 1906, parle des travaux d’Einstein la même année et Hermann Minkowski les prend, lui aussi, très au sérieux dès 1909.
Il est donc incontestable qu'Einstein a été rapidement reconnu et compris par les plus grandes personnalités de la communauté scientifique qui ne se sont pas opposées à ses recherches.
Les réactions de rejet, provoquées ensuite par ses théories, ne provenaient que de scientifiques de second rang, dans le meilleur des cas. Ceux-ci n'étaient souvent pas totalement compétents en physique théorique. Ce fut le cas, par exemple, du prix Nobel de physique, Philipp Lenard, dont les travaux étaient expérimentaux.