À partir du XIIe siècle, plusieurs langues vernaculaires européennes dont le français, commencent à être utilisées dans les actes administratifs, à la place de la langue écrite en situation de monopole : le latin. Cette transition décisive ne concerne pas seulement les documents politiques mais également la littérature. C’est la constitution d’un « langage écrit » : les rédacteurs médiévaux qui écrivent en vernaculaire, permettent à leur langue d’acquérir des compétences de communication jusque-là réservées au latin.
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L'existence des Serments de Strasbourg en 842, qui sont des serments d'assistance mutuelle entre les petits-fils de Charlemagne (document bilingue en langue gallo-romane, "ancêtre" du français, et en allemand ancien), ne suffit pas pour repérer les débuts de l'utilisation du français dans les documents administratifs et actes politiques : il faut que l'usage de la langue corresponde à une pratique courante, si l'état des archives permet de l'observer.
L’émergence des langues vernaculaires
Une distinction doit être établie au sein des langues vernaculaires (langues locales parlées par la communauté) issues du latin, entre les langues romanes et celles qui appartiennent aux autres familles linguistiques (germanique, celtique et slave). Tant que demeure le lien entre les parlers romans et la langue mère latine, le latin continue à être utilisé à l'écrit. Les langues non romanes, autonomes par rapport au latin, apparaissent dans les chartes (actes écrits administratifs, juridiques) plus précocement, notamment dans des territoires non romanisés (Scandinavie, Europe médiane...). Il est certain que dans l'ensemble de l'Occident médiéval, la langue première des chartes reste le latin qui accompagne en fait la progression du christianisme. La langue latine, liturgique et savante, sert essentiellement à l'établissement des actes juridiques impliquant des ecclésiastiques. Les langues vernaculaires pénètrent dans les chartes de deux manières différentes : la première consiste en un remplacement net du latin par une autre langue ; on rédige intégralement des actes en vernaculaire. Ce passage quasi immédiat est apparemment valable pour le français. Une langue vernaculaire peut également s'insérer par des mots puis des phrases, dans des actes écrits en latin.
Domaine d’oïl, domaine d’oc
La frontière linguistique entre langue d'oc et langue d'oïl, sépare les régions où l'on parle les langues occitanes (ou langues occitano-romanes) et celles où les langues d'oïl (langues gallo-romanes) sont utilisées. Cet espace de transition est une zone de contact entre parlers d'oc et d'oïl, qui s'incarne dans des dialectes influencés par chaque domaine linguistique. La langue occitane est parlée depuis le VIIIe siècle environ, par une population qui occupe un espace délimité entre Atlantique et plaine du Pô d'une part, entre nord du Massif Central et Pyrénées d'autre part. Des provinces puis des régions se partagent cet espace linguistique bien diversifié, qui propose les variantes suivantes : ancien occitan, aranais, auvergnat, béarnais, gascon, gavot, limousin, occitan languedocien, provençal, nissart, vivarois. Qu'y a-t-il de commun entre le Béarn et le pays niçois ? Le seul élément les unissant sur le long terme, c'est la langue de leurs habitants qui est une représentation locale de l'occitan.
La langue d'oïl est une langue gallo-romane qui s'est développée dans la partie nord de la France, le sud de la Belgique et les îles anglo-normandes. Elle englobe alors différents dialectes cousins (français, orléanais, bourguignon-morvandiau, champenois, lorrain roman, picard, wallon, normand, gallo, angevin, tourangeau, sarthois, mayennais, percheron, franc-comtois, poitevin, saintongeais, berrichon, bourbonnais). Ce groupe linguistique du nord a conservé un important substratsubstrat celtique et subi une grande influence des parlers germaniques. D'un dialecte d'oïl à l'autre, on parvient à se comprendre grâce à l'écrit administratif. A Paris (aux XIe-XIIe siècles), on parle un français « poreux » à tous ces dialectes, qui devient une référence linguistique au XIVe siècle, parce que la ville est désormais la capitale politique et administrative du royaume.
La progression de la langue française dans le royaume de France
Le français est la langue « vulgaire » (vivante) médiévale qui connait sa plus forte expansion hors de son territoire d'origine, le domaine d'oïl. La première « exportation » du français est consécutive à la conquête normande de l'Angleterre en 1066 : une variante cousine du français, l'anglo-normand, s'implante dans les îles britanniques. Alors que le clergé du royaume perpétue les habitudes latines, dans les années 1230-1240, la pratique du français se diffuse dans les actes juridiques et administratifs établis par les ducs de Lorraine et les comtes de Luxembourg. Dans le royaume de France, les ducs de Champagne et de Bourgogne (grands fiefs vassaux du roi) commencent à l'utiliser. Le français pénètre dans le duché de Bretagne au cours des années 1250 à 1280 ; il se diffuse dès le milieu du XIIIe siècle en Flandre. Par contre, le centre et l'ouest du domaine d'oïl restent très fidèles au latin durant tout le XIIIe siècle.
Le français, lorsqu'il devient la langue privilégiée par le roi, va se substituer progressivement aux autres langues vernaculaires du royaume. Dans la France méridionale romane, la langue française pénètre assez lentement : introduite vers 1250 dans le Dauphiné, elle déborde sur les terres de l’Empire germanique dès la fin du XIIIe siècle (Suisse romande, Savoie et Val d'Aoste) et s'impose à Lyon au XVe siècle. Dans le domaine d'oc, la pénétration du français juridique ne débute pas avec la croisade des Albigeois. Elle est tardive et progressive : présent après 1350 en Auvergne et Limousin, le français s'impose dans le Languedoc et en Provence après 1450. Au début du XVIe siècle, seuls les Pyrénées maintiennent une production écrite exclusivement en langue occitane ; cependant dans le domaine d'oc, le rôle de la langue du roi est encore limité car le latin et les langues vernaculaires locales coexistent avec le français écrit.
Au XIVe siècle, le français devient la langue de l'administration royale au niveau local des bailliages et des sénéchaussées, puis au niveau central de la Chancellerie et du Parlement, jusqu'à supplanter le latin après l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. 40 % des mots figurant dans nos dictionnaires, ont été forgés entre le XIVe et le XVIe siècle : c'est la période du « moyen français ». L'émergenceémergence d'une forme linguistique standardisée, le français actuel, ne s'effectue pas avant le XVIIe siècle, avec la création de l’Académie Française.
Une France métropolitaine multilingue
La France d'aujourd'hui est largement multilingue grâce à son patrimoine linguistique exceptionnel, composé de cinq langues romanes (domaine d'oïl, occitan, catalan, franco-provençal et corse), de trois langues germaniques (alsacien, francique et flamand occidental), d'une langue celtique (breton) et d'une langue pré-indoeuropéenne (basque). Sans compter les langues créoles à base lexicale française (Amérique, Antilles, Océan Indien, Pacifique) et toutes les langues de l'immigration !