Dans les années 1780, la colonie française de Saint-Domingue est considérée comme « l’usine à sucre » du monde, puisqu’elle s’est hissée au premier rang de la production mondiale. Elle concentre également la plus importante population d’esclaves d’Amérique : c’est le symbole du système esclavagiste poussé à son paroxysme, qui accompagne les circonstances politiques de la première abolition de l’esclavage par la France en 1794.
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Soucieuse de la prospérité économique des Antilles, l'Assemblée constituante mise en place par la Révolution, va donner tous pouvoirs aux assemblées coloniales dominées par les grands propriétaires agricoles. Des rivalités liées aux profondes inégalités sociales se développent en raison de l'affaiblissement du pouvoir politique métropolitain, trop éloigné des réalités locales.
À Saint-Domingue, l'importance de la population servile et ses conditions d'exploitation sont à l'origine des troubles civils qui apparaissent dès 1790. On évalue le nombre d'esclaves à 500.000 personnes, pour 30.000 blancs et 50.000 mulâtres (hommes de couleur libres). Le décret du 15 mai 1791 reconnaissant la citoyenneté des « gens de couleur nés de pères et mères libres » entraîne l'île dans l'insurrection générale. La guerre civile fait 10.000 morts dont 2.000 blancs. Devant la ruine de Saint-Domingue et l'émigration des grands propriétaires terriens, l'Assemblée législative tente de réorganiser les colonies par le décret du 4 avril 1792, en envoyant des troupes pour rétablir l'ordre.
L’abolition de l’esclavage dans la colonie de Saint-Domingue
Le nouveau commissaire Sonthonax prend d'abord position pour le maintien de l'esclavage : la conviction générale demeure que seule une abolition progressive et préparée peut éviter l'anarchie. Les Anglais profitent de l'insurrection pour envahir Saint-Domingue : espérant rallier la population noire insurgée pour défendre l'île, Sonthonax proclame de sa propre autorité l'émancipation des esclaves, prononcée et publiée en créole et en français, le 29 août 1793. Il annonce en fait la publication de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu'il a adaptée aux colonies. Le commissaire de la République fait procéder à des élections et envoie trois députés élus auprès de la Convention nationale pour en obtenir le soutien.
Si les théories humanitaires des philosophes sont largement diffusées, notamment par la Société des amis des noirs à Paris, la jeune République française ne prend pas d'emblée position en faveur de l'abolition de l'esclavage. La Convention ne s'occupe pas des révoltes provoquées par le maintien de la traite : en juillet 1793, elle supprime simplement les primes prévues par la législation royale sur les cargaisons des navires négriers ; l'exploitation des ressources coloniales constitue un enjeu économique majeur. Les partisans des grands propriétaires antillais dissuadent la Convention nationale de toute mesure susceptible de déstabiliser la situation aux colonies.
La Convention vote le décret d'abolition
Les nouvelles des colonies ne parviennent à Paris qu'avec des délais de plusieurs semaines : la proclamation de l'abolition de l'esclavage à Saint-Domingue, le 29 août 1793, n'est connue qu'en octobre. Dans la capitale existe un courant favorable à la révolte armée des esclaves : l'arrivée de trois députés de Saint-Domingue, Jean-Baptiste Belley, Jean-Baptiste Mills et Louis-Pierre Dufay (noir, mulâtre et blanc), envoyés par Sonthonax, constitue un évènement spectaculaire et une source d'information pour la Convention. Grâce au récit des trois députés et leur volonté affichée de maintenir un lien entre métropole et colonie, confrontée à la guerre européenne et ne disposant pas de moyens armés supplémentaires, la Convention soutient Sonthonax en proclamant l'abolition de l'esclavage, de façon à mobiliser les populations des Antilles contre les Anglais.
Le décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794) abolit « l'esclavage des nègres » : il confère la qualité de citoyen français à tous les hommes domiciliés dans les colonies, sans distinction de couleur ; théoriquement cela signifie la fin de la traite. Le texte est voté à l'unanimité par acclamation : la République proclame « la liberté universelle » selon Danton mais le décret d'abolition s'applique exclusivement aux noirs des colonies ; la métropole est exclue du territoire d'application du texte.
La guerre à Saint-Domingue
Durant l'hiverhiver de l'An II, la République française aux prises avec la guerre, n'a fait qu'entériner la décision d'abolition prise par son représentant à Saint-Domingue. Aux Antilles, les Anglais s'emparent de la Martinique, Sainte-Lucie et la Guadeloupe au printemps 1794. Ils prennent ensuite pied à Saint-Domingue et occupent Port-au-Prince le 4 juin 1794. Face au débarquement anglais, le général Lavaux, gouverneur de l'île, s'appuie sur le décret d'abolition de l'esclavage et rallie un contingent de 4.000 soldats noirs sous le commandement de Toussaint Louverture. Cet apport est décisif dans la reprise en main de Saint-Domingue par les républicains. En mars 1796, le général Toussaint Louverture est nommé lieutenant-gouverneur de Saint-Domingue : il influence le corps électoral majoritairement formé de soldats noirs, pour faire élire Lavaux et Sonthonax comme députés.
En juin 1799, une guerre civile entre sud et nord de Saint-Domingue, vue comme un conflit entre noirs représentés par Toussaint Louverture et mulâtres représentés par le général Rigaud, devient une véritable lutte pour le pouvoir et le contrôle du territoire entre les deux hommes. Cette guerre fratricidefratricide gagnée par Toussaint Louverture en juillet 1800, lui permet d'être nommé capitaine-général de Saint-Domingue par Bonaparte. Il est finalement arrêté en mai 1802, défait militairement par l'expédition du général Leclerc, envoyé par le Premier Consul qui juge Toussaint Louverture désormais trop dangereux pour sa politique de paix avec l'Espagne et l'Angleterre.
Bilan de l’abolition de 1794
Dans les colonies, le bilan de l'abolition est synonyme d'échec :
- à Saint-Domingue, 10.000 blancs prennent le chemin de l'exil avec leurs esclaves pour aller s'installer dans les îles anglaises, au Vénézuela ou en Louisiane ;
- en Guadeloupe reconquise aux Anglais, le nouveau commissaire Victor Hugues proclame l'abolition mais sans appliquer une véritable libération des esclaves qui doivent continuer à effectuer un travail « forcé » dans les plantations ;
- la Martinique occupée par les Anglais de 1793 à 1802, demeure à l'écart du décret d'abolition de l'esclavage ;
- aux Mascareignes où l'esclavage n'a jamais été vraiment contesté, le décret n'est envoyé qu'en 1796. Les colons se soulèvent contre les agents du Directoire lorsqu'ils arrivent dans l'île en juillet 1796 : l'abolition n'est pas appliquée.
Le 20 mai 1802, Bonaparte abroge le décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises de 1794 et impose par une guerre de reconquête coloniale, le rétablissement de l'esclavage dans toutes les colonies. Il échoue à Saint-Domingue où le corps expéditionnaire de 50.000 soldats est anéanti par les combats et les maladies. Les Français évacuent l'île qui se proclame république d'Haïti, le 1er janvier 1804. Cette « indépendance noire » au début du XIXe siècle constitue un événement exceptionnel !