Les colonies apparaissent dès le XVIIe siècle, comme un moyen très efficace d’enrichir la nation. Pour produire le maximum de richesses, le commerce colonial doit être encadré et réservé au seul profit de la métropole. La colonisation française est basée sur la domination territoriale par le peuplement (Canada) ou l’exploitation économique intensive par le système esclavagiste (Antilles). Le début d’un discours anticolonial en France, dans les années 1760, est provoqué par la question du coût des colonies qui conduit à la remise en cause d’une colonisation dominatrice.


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    Après la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'aventure coloniale connaît ses premières grandes difficultés ; en 1763, le traité de Paris met fin à la guerre de Sept Ans : la France perd le Canada et la Louisiane. En Inde, cinq comptoirs français subsistent, qui confirment l'abandon d'une implantation coloniale sur l'ensemble du territoire, tentée par Dupleix mais désapprouvée par Louis XV.

    L'empire se réduit mais le commerce colonial progresse encore grâce à la conservation des Antilles. En 1790, la France est la première puissance commerciale, avec 15 % du commerce mondial. Entre 1715 et 1790, le commerce colonial est multiplié par dix : Saint-Domingue représente 80 % du négoce colonial français et devient le premier producteur mondial de sucresucre ; l'île exporte plus que les treize colonies américaines réunies. L'importation des produits tropicaux (sucre, café, cacaocacao) alimente largement le marché intérieur français et la France dépasse l'Angleterre dans le commerce de réexportation de ces produits.

    Vue de Fort-Royal en Martinique, par François Denis entre 1750 et 1760 ; actuelle ville de Fort-de-France. © Wikimedia Commons, domaine public
    Vue de Fort-Royal en Martinique, par François Denis entre 1750 et 1760 ; actuelle ville de Fort-de-France. © Wikimedia Commons, domaine public

    Les débuts d’un discours anticolonial

    Dans les années 1750, les physiocrates vont rejeter le système colonial qu'ils jugent défavorable aux colonies et à la métropole : ils l'accusent d'appauvrir les colonies et les consommateurs français, au profit des négociants. Ce nouveau courant de pensée économique et politique entretient la critique générale visant la Compagnie des Indes et ses monopoles, car le bilan commercial de celle-ci est très mauvais en Orient. En fait, la critique vise les monopoles de commerce mais pas l'existence des colonies. 

    Plan de la ville de Chandernagor, « établissement principal de la Compagnie des Indes de France dans le royaume du Bengale », par le capitaine Leveux en 1772. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr, BnF
    Plan de la ville de Chandernagor, « établissement principal de la Compagnie des Indes de France dans le royaume du Bengale », par le capitaine Leveux en 1772. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr, BnF

    Le commerce de la Compagnie est déficitaire, l'entretien des comptoirs très coûteux, alors que le monopole de l'importation lui assure des bénéfices considérables. La Compagnie des Indes coûte de l'argent à l'État : elle enregistre une dette de 60 millions en 1769, son privilège est donc supprimé. L'économiste François Quesnay considère les monopoles de commerce inefficaces sur le plan économique ; il souligne l'absence de concurrence et les pertes financières pour l'État.

    La suppression du monopole de la Compagnie des Indes ne règle pas tout pour les physiocrates : le régime de l'exclusif qui réserve le commerce colonial aux seuls négociants français, est nuisible à l'intérêt national mais également aux colonies. En excluant les pays étrangers en matière d'approvisionnement, en achetant obligatoirement en métropole, les colonies ne peuvent bénéficier des prix plus bas offerts par les nations voisines.

    Les colonies coûtent cher

    Le régime de l'exclusif et la constitution de comptoirs de commerce génèrent d'importants coûts de fonctionnement, selon les principaux adversaires de la Compagnie des Indes. Il faut y ajouter l'investissement pour les vaisseaux, les salaires, les marchandises. L'investissement colonial est un manque à gagner pour la métropole : l'argent pourrait en effet être investi dans le secteur de l'agriculture ou de l'industrie. Le ministre Turgot écrit en 1776 : « Le revenu que le gouvernement tire des colonies, est une ressource nulle pour l'État, si on compte ce qu'il en coûte chaque année, pour la défense et l'administration des colonies, [...] si l'on y ajoute l'énormité des dépenses qu'elles ont occasionnées pendant nos guerres et les sacrifices qu'il a fallu faire à la paix pour n'en recouvrer qu'une partie. » On comprend pourquoi les physiocrates sont partisans d'une indépendance des colonies.

    Combat livré sur la côte de Malabar par un navire de la Compagnie des Indes en février 1770 ; Bibliothèque nationale de France, collection Hennin. © gallica.bnf.fr, BnF
    Combat livré sur la côte de Malabar par un navire de la Compagnie des Indes en février 1770 ; Bibliothèque nationale de France, collection Hennin. © gallica.bnf.fr, BnF

    La remise en cause d’une colonisation dominatrice

    Au-delà du coût économique de la colonisation, c'est le modèle de mise en valeur des colonies qui est contesté : l'exploitation de la colonie repose sur un principe d'accaparement de ses richesses ; on prélève des biens et on n'investit pas. Le modèle économique défendu par les physiocrates est basé sur le développement de l'agricultureagriculture : leur idée est de créer des colonies agricoles exploitées comme des provinces de la métropole. Cela implique que les colonies deviennent des provinces régies par les mêmes institutions que celles du royaume de France. Les DOM-TOM sont donc a posteriori une forme coloniale qu'aurait souhaitée le physiocrate François Quesnay.

    Dessin du Fort Saint-Charles, Basse Terre, Guadeloupe, vers 1764 ; ANOM, base Ulysse. © Archives nationales d'outre-mer
    Dessin du Fort Saint-Charles, Basse Terre, Guadeloupe, vers 1764 ; ANOM, base Ulysse. © Archives nationales d'outre-mer

    Paradoxe du fait colonial : les colonies sont une chance pour la France à partir du moment où elles ne sont plus des colonies mais des partenaires économiques. Turgot va même plus loin puisqu'il n'exclut pas leur émancipation pour en faire des États alliés.

    Faute d'avoir pu établir cette nouvelle conception du colonialisme, la France perd les colonies qui lui restent au profit de l'Angleterre. Le changement ne se limite pas à une diminution physique de l'empire colonial mais surtout à une régression économique, la prospérité coloniale n'existe plus. Les « vestiges » du premier empire colonial français sont les suivants vers 1815 : la France conserve la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Louis du Sénégal et Gorée, la Réunion, Fort-Dauphin à Madagascar, les cinq comptoirs indiens (Chandernagor, Yanaon, Pondichéry, Karikal, Mahé).

    Carte de la Martinique par Philippe Buache en 1742. « <em>Carte de l'Isle de la Martinique, colonie francoise de l'une des Isles Antilles de l'Amérique... </em>» ; <em>geographic rare antique maps</em>. © Wikimedia Commons, domaine public
    Carte de la Martinique par Philippe Buache en 1742. « Carte de l'Isle de la Martinique, colonie francoise de l'une des Isles Antilles de l'Amérique... » ; geographic rare antique maps. © Wikimedia Commons, domaine public

    À noter

    Dès la fin du XVIIIe siècle, il y a une remise en cause de la colonisation de la part des élites, avec Denis Diderot comme chef de file. Un concours littéraire lancé par l'académie de Lyon en 1781, a pour thème « La découverte de l'Amérique a-t-elle été utile ou nuisible au genre humain ? ». Il aboutit purement et simplement au procès de Christophe Colomb, considéré comme le grand responsable de la catastrophe humanitaire américaine !