Vers 1360, la Bastille est une bastide à deux tours, destinée à défendre la porte Saint-Antoine et les remparts de l’est de Paris. En 1367, le roi Charles V décide de la transformer en une forteresse urbaine munie de huit tours et disposant de sa propre garnison. Baptisée « Bastide Saint Antoine » au XIVe siècle puis « Bastille » au XVIe siècle, c’est une prison nobiliaire sous Louis XIV et un lieu associé à la répression des idées, au siècle des Lumières : la forteresse royale devient un séjour obligé pour de nombreux philosophes...
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La première pierre de l'édifice est posée par le prévôt de Paris, Hugues Aubriot, en 1369 ; la constructionconstruction est achevée en 1383. C'est un véritable château fort avec ses douves, son pont-levis et son arsenal, qui mesure 66 mètres de long pour 34 mètres de large, d'une hauteur de 24 mètres. On pénètre à la Bastille par la rue Saint-Antoine, dans la cour de l'Avancée qui abrite des boutiques et une caserne. Les responsables militaires de la Bastille sont appelés « capitaines gouverneurs du fort et bastide Saint-Antoine ». En 1386, le premier gouverneur est Messire Jehan La Personne, chambellan du roi Charles VI. Dès la fin du XIVe siècle, la forteresse sert de prison mais elle détient un rôle militaire déterminant qu'elle conserve jusqu'à la Fronde (1648-1653).
La Bastille prison d’Etat
La forteresse royale remplit différentes fonctions : prison depuis Charles VI, entrepôt d'armes avec François Ier et même coffre-fort du Trésor royal sous Henri IV. Le cardinal de Richelieu la transforme en prison d'Etat et la Bastille relève désormais de la justice extraordinaire, celle de la mise au secret et des « lettres de cachet » signées du roi et ordonnant un emprisonnement sans jugement.
La prison comporte quarante-cinq « cellules » et accueille jusqu'à cent prisonniers. Les conditions de vie y sont très inégales : les plus fortunés peuvent aménager une vaste chambre avec leur propre mobilier, être servis par leurs domestiques et faire venir les repas de l'extérieur. D'autres prisonniers subissent le cachot, cellule très réduite dont seul le centre est suffisamment haut pour pouvoir se tenir debout. De 1659 à 1789, les registres « d'écrous » permettent de recenser 5279 prisonniers embastillés.
Sous Louis XIV, un tiers des détenus sont des membres de la noblesse, envoyés à la Bastille pour manquement à la discipline de Cour ou implication dans un duel. Des protestants y sont emprisonnés lors de la révocationrévocation de l’Edit de Nantes en 1686. On trouve également des personnes accusées d'espionnage ou de trahison : elles sont alors mises au secret et oubliées pour un long moment. A partir des années 1690, le contrôle plus important de l'opinion publique envoie à la Bastille, écrivains et pamphlétaires qui s'attaquent à la personne du roi et à son entourage.
Sous le règne de Louis XV, mis à part un fonctionnement de plus en plus lié à la justice ordinaire, l'emprisonnement pour délit d'opinion devient l'activité prépondérante de la Bastille qui est associée à la censure et la répression des idées. La forteresse royale devient un séjour obligé pour certains écrivains qui estiment qu'elle contribue à leur réputation et leur gloire (c'est le cas de l'abbé Morellet, encyclopédiste, philosophe, académicien, embastillé quelques mois en 1760) !
Voici quelques détenus célèbres qui ont séjourné plusieurs semaines ou plusieurs mois à la Bastille : Michel de Montaigne (en juillet 1588), le prince Henri de Condé (de 1616 à 1619), l'homme au masque de fer (décède à la Bastille en 1703), le surintendant des Finances Nicolas Fouquet (de décembre 1661 à décembre 1664), le philosophe Voltaire (entre 1717 et 1718 puis en 1726), Beaumarchais, le marquis de Sade, le cardinal de Rohan ...
La Bastille de Louis XVI
On constate que 22 % des détenus sont incarcérés pour des infractions aux règlements de librairie, 20 % pour des motifs politiques et 13 % pour des délits religieux. La Bastille remplit d'autres fonctions que celle de prison : elle est un dépôt d'archives très important pour la lieutenance générale de police de Paris, qui y met en sécurité les papiers saisis lors des procédures judiciaires.
La forteresse est dirigée par le gouverneur qui a acheté sa charge et gère le budget qui lui est alloué. Il peut louer à des particuliers, les échoppes bâties le long du fossé de la Bastille. Depuis le XVIIe siècle, il vit dans une maison construite dans une des cours du bâtiment, entourée d'un jardin à la française. Le gouverneur est assisté par le lieutenant du roi (qui fait respecter la règle du secret) et le major (qui s'occupe de l'économat et des archives). Les "porteporte-clefs" sont sous l'autorité des officiers et en contact direct avec les prisonniers (pour les repas et les promenades). Le "capitaine des portes" s'occupe des guichets d'entrée et de sortie de la prison. La surveillance de la forteresse est confiée aux "invalides" qui montent la garde de jour comme de nuit, à l'intérieur et à l'extérieur de la Bastille. On trouve également un service médical, un chapelain et un confesseur.
Le dernier gouverneur nommé en 1776, Bernard Jourdan de Launay, vit donc confortablement dans cette prison d'Etat qui compte de moins en moins de prisonniers. Le roi songe à la faire démolir depuis 1784, dans la perspective de créer une place Louis XVI, qui correspond exactement à l'actuelle place de la Bastille. Le 14 juillet 1789, sept prisonniers y sont encore incarcérés ; le gouverneur de Launay est exécuté par les assaillants, lors de la prise de la forteresse. Les archives de la Bastille sont déversées dans les fossés, en partie pillées et brûlées lors de l'insurrection. Certains, comme Beaumarchais, perçoivent immédiatement l'importance de ces documents et réussissent à récupérer des registres. L'assemblée de la Commune de Paris publie un appel civique pour centraliser ces archives : malgré les détériorations, 600.000 pièces sont rassemblées et forment aujourd'hui le fonds des archives de la Bastille (conservées à la bibliothèque de l'Arsenal depuis 1798).
Un symbole fort
Dans la tradition historiographique, la prise de la Bastille, le mardi 14 juillet 1789, est considérée comme la première intervention du peuple parisien dans le déroulement de la Révolution française. L'événement est sans précédent par ses implications politiques : il marque l'effondrementeffondrement de l'administration royale et provoque une révolution municipale. A la fin du XIXe siècle, il revêt une charge symbolique extrêmement forte dans la culture politique républicaine, puisque la date du 14 juillet est choisie en 1880, pour célébrer la fête nationale française.