Le percement de l’isthme de Suez, de 1859 à 1869, est le défi technique et politique relevé par le diplomate français Ferdinand de Lesseps : il entraîne une véritable révolution dans la vie économique du monde, en rapprochant l’Europe de l’océan Indien et du Pacifique ; dès son ouverture, le canal de Suez constitue un enjeu stratégique majeur dans les relations entre Orient et Occident.


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    Le projet de canal reliant la Méditerranée et la mer Rouge, existe depuis l'Antiquité : les Egyptiens ont réalisé une jonction fluviale entre le Nil et la mer Rougemer Rouge qui travers les lacs Amers, dès le VIIe siècle avant J.C. ; l'empereur romain Trajan fait rétablir le canal au début du IIe siècle. Vers 645, l'émir d'Egypte procède à son tour à d'importants travaux de réfection. En 1508, les Vénitiens projettent un nouveau percement de l'isthmeisthme ensablé, après l'ouverture de la route maritime commerciale du cap de Bonne-Espérance, au profit des Portugais puis des Hollandais.

    Les projets français de canal de Suez

    La France rêve d'un canal depuis Louis XIV et c'est la Révolution qui pose véritablement le problème, puisque le percement de l'isthme de Suez figure au programme que le Directoire donne à Bonaparte, pour  son expédition d'Egypte. Le 24 décembre 1798, Bonaparte accompagné des scientifiques Gaspard Monge, Claude Berthollet et autres membres de l'Institut d'Egypte, part du Caire à la recherche du « canal des Pharaons », redécouvert en janvier 1799. En 1801, un Mémoire sur la communication de la mer des Indes à la Méditerranée par la mer Rouge et l'isthme de Suez, préconise un tracé proche de l'ancien canal qui rejoint la mer à Alexandrie, en empruntant les branches du Nil ; la dépense est évaluée à 30 millions de francs et la durée du travail à dix années.

    Carte de l'isthme de Suez par Alexandre Buquet ; Paris 1862. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr / BnF.
    Carte de l'isthme de Suez par Alexandre Buquet ; Paris 1862. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr / BnF.

    En décembre 1854, une exploration de l'isthme entre Suez et le lac Menzaleh (Méditerranée), est menée par le diplomate Ferdinand de Lesseps et deux ingénieurs du vice-roi d'Egypte Mohammed Saïd, partie prenante du projet dès que de Lesseps lui a présenté. En mars 1855, l'avant-projet préconise un canal direct et sans éclusesécluses, allant presque en ligne droite de Suez à Péluse en Méditerranée. Fin septembre 1855, pour répondre à la campagne de diffamation que la presse britannique soutenue par son gouvernement, a immédiatement engagée contre le projet et son auteur, une « commission scientifique internationale » est constituée. Le 2 janvier 1856, elle se prononce à l'unanimité pour le projet de Ferdinand de Lesseps, dans un rapport adressé au vice-roi d'Egypte.

    "Vue panoramique de l'isthme de Suez et tracé direct du canal des deux mers", d'après l'avant-projet de Mrs Linant-Bey et Mougel-Bey, ingénieurs de Mohammed Saïd vice-roi d'Egypte, 1855. Bibliothèque nationale de France, département cartes et plans. © gallica.bnf.fr / BnF.
    "Vue panoramique de l'isthme de Suez et tracé direct du canal des deux mers", d'après l'avant-projet de Mrs Linant-Bey et Mougel-Bey, ingénieurs de Mohammed Saïd vice-roi d'Egypte, 1855. Bibliothèque nationale de France, département cartes et plans. © gallica.bnf.fr / BnF.

    Le 15 décembre 1858, après quatre ans de négociations et de difficultés de toutes sortes suscitées par la diplomatie anglaise, la « compagnie universelle du canal maritime de Suez » est constituée, avec un capital de 200 millions de francs, divisé en 400.000 actions de 500 francs : 207.111 actions sont souscrites en France, 15.247 à l'étranger et 177.642 par Mohammed Saïd. Le vice-roi d'Egypte permet à Ferdinand de Lesseps de donner le premier coup de pioche, à l'emplacement actuel de Port-Saïd, le 25 avril 1859.

    Portrait de Ferdinand de Lesseps par Félix Nadar, entre 1872 et 1876. Rijksmuseum, Amsterdam. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Portrait de Ferdinand de Lesseps par Félix Nadar, entre 1872 et 1876. Rijksmuseum, Amsterdam. © Wikimedia Commons, domaine public.

    La période des travaux : 1859-1869

    Pour conduire le chantier du canal en plein désertdésert, il n'y a pas de main d'œuvre disponible sur place ; le vice-roi d'Égypte propose de faire appel à la corvée, système traditionnel qui permet de mobiliser les paysans chaque année, pour l'entretien des canaux creusés le long du Nil. Une main d'œuvre gratuite va travailler à la main, au creusement du canal, dans des conditions extrêmes : on estime que plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers sont décédés entre 1859 et 1863.

    Vue des travaux du canal de Suez à son passage au seuil d'El-Guisr, dans <em>Le Monde illustré </em>du 28 septembre 1867. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr / BnF.
    Vue des travaux du canal de Suez à son passage au seuil d'El-Guisr, dans Le Monde illustré du 28 septembre 1867. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr / BnF.

    La Grande-Bretagne dénonce l'utilisation de la corvée et l'Empire ottoman exige que Ferdinand de Lesseps arrête le chantier. En juillet 1864, c'est l'empereur Napoléon III qui va apporter son arbitrage à un différend qui devient international : il reconnaît l'autorité du nouveau vice-roi d'Egypte Ismaïl, écarte les arguments de l'opposition anglaise au canal et exige une entreprise française pour diriger les travaux. Les « fellahs » sont remplacés par des ouvriers étrangers (grecs, italiens...) et un effort de mécanisation sans précédent est engagé : le chantier de Suez devient un symbole du progrès technique et constitue une étape cruciale dans l'histoire du génie civil.

    Canal de Suez, engin de dragage (ouvriers présents sur le pont), photo tirée de l'album de Justin Koslowski, 1869. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr / BnF.
    Canal de Suez, engin de dragage (ouvriers présents sur le pont), photo tirée de l'album de Justin Koslowski, 1869. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr / BnF.

    Le canal de Suez achevé

    Le canal de Suez est orienté du nord au sud, suivant le méridien 32° 20' de longitudelongitude est, qui passe tout près de Port-Saïd. Deux ports marquent ses extrémités : à son débouché dans la Méditerranée, celui de Port-Saïd créé ainsi que la ville du même nom, en 1860 ; au sud, à son débouché dans la mer Rouge, celui de Port-Thewfik qui est une dépendance de l'ancienne ville arabe de Suez. A mi-distance est fondée la ville d'Ismaïlia en 1863, qui sert de résidence au personnel dirigeant de la compagnie. La longueur du canal est de 161,150 km, la profondeur d'eau de huit mètres ; il est sans écluses et de niveau avec la mer qui y entre librement.

    Maison et bureaux de Ferdinand de Lesseps (et de la compagnie du canal de Suez) à Ismaïlia. © Wikimedia Commons, domaine public. 
    Maison et bureaux de Ferdinand de Lesseps (et de la compagnie du canal de Suez) à Ismaïlia. © Wikimedia Commons, domaine public. 

    Le 18 mars 1869, les eaux de la Méditerranée pénètrent dans le grand bassin ; le 15 août, la digue qui retient la mer Rouge est coupée et les eaux des deux mers se rejoignent dans les lacs Amers. Le 17 novembre, le canal est officiellement inauguré à Port-Saïd, en présence de personnalités politiques de toutes les nations. Plus de quatre-vingt bâtiments appartenant à toutes les marines du monde, s'engagent dans le canal et après seize heures de navigation effective, jettent l'ancre dans la rade de Suez, le 20 novembre 1869.

    Tableau "L'inauguration du canal de Suez, le 17 novembre 1869" par Edouard Riou ; château de Compiègne. © RMN - Grand Palais / D. Arnaudet.
    Tableau "L'inauguration du canal de Suez, le 17 novembre 1869" par Edouard Riou ; château de Compiègne. © RMN - Grand Palais / D. Arnaudet.

    L'énergie indomptable de Ferdinand de Lesseps a triomphé de toutes les difficultés : il a fallu dix années de travaux au lieu des six annoncées pour mener à bien l'entreprise et 400 millions de francs dépensés au lieu des 200 millions supposés au départ de l'aventure, la moitié étant payée par l'Egypte. Les Britanniques, après avoir tenté d'empêcher la constructionconstruction du canal, en deviennent les premiers utilisateurs : le voyage de Londres à Bombay (Inde) prend quarante jours par Suez, au lieu de quatre mois en contournant l’Afrique. En 1875, l'Egypte ne pouvant plus supporter son niveau d'endettement, est contrainte de céder le capital qu'elle détient dans le canal de Suez, à l'Angleterre. Celui-ci reste franco-britannique jusqu'à sa nationalisation par le président égyptien Nasser en juillet 1956.

    Navires dans le canal de Suez, fin XIXe siècle. Bibliothèque nationale de France. © Retro News. 
    Navires dans le canal de Suez, fin XIXe siècle. Bibliothèque nationale de France. © Retro News.